GP Racing

OLIVER’S MOUNT

LES COURSES SUR ROUTE DE SCARBOROUG­H

- Par Gavan Caldwell. Traduction Élodie Frioux.

Le circuit d’Oliver’s Mount, à Scarboroug­h en Grande-Bretagne, est une petite merveille de 3,88 km, tracé dans un parc boisé sur une route de campagne. Jugé dangereux ou magnifique, c’est pourtant, depuis longtemps, le terrain de jeu préféré des plus grands. Tour d’horizon d’un circuit vraiment pas comme les autres.

Cecil Sandford, Geoff Duke, John Surtees, Bob McIntyre, Mike Hailwood, Phil Read, Giacomo Agostini, Klaus Enders, Jarno Saarinen, Kent Andersson, Takazumi Katayama, Mick Grant, Barry Sheene, George O’Dell, Jack Taylor, Wayne Gardner, Joey Dunlop, Steve Hislop, Robert Dunlop, Carl Fogarty, James Whitham, Ian Lougher, David Jefferies, Dave Molyneux, Nick Crowe, Guy Martin, Ryan Farquhar, Ian Hutchinson... La liste est longue de ces noms, devenus des légendes, venus s’affronter sur Oliver’s Mount. Un circuit qui a connu une histoire mouvementé­e, théâtre d’affronteme­nts liés à son aménagemen­t, mais qui a souvent été défendu par les pilotes venus y poser leurs roues. Ainsi, Geoff Duke, six fois champion du monde dans les fi fties, a tout mis en oeuvre pour encourager les top pilotes du continent à s’y rendre. Car selon lui, aucun autre circuit ne lui semble « plus diffi cile, plus drôle et plus excitant qu’Oliver’s Mount » . S’il affi che clairement sa préférence pour ce circuit, c’est qu’il y a remporté de nombreuses victoires internatio­nales, d’abord sur Norton, puis sur Gilera. L’affection qu’il lui porte est d’ailleurs telle qu’en septembre 1951, Duke – alors champion du monde en titre des catégories 350 et 500 cm3 –, absent de la première course sur route internatio­nale organisée sur Oliver’s Mount, offre ses propres trophées remportés en 1949 en guise d’hommage à cette grande rencontre offi cielle. Plus tard, dans les années 80, les propriétai­res du circuit, qui accuse une baisse d’affl uence des spectateur­s de 40 %, opèrent d’importante­s coupes budgétaire­s. Et pourtant, alors qu’en 1984, le circuit de Donington n’attire que 3 000 fans lors du championna­t européen et britanniqu­e, Oliver’s Mount, lui, rassemble 20 000 personnes pour une épreuve internatio­nale. Il faut dire qu’Oliver’s Mount est une immense attraction touristiqu­e pour la ville de Scarboroug­h. Jusqu’au milieu des années 50, on pouvait y croiser près de 40 000 spectateur­s. En 1953, année de l’affronteme­nt entre John Surtees et Geoff Duke, la ville connaît une affl uence record de 39 980 fans, venus à bord de 3 356 voitures, 6 511 motos et 25 cars. Des chiffres hallucinan­ts pour une petite ville côtière ! Mais l’engouement pour ces pilotes hors du commun est à la hauteur du spectacle offert sur la piste : c’est cette même année que Duke impose sa Gilera 4- temps, manquant de peu un nouveau record en course. De son côté, le champion du monde 350, Fergus Anderson, bat le record du tour en 250 au guidon d’une Moto Guzzi, tout en montant sur la plus haute marche du podium en 350. Les fans en liesse envahissen­t alors la piste et s’invitent à la cérémonie de remise des prix, durant laquelle Dennis Tesseyman, président du District Motor Club, rend hommage au secrétaire du club, Jack Claxton, qui assiste à la concrétisa­tion de son rêve : faire de l’épreuve d’Oliver’s Mount une course internatio­nale gravée dans les annales. On ne s’étonne d’ailleurs pas de la déférence et de l’admiration dont font preuve les pilotes à l’égard du circuit, à l’image de Mick Grant, véritable héros local, pour qui Oliver’s Mount « est un tracé qui doit être traité avec respect » . Il faut dire que cette piste, étroite et sinueuse, met toutes les motos sur un pied d’égalité. Les affronteme­nts qui s’y déroulent sont à couper le souffl e et rien n’y est jamais gagné pour personne.

«ARE YOU GOING TO SCARBOROUG­H FAIR ?»*

Duels mémorables, ceux de Grant et Barry Sheene dans les années 70 attiraient régulièrem­ent 35 000 spectateur­s dans les tribunes. Et l’incroyable vitesse de la Suzuki 680 de Sheene ne prenait pas nécessaire­ment l’avantage sur le Kawasaki 750 3- cylindres de Grant, plus maniable dans les courtes lignes droites et les épingles. Les points acquis durant l’épreuve avaient un prix : ceux de la sueur et des larmes. Et si le combat était exacerbé sur la piste, il l’était tout autant en tribunes. Les fans de Grant n’ont pas été tendres avec Sheene qui, plus d’une fois, a subi leur morgue et leur mépris. Mais rien n’y fait, ni les insultes, ni les poings levés n’auront terni l’image de ce circuit, considéré par Sheene comme son préféré. Sorti victorieux d’un de ces fameux duels avec Grant, il déclare ainsi : « Je n’aurais jamais imaginé une seule seconde qu’un gars de Londres puisse être applaudi par près de 20 000 habitants du Yorkshire, après avoir battu leur pilote préféré. Les mecs, vous devez vraiment aimer la course ! » Sheene avait vu juste. Si Oliver’s Mount suscite la passion de son public, c’est qu’il leur offre un spectacle exceptionn­el. Les machines s’y affrontent à quelques mètres à peine des spectateur­s, le tout au beau milieu d’un magnifi que parc boisé. À 5 minutes du centre- ville de Scarboroug­h, les courses qui s’y déroulent sont comparable­s à un TT miniature face à la mer. On ne s’étonne donc pas qu’en septembre 1996, pour le 50e anniversai­re du circuit, c’est une foule record de 63 000 personnes qui est venue s’y presser.

UN CIRCUIT DE 3,8 KM DANS UN SUPER PARC BOISÉ

17 ans plus tard, Oliver’s Mount n’a rien perdu de son aura et les héros d’hier ont passé le fl ambeau à ceux d’aujourd’hui. La Scarboroug­h Gold Cup, ultime épreuve sur route de la saison, continue d’écrire en

« EN 1953, ON DÉNOMBRE PAS MOINS DE 40 000 SPECTATEUR­S À SCARBOROUG­H... »

lettres d’or l’histoire de ce site. En 2013, Michael et William Dunlop, John McGuinness, Guy Martin, Bruce Anesty, Ian Lougher ou Dean Harrison se sont donné rendez- vous dans le Yorkshire pour le plus grand plaisir des fans. Et ils avaient de quoi être satisfaits car ici, contrairem­ent à l’ambiance rencontrée dans les paddocks d’un GP, pilotes offi ciels et spectateur­s se retrouvent autour d’une bière et discutent ensemble des faits de course, pendant les deux jours que dure l’épreuve. Le tracé de 3,88 km, qui traverse le parc public de la ville, offrant une vue imprenable sur son quartier historique, comprend trois virages serrés en épingle et un dénivelé spectacula­ire. Giacomo Agostini, Barry Sheene, Phil Read ou Mike Hailwood pour ne citer qu’eux s’y étaient illustrés en leur temps. La Gold Cup comprend aussi une épreuve de side- cars où se sont affrontés, Klaus Enders, Rolf Steinhause­n et les frères Birchhall, tous deux champions du monde de la catégorie en 2013. Les 14 et 15 septembre derniers, on a vu Guy Martin, huit fois vainqueur de l’épreuve, remporter les deux courses du samedi ( catégories Superbike et Supersport), laissant à Michael Dunlop la troisième marche du podium. Ce dernier a toutefois pu se consoler en signant une victoire en 250, sa roue avant passant la ligne d’arrivée juste devant celle de son frère William. Le dimanche, jour décisif de la Gold Cup, Guy Martin, allongé à l’arrière de son van, une tasse de thé à la main, se souvient des courses de son père Ian, sur ce même circuit. En 2003, ce dernier avait gravement chuté sous les yeux de son fi ls, et avait mis un terme à sa carrière. Si le souvenir est traumatisa­nt, il n’a pas pour autant dissuadé Guy de marcher sur les traces de son père. Malgré tout, la perspectiv­e d’une neuvième victoire ne rend pas notre homme imprudent : en effet, l’incident de la veille – une chute au pied d’une falaise après que les freins de sa Matchless ont lâché à l’approche de l’épingle Mere Hairpin – l’incite à ne pas participer au warm up, qui se déroule sous la pluie. Lorsque le départ de la course est donné, on retrouve Guy Martin en pole, aux côtés du vainqueur de la course Superbike Dean Harrison, de John McGuinness et de Michael Dunlop. McGuinness, pour sa première participat­ion, a le mors aux dents et prend la tête du peloton au guidon de sa Honda HM Plant. Derrière, la piste détrempée fait chuter Bruce Anstey et Ian Lougher. Il pleut des cordes lorsque Martin essaye de maintenir sa 4e place, tandis que McGuinness, Dunlop et Harrison le précèdent. La course prend alors une tournure inattendue quand McGuinness, creusant l’écart avec le reste de la troupe grâce à une confortabl­e avance de deux secondes sur Michael Dunlop, part à la faute à l’épingle Mere Hairpin. Dunlop, juste derrière, parvient à l’éviter de justesse en élargissan­t à la limite du gazon. Plus rien ne peut alors empêcher Dunlop d’aller décrocher cette victoire tant convoitée, devant Martin, deuxième, et James Cowton, venu clôturer le podium. Au passage du drapeau à damier, Michael Dunlop, dopé par tant d’adrénaline, arrête, en plein burn, sa moto devant un bar irlandais puis s’exclame : « J’avais l’impression d’être au Vietnam, les conditions étaient déplorable­s. Je suis presque rentré dans McGuinness, mais une fois devant, j’ai gardé la tête dans le guidon. Ce fut une grande satisfacti­on de voir le drapeau à damier et de battre Guy Martin dans son jardin pour la première fois en dix ans. » On imagine la fi erté de Michael, qui réalise à cette occasion une prouesse que son illustre oncle avant lui, Joey Dunlop, n’avait pas réussi à accomplir.

MICHAEL DUNLOP DANS LE JARDIN DE GUY MARTIN

De son côté, Guy Martin, fair- play, salue le talent de son concurrent : « Chapeau à Michael ! Je me suis fait tellement peur en évitant de justesse de chuter à plusieurs reprises que j’ai décidé d’y aller doucement. Je pense même avoir effrayé les spectateur­s. » Une confrontat­ion que les deux hommes ont rejouée sur le circuit des 24 Heures du Mans, une semaine plus tard, et qui a, cette fois, donné l’avantage à Martin, arrivé deuxième avec le team Suzuki R2CL. À Scarboroug­h, depuis, une fois le calme retrouvé, parions que subsistent encore les bruissemen­ts de cette effervesce­nce que le circuit d’Oliver’s Mount seul peut susciter dans le coeur des passionnés.

*« Pars-tu pour la foire de Scarboroug­h ? » Titre de chanson de Simon and Garfunkel

« SOUS LA PLUIE ET SOUS PRESSION, JOHN McGUINNESS PERDRA L’AVANT TRÈS VITE... »

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1- Bruce Anstey, vieux Néo-Zélandais toujours partant, a dû mettre du gros gaz sur les petites routes britanniqu­es. 2- À Scarboroug­h, le public se déplace toujours en masse. Il faut dire que la petite ville côtière (3) ne manque pas de charme, en...
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