GP Racing

GUY MARTIN

DE OLIVER’S MOUNT AUX 24 H DU MANS

- Par E. Lebec.

Garçon diffi cile à cerner, on se demande, entre les pincettes ou le marteau et l’enclume, ce qu’il faut choisir pour espérer le comprendre. Aussi incontourn­able sur les courses sur route qui ont cimenté sa réputation depuis 2004 à coups d’éclat et surtout de gueule, Guy Martin est l’icône en chair et en os du pilote à l’ancienne tel que l’on rêverait qu’il existe encore. Regard intense, cheveux en bataille, roufl aquettes envahissan­tes, il possède un charisme naturel, celui d’une égérie qui incarne sans fard la discipline qui l’a propulsé dans la lumière. En 2011, le cinéma en faisait sa vedette dans Closer to the Edge. Deux ans plus tard, roi toujours sans couronne sur le Tourist Trophy, Guy se révèle au public français grâce à une deuxième place aux 24 Heures du Mans au sein du team privé R2CL. Un conte de fée pour celui qui avait déjà tâté de l’endurance au Mans en 2007. À l’époque, Martin roulait sur une Kawa, et l’habitué des courses sur route en bordure de pâturages avait été impression­né par le mur de spectateur­s manceaux et le départ en épi. « Dans le team, j’étais le plus rapide des trois pilotes. C’est donc moi qui ai pris le départ. Et ça m’a souffl é. Après, notre moteur a cassé dans la nuit, mais je me suis juré de revenir. » Mais, entre son propre calendrier et les sollicitat­ions diverses, Guy Martin a dû différer son retour à cette année 2013. Pour l’Anglais, c’était reculer pour mieux sauter, tant la deuxième place du team R2CL au Mans l’a comblé au- delà de toute espérance. Reconduit dans la même équipe pour l’ensemble de la saison d’endurance 2014, Guy Martin ne laisse pas facilement saisir celui qui se cache réellement derrière le cambouis de ses ongles de mécano et le vernis de son image publique. Les bruits de couloir les plus farfelus circulent sur son compte. Grand solitaire, pile électrique, insociable à tendance autiste, ado attardé vivant dans un monde parallèle et partageant sa vie entre son van, ses camions à l’atelier, ses vélos et ses motos de course, aux dires de certains, Guy Martin détesterai­t les journalist­es et les photograph­es.

Icône des courses sur route, Guy Martin s’est aussi illustré aux 24 Heures du Mans. Brouillant les cartes entre son image d’égérie publicitai­re et celle d’un vrai solitaire, il est de ceux dont il faut savoir ôter les étiquettes pour découvrir une personnali­té attachante.

RUMEURS ET DÉRAISON

Au Mans, l’homme a scotché les membres du team R2CL en dormant seul sur l’acier de son van, en refusant qu’on lui prête un matelas au prétexte que c’était « pour les fi lles » . Et pourtant, derrière la vitrine

exubérante du personnage public se cache un homme facile d’accès, au verbe rapide et aux idées foisonnant­es. Un type simple et, oserions- nous le dire, sain. « Je me défi nis avant tout comme un mécanicien poids lourds. Je bosse du lundi au vendredi au garage et le week- end, je pars sur les routes. La moto, je la conçois comme un hobby. Je ne suis pas forcené. Je connais des pilotes obnubilés par leur objectif. Ils y pensent six mois avant et juste après, ils embrayent sur l’édition suivante. Moi, le fait de retourner bosser le lendemain d’une course me permet de passer à autre chose et de relativise­r. » Ainsi, tout de suite après les 24 Heures du Mans 2013, Guy a repris la route au volant de son van noir frappé de son sigle à tête de mort. Direction l’Angleterre. Malgré la fatigue, il trouve ça naturel : « Hé mec, j’ai trois camions en révision qui m’attendent ! » Avec Guy Martin, on oublierait presque la confrérie des trompe- la- mort à laquelle il appartient avec désinvoltu­re, tant le pilote banalise le risque. « Pour moi, rouler au TT, c’est juste normal. Pendant les quinze jours que dure le TT, les gens viennent me parler de ce qu’on fait nous, les pilotes. Et moi, je ne pense qu’à une chose, c’est rentrer à la maison. Les gens ont toujours les mêmes mots, du style “incroyable” ou “fantastiqu­e”. Mais moi, un maçon qui construit un mur droit, je trouve ça aussi normal qu’un pilote du TT qui négocie Ballagarey en sixième. » Pas blasé pour autant, Guy admire les pistards autant qu’un pistard respecte l’un des ténors du TT. « Quand je vois mon coéquipier Gwen Giabbani, ancien champion du monde d’endurance, sortir des stands et claquer immédiatem­ent un 1’ 39’’ 2 au Mans, ça oui, je trouve que c’est incroyable. Sur route, nous avons une manière d’aborder les choses un peu plus empirique, parce qu’on doit en permanence s’adapter à des conditions et un environnem­ent changeants, irrégulier­s, je dirais presque un monde mouvant dans lequel naviguent les autres concurrent­s, le revêtement inégal des routes et les contrainte­s de visibilité d’un décor naturel. Sur piste, les mecs doivent à la fois être des métronomes et friser le tour parfait à chaque boucle. Les deux discipline­s sont respectabl­es, mais selon moi, la course sur route, ça reste du travail en gros là où la piste réclame une précision chirurgica­le. » De chirurgie précisémen­t, il en a été question en 2010 lorsque Guy, alors en bagarre pour le leadership dans le Senior TT, a chuté dans la courbe de Ballagarey à plus de 250 km/ h. Relevé avec le dos touché mais sans blessures graves, il vit parfaiteme­nt avec le souvenir de cet accident qui aurait pu lui être fatal. Il nourrit aussi, comme nombre de ses pairs, un rapport particulie­r à son corps. Et si pour beaucoup, il est un miraculé qui peut aller brûler un cierge, Martin voit les choses autrement. « Je me souviens parfaiteme­nt du fi lm de cet accident, raconte- t- il avec intensité. J’étais en train d’attaquer fort parce que je savais que je jouais la première place. Je venais de ravitaille­r lorsque j’ai atteint la courbe de Ballagarey. J’ai inscrit la moto, l’avant a commencé a glissé et j’ai poussé sur mon genou au sol aussi fort que j’ai pu pour relever la moto et récupérer de l’adhérence jusqu’au moment où je l’ai laissée s’échapper. Je ne saurais jamais si c’est le poids supplément­aire du réservoir d’essence plein qui m’a déséquilib­ré, mais c’est une option que j’envisage. Ce qui est sûr en revanche, c’est que si je n’avais pas eu l’instinct d’appuyer avec mon genou, je me serais écrasé sur le mur au lieu de glisser tout droit à la sortie du virage. Mais ce n’était pas un instinct de survie, c’était un instinct de compétitio­n. Je voulais rester en course pour défendre mes chances. » Guy Martin doit- il sa survie à son agressivit­é, sa conservati­on à son désir de ne jamais rien lâcher ? La question résume en tout cas bien

HÉ MEC, J’AI TROIS CAMIONS EN RÉVISION QUI M’ATTENDENT EN ANGLETERRE !

le bonhomme. « Aujourd’hui, je reconnais que j’ai eu de la chance, mais cette chute ne change rien à ma vision des choses. Je n’ai pas besoin de me forcer pour ne pas y penser. C’est arrivé, ça s’est bien terminé, et c’est tout. Je suis passé à autre chose. De ça aussi, les gens me reparlent souvent... » Depuis, Guy a repris son naturel, promenant sa grande dégaine d’échalas dégingandé entre les paddocks itinérants des courses sur route, soldat toujours en campagne, un brin fétichiste puisqu’il nourrit la manie de conserver les poignées des motos avec lesquelles il a gagné des courses, préférant bazarder les coupes qui vont avec. Avec sa nonchalanc­e, son enthousias­me presque puéril, son style négligé, Guy Martin véhicule aussi une image de branleur que la réalité écorne encore une fois. L’Anglais camoufl e en réalité un corps de sportif affûté pour qui les courses de VTT auxquelles il participe constituen­t des objectifs aussi importants que le TT. De quoi faire bondir les puristes. Mais chez cet éternel insouciant, relativise­r est une seconde nature : « C’est juste des courses de moto. Bien sûr, lorsque j’ai un plan, je ne lâche pas le morceau facilement. Quand on vient souvent me répéter que je n’ai pas encore de victoire sur le TT, franchemen­t, ça ne me tracasse pas. Bien sûr que ce serait super de gagner, mais que ça arrive ou pas, je reste le même. Et je répète volontiers que ma seconde place au Mans est ce que j’ai fait de plus marquant dans ma carrière de pilote. » Malgré un caractère expressif et un regard intense, il se dégage de lui une grande humilité. Face aux autres – comme au Mans quand il n’a eu de cesse de rendre hommage au boulot abattu par ses coéquipier­s après l’arrivée, assumant sans ego démesuré son statut de troisième pilote – mais aussi pour lui- même.

S’ASSUMER SANS GRANDIR

« Quand j’avais seize ans, ma vie était compliquée. Je venais d’arrêter l’école. Il fallait que je lutte pour trouver du boulot et me payer une moto. Aujourd’hui, ma vie est bien plus facile et surtout, elle me plaît comme ça. Je n’oublie pas que je suis juste un mécano. Après, c’est sûr que je vis désormais ce que je vivais déjà à 20 ans. Le confort en plus. Alors oui, je suis resté un peu gamin. J’aime les mécaniques, la compétitio­n, les camions, les motos. J’ai une petite amie qui me répète souvent que je devrais grandir. Car ce qui est sûr, c’est que je n’ai pas grandi. » Voilà, c’est Guy Martin. Un bon vivant dont les campagnes de publicité nourrissen­t une image un peu tronquée. Car l’homme n’aime rien tant que la discrétion, et cultive avec sagesse un côté caméléon qui le fait passer de l’état de pilote de course le dimanche à celui de mécano le lundi et de vététiste le mercredi. Un homme à suivre en 2014, qui aura à coeur, non par orgueil mais par loyauté, de prouver que sa 2e place du Mans ne devait rien à la chance du débutant.

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Le style Martin, c’est cheveux en pétard sous le casque et regard bleu acier. N’empêche que derrière la décontract­ion du garçon se cache un grand profession­nel habité par le trac avant chaque relais.

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