GP Racing

ACHOU, 20 ANS DE CLINIQUE

- Par Michel Turco. Photos Jean-Aignan Museau.

Pendant 20 ans, Bernard Achou a côtoyé le docteur Costa dans la clinique mobile des GP. Il nous raconte.

Kinésithér­apeute de la clinique mobile durant vingt saisons, Bernard Achou a vécu de l’intérieur l’apogée et le déclin du docteur Costa, aujourd’hui retiré des Grands Prix. Il garde de cette aventure de formidable­s souvenirs et une profonde estime pour les pilotes qu’il a accompagné­s et soignés.

Cette année, Bernard Achou n’était pas au Qatar pour l’ouverture du championna­t MotoGP. Pas plus qu’il n’a travaillé au Texas et en Argentine au mois d’avril. Après vingt ans de bons et loyaux services auprès des pilotes de Grands Prix, le kiné français de la clinique mobile a décidé de lever le pied. Pas parce qu’il estime venue l’heure de prendre sa retraite, mais parce que sans le docteur Costa, il ne se reconnaît plus vraiment dans ce qu’est devenu l’hôpital de campagne du championna­t MotoGP. « Pas question de travailler gratuiteme­nt dans un univers de milliardai­res » , lâche- t- il avec ironie. Avant d’ajouter, histoire de garder tout de même la porte entrouvert­e : « Je ferai peut- être une ou deux courses dans la saison pour revoir les copains, à condition que l’état d’esprit me convienne... » Élément incontourn­able du paddock des Grands Prix depuis sa création en 1977, la mythique clinique mobile a donc changé de patron l’hiver dernier. À 73 ans, Claudio Costa, son créateur, a passé la main à Michele Zasa et au docteur Dalla Rosa Prati. Bien que les deux Italiens assurent vouloir faire perdurer l’esprit originel de la clinique, ils sont loin, pour l’instant, de s’en donner les moyens. Les fi dèles grognards de Costa ont en effet été gentiment priés de laisser la place à de jeunes thérapeute­s en formation, bien moins coûteux, mais aussi nettement moins expériment­és. « Ce qui a pourtant fait la réputation de la clinique, rappelle Achou, c’est l’expertise et la connaissan­ce des spécifi cités des besoins des pilotes. Faire un pansement ou une résine après une blessure avec la protection la plus fi ne possible pour passer dans un gant ou une botte, ça ne s’apprend pas du jour au lendemain. Assurer les soins, préparer les mains, aider à évacuer la pression, remettre en confi ance... C’est tout un tas de petites choses qui paraissent simples mais qui ne le sont pas pour autant. C’est dommage que tout cela ait été mis à la poubelle. » Hier incontourn­able dans le diagnostic et le traitement des blessures des pilotes, la clinique mobile ne serait- elle plus aujourd’hui qu’un centre médical où le paddock vient soigner ses petits bobos ? La montée en puissance du docteur Xavier Mir, chirurgien proche des pilotes catalans aujourd’hui en charge de l’unité urgentiste des Grands Prix, mais aussi le déclin de Claudio Costa, mis peu à peu à la marge du système, ont en tout cas considérab­lement changé la donne pour l’équipe italienne. Bernard Achou a vécu en direct ces soubresaut­s et cette lente agonie. « Costa a passé la main parce qu’il était au bout du rouleau, souffl et- il. Il était en guerre avec la Dorna et pas mal d’autres personnes parce qu’il s’est toujours considéré comme un dieu et n’a jamais accepté les critiques et l’idée de pouvoir se remettre en cause. Il a aussi très mal vécu que Rossi le lâche. Pour lui, Valentino, c’était un peu comme Doohan. Sans lui avoir sauvé la vie, c’était une pièce centrale de son existence. Costa a pris ombrage de tout cela et il a fi ni par se mettre à part, il ne communiqua­it plus. Personnage central des Grands Prix durant trente ans, il a ainsi perdu sa crédibilit­é. » Défenseur de l’ancienne école, qui a toujours fait en sorte d’éviter les interventi­ons chirurgica­les inutiles, Costa s’est aussi heurté aux pratiques des nouveaux chirurgien­s, avides de coups de bistouri. « Il recommanda­it très souvent aux pilotes victimes de fractures de ne pas se faire opérer en leur expliquant qu’ils ne guériraien­t pas plus vite, raconte Achou. Il leur expliquait qu’on pouvait les aider à rouler avec des résines et des attelles et au fi nal,

quand les gamins revenaient sur le circuit la semaine suivante, ils s’étaient fait poser une vis ou deux. Ça mettait Costa hors de lui, il ne comprenait pas qu’on passe outre ses directives. Là- dessus est arrivé Mir, qui a été le premier à opérer les pilotes espagnols à Barcelone. En 2003, après la mort de Kato à Suzuka, Costa avait proposé à la Dorna de créer un service d’interventi­on rapide. Il voulait mettre deux urgentiste­s dans une voiture en bord de piste, prête à intervenir avant les ambulances. Ezpeleta n’avait alors rien voulu entendre. Dix ans après, Carmelo confie ce même boulot à Mir. Autant dire qu’il était dégoûté... » La guerre d’ego entre les deux médecins a bien évidemment tourné à l’avantage du Catalan, proche du promoteur du championna­t.

COSTA VS MIR, UNE AFFAIRE DE POUVOIR ET D’EGO

D’autant qu’au même moment, Costa a dû composer avec des diffi cultés fi nancières. « Depuis vingt- cinq ans, il fonctionna­it avec ses fonds propres et ses sponsors, poursuit Bernard. La crise de 2009 l’a contraint à demander de l’aide à la Dorna. Il a eu du mal à l’accepter. » Malgré l’argent injecté par le promoteur du championna­t, la clinique a alors commencé à tirer le diable par la queue. « On avait régulièrem­ent des problèmes avec le matériel de radiologie qu’on ne pouvait réparer que lorsque la clinique repassait du côté d’Imola. En fait, cela faisait un an ou deux que Costa cherchait un repreneur. Il m’avait bien proposé l’affaire, mais où aurais- je trouvé les budgets ? Comment trouver de l’argent pour une équipe qui n’a aucune visibilité médiatique ? Même les labos pharmaceut­iques font des économies aujourd’hui. » Voilà pourquoi Michele Zasa, bien qu’assuré du soutien d’un associé, propriétai­re d’un important centre de radiologie de Parme, a taillé dans la masse salariale et dégagé la plupart des proches de Costa. « Je lui ai pourtant proposé un arrangemen­t, confi e Bernard. Je bossais à la clinique de 7 h 00 à 15 h 00 et il me laissait m’occuper ensuite des pilotes qui voulaient que je les suive en particulie­r. Il faisait des économies sur mes honoraires et cela permettait d’avoir des anciens de la clinique pour faire le lien et former les jeunes qui doivent apprendre. Je n’ai pas eu de réponse... » Après vingt ans de bons et loyaux services, le Français a bien évidemment du mal à se détacher de cette clinique où il a vécu tant de moments forts. Pour avoir essayé d’en récupérer les commandes avec d’autres anciens, il a même une vision assez claire du chemin à prendre pour en assurer la pérennité. « Quoi qu’en pensent certains, la clinique a toujours une utilité même si son fonctionne­ment a évolué, décrypte- t- il. Le centre médical du circuit n’est pas là pour traiter les blessés mais pour les récupérer et préparer leur évacuation. Avant, la clinique était toute puissante. Elle avait l’autorité du diagnostic et elle décidait de ce qui allait advenir du pilote blessé. Bien évidemment, cela se faisait en accord avec le médecin du circuit et le médecin des Grands Prix. Soit on le gardait et on le traitait pour lui permettre de prendre le départ de la course – ce qui a toujours été le challenge de la clinique –, soit on l’évacuait vers l’hôpital pour une interventi­on chirurgica­le et ce, toujours en la présence d’un membre de la clinique. Aujourd’hui, les choses ont changé, la Dorna a choisi Mir, tout en reconduisa­nt un accord de cinq ans avec la clinique. Les Espagnols ayant désormais autorité sur le diagnostic, les Italiens doivent s’entendre avec eux pour travailler intelligem­ment. S’ils ne le font pas, ils n’auront plus aucun poids dans ce milieu. » Né le 7 juillet 1952, Bernard Achou a pas mal roulé sa bosse avant de poser ses mains sur les pilotes de Grands Prix. Après des études de kinésithér­apie qui seront suivies un plus tard d’une formation en ostéopathi­e, le Parisien embraye très vite sur le sport de haut niveau avec l’INSEP. Au service de l’Équipe de France de judo dès 1979, il travaille ensuite pour l’ensemble des fédération­s olympiques jusqu’aux J. O. de Barcelone, en 1992. Un peu de foot à Monaco après son installati­on à Aix- en- Provence où

« CLAUDIO COSTA A PASSÉ LA MAIN PARCE QU’IL ÉTAIT AU BOUT DU ROULEAU »

il ouvre son cabinet, tout en travaillan­t avec le CREPS et puis, c’est la rencontre avec Albert Charin, kiné de l’équipe de France d’escrime, mais aussi de Kevin Schwantz. « C’est lui qui m’a branché avec Costa. J’ai commencé à faire quelques courses en 1993, et j’ai attaqué l’année suivante pour une saison complète de GP. » D’emblée, Bernard tombe sous le charme de la personnali­té des acteurs de la course moto. Il raconte : « L’un de mes meilleurs souvenirs remonte à cette saison 1993 où j’étais venu en pointillé. Un jour, je me suis occupé de Fausto Gresini qui avait le dos en Z. Il était complèteme­nt bloqué, je l’ai manipulé et il a gagné la course le lendemain. Les frères Pileri qui le faisaient alors courir sont venus voir Costa avec une enveloppe pleine de billets. Ils étaient tellement heureux que Fausto ait gagné qu’ils souhaitaie­nt faire un don à la clinique. Autant dire que c’est le genre de choses qu’on ne voit plus trop aujourd’hui... » Des trucs les plus dingues qu’il a vécus auprès de Costa, Achou se souvient surtout de l’histoire de Noboru Ueda et de ce fameux gant à élastiques que le Japonais lui a d’ailleurs un jour offert. En 1998, lors du Grand Prix de France sur le circuit Paul- Ricard, le pilote 125 se fracture l’humérus du bras droit. « Il a eu le nerf radial sectionné, précise Bernard. Le chirurgien qui l’a opéré à Marseille lui avait annoncé entre dix- huit et vingt mois pour un début de récupérati­on du fait de la dégénéresc­ence wallérienn­e. Tous les GP qui ont suivi, Nobu est venu à la clinique pour travailler avec moi, une heure le matin, une heure le soir. Il n’avait plus d’extension de la main. On travaillai­t en mouvements visualisés, il imaginait qu’il remontait les doigts pendant que je les lui relevais. C’était si intense qu’il était en nage à la fin des séances. Costa a alors eu l’idée de lui faire fabriquer par Dainese un gant avec des élastiques pour qu’il puisse remonter sur sa moto encore plus rapidement. Moins de trois mois après, il terminait 6e à Barcelone. C’était dingue. Imaginons qu’il ait loupé un freinage au premier tour ! Costa était sûr de lui, il était persuadé que rien de mauvais ne pouvait arriver. C’était un visionnair­e capable d’inventer des trucs impossible­s. En France, on n’aurait jamais fait un truc pareil. Lui allait au bout de ce qu’il pouvait trouver pour aider les pilotes à courir, quitte à leur permettre de le faire sans qu’ils en aient toutes les facultés. De ce moment, Ueda n’a fait que progresser. Et au mois de novembre, il m’a appelé du Japon pour me dire que sa main refonction­nait toute seule, seulement six mois après que son nerf eût été sectionné. Pour moi, c’était une merveilleu­se récompense. Costa a raison quand il dit que les pilotes sont des sportifs à part. Nous, nous ne sommes là que pour les aider, c’est leur envie qui fait la différence. Costa n’a jamais forcé personne à remonter sur sa moto, mais il a toujours tout fait pour les aider à le faire, même quand cela semblait impossible. »

LES PILOTES DE GP, DES TYPES HORS DU COMMUN

Et le dopage dans tout ça ? « Il n’y a en jamais eu, réplique Bernard. On a des contrôles sur plus d’un tiers de la saison, et le seul que j’ai vu positif en vingt ans, c’est Anthony Gobert, au cannabis. Costa n’a jamais utilisé de corticoïde­s, et les anesthésia­nts qu’il emploie sur les pilotes sont tous autorisés par la FIM. J’ai eu la chance de côtoyer de nombreux athlètes, et je peux assurer que les pilotes de GP sont des types hors du commun sur le plan de la résistance à la douleur. J’ai vu Schwantz et Capirossi rouler avec des mains en miettes, j’ai vu Randy de Puniet faire le tour d’une table sans boiter, pour obtenir le feu vert du médecin du circuit de Brno, deux semaines après s’être fait poser huit vis dans la cheville. J’ai vu Doohan revenir de l’enfer... La moto est le seul sport où les types savent qu’ils vont vraiment souffrir à un moment ou un autre. Ils ne pensent pas à la mort car sinon ils ne mettraient plus de gaz, mais ils savent qu’ils peuvent se faire très mal. C’est à mon sens ce qui en fait des sportifs différents. Une année, je me suis retrouvé avec Puig et Doohan qui discutaien­t de l’utilisatio­n du frein arrière au pouce qu’on leur avait installé pour les aider à piloter. Alberto était un peu perdu et il demandait conseil à Mick. Les deux ont vécu à peu près la même blessure à trois ans d’intervalle. Ils ont failli l’un et l’autre perdre une jambe. Il y avait une telle intimité entre eux à ce moment- là qu’ils en avaient les larmes aux yeux. C’est le genre de souvenir que personne ne m’enlèvera. De la même manière que j’étais présent en 2008 lorsque Lorenzo a confié à Costa qu’il avait peur de remonter sur sa moto. Il était à saturation psychologi­que, proche de la rupture. Costa était bouleversé, car aucun pilote ne lui avait fait jamais une telle confi dence. Quand tu vis tout ça de l’intérieur, ça te laisse des souvenirs aussi forts qu’impérissab­les. » Il est malheureus­ement d’autres moments que Bernard aurait aimé ne jamais vivre. En vingt ans, le Français a vu trois pilotes mourir : Daijiro Kato, Shoya Tomisawa et Marco Simoncelli. « Ce sont des choses impossible­s à oublier, surtout quand tu es là pour ouvrir les portes de l’ambulance. »

 ??  ?? Grâce au docteur Costa, la clinique mobile a toujours été un lieu de conviviali­té. Les casse-croûte à base de produits locaux font partie de la tradition. Jambon en Espagne, rillettes au Mans, harengs fumés aux Pays-Bas...
Grâce au docteur Costa, la clinique mobile a toujours été un lieu de conviviali­té. Les casse-croûte à base de produits locaux font partie de la tradition. Jambon en Espagne, rillettes au Mans, harengs fumés aux Pays-Bas...

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