GP Racing

PORTRAIT BERNARD FAU

- Par Michel Turco. Photos Enguerrand Lebec et DR.

Pilote GP entre 74 et 83, il s’était promis de raconter le Continenta­l Circus. Son fi lm sortira en novembre.

Pilote de Grands Prix entre 1974 et 1983, aujourd’hui cinéaste, Bernard Fau s’était promis de raconter l’histoire du Continenta­l Circus. Son film devrait être présenté au mois de novembre dans le cadre du Salon Moto Légende.

Trente ans. Le temps qui sépare l’été de l’automne d’une vie. Le temps qu’il aura fallu à Bernard Fau pour mener à bien son ambitieux projet. Ancien pilote de la génération dorée qui écrivit les plus belles pages du sport moto français entre la fi n des années 70 et le début des années 80, celui qui fut aussi l’un des meilleurs privés tricolores en 500 et en 750 s’était promis, le jour où il a raccroché son cuir, de réaliser un long- métrage pour témoigner de cette vie de saltimbanq­ue qui fut la sienne durant plus de dix ans. « Quand tu arrêtes la course, c’est comme une mort, soupire le gaillard aux tempes grises. Quand le truc qui t’a fait vivre disparaît d’un coup, il y a une tristesse, un vide... Surtout quand tu te sens encore capable de faire quelque chose, mais que tu dois tourner la page parce que tu n’as plus d’argent, et plus la bonne moto. » Bernard Fau n’a que trente ans lorsqu’il se retrouve sans guidon à la fi n de la saison 1983. Il s’oriente alors vers les plateaux de cinéma où il devient photograph­e, puis chef décorateur. « J’ai toujours aimé l’image, confesse- t- il. Plus jeune, j’avais préparé les Arts Décos. À l’école, je n’étais bon qu’en sport et en dessin. Mon père m’avait aussi donné le goût des westerns... Alors, quand j’ai arrêté de courir, j’ai commencé à écrire un scénario pour un docu- fi ction que j’avais appelé La Dernière saison. J’ai cependant vite compris que ce genre de projet serait très compliqué à fi nancer en France. Chez nous, la moto n’intéresse malheureus­ement pas grand monde. » La mort dans l’âme, Bernard range alors son projet dans un carton et tourne le dos à sa passion de jeunesse. « J’avais envie de vivre autre chose, rester dans le milieu de la moto ne m’intéressai­t plus. Celui du cinéma m’ouvrait de nouvelles perspectiv­es. »

« COURIR POUR FILMER. FILMER POUR COURIR »

Jusqu’à ce coup de fi l d’Éric Saul qui, trente ans plus tard, lui propose de renfi ler son cuir pour reprendre le guidon d’une 350 TZ Yamaha à l’occasion d’une épreuve de l’Internatio­nal Classic Grand Prix. C’est comme ça qu’à soixante balais, Bernard a reposé son cul sur une moto de compétitio­n. « Les circonstan­ces ont fait que... C’est ma compagne qui m’a dit : “Faut que tu recoures !” Soixante ans, c’est l’âge limite pour recommence­r quelque chose. » Et une belle occasion de reprendre l’histoire où elle s’était arrêtée. « Je m’étais toujours dit que si je devais retrouver le chemin de la piste, ça serait pour faire autre chose. Raconter le passé à travers le présent s’imposait. Courir pour fi lmer, fi lmer pour courir. » Bernard Fau ressort alors du carton son projet abandonné et repart au charbon avec une bande de passionnés. Son fi lm s’appellera Il était une

1-En 1979, Bernard Fau se classe 4e du GP d’Allemagne 500 avec une Suzuki RG compétitio­n-client. 2- L’année précédente, il participe au Bol d’Or avec une Kawasaki Godier-Genoud. 3- Cette même année, il court en endurance pour le compte de Honda France. 4- En 1982, il dispute ses derniers Grands Prix 500. Il précède ici Van Dulmen en d’Argentine. 5- Au Trophée du Million, sur le circuit de Magny-Cours, en 1980.

fois le Continenta­l Circus. Comme une évidence. Raconter le Continenta­l Circus pour laisser une trace et que personne n’oublie jamais Olivier Chevalier, Patrick Pons et Michel Rougerie, les copains tombés au champ d’honneur. « La FFM a décidé de me suivre, Éric de Seynes aussi, puis la Mutuelle des Motards... » Pour réunir les 100 000 euros sans lesquels son projet ne pourrait voir le jour, l’ancien pilote de Grands Prix lance une souscripti­on au travers d’un site Internet dédié. Il est possible d’y pré- commander le DVD du fi lm, de s’offrir une affi che dédicacée, ou encore d’acheter le tirage d’une photo de François Beau ou Stan Perec, voire même de passer un week- end en compagnie de l’équipe de tournage sur l’une des manches de l’ICGP. Dans la lignée du Continenta­l Circus réalisé en 1971 par Jérôme Laperrousa­z et du Cheval de Fer tourné par Pierre- William Glenn en 1974, Bernard Fau veut témoigner d’une époque en utilisant des images d’archives qui dorment dans les tiroirs de l’INA, mais aussi en fi lmant les survivants de cette grande époque. « Je fais un fi lm de famille. On raconte, on met bout à bout des photos, des histoires d’hier et d’aujourd’hui... La moto, c’est une famille, pas une communauté. Cette passion réunit des gens très différents. En tout cas, moi, si je n’avais pas dit non, je n’aurais rien fait de ma vie. » Et la nostalgie dans tout ça ? « Regarder derrière, ça fait partie de la vie, répond le pilote/ réalisateu­r. Quand on a vécu de belles choses, c’est un bonheur de s’en souvenir. De mes années de courses, je n’ai gardé que quelques photos. Sans elles, je me demanderai­s peut- être si

« MA VIE, C’EST CE QUE JE N’AI PAS CÉDÉ AUX AUTRES »

Par le passé, il nous est arrivé de pas être toujours d’accord les uns avec les autres, mais aujourd’hui, à 60 ans, tu aimes les gens avec leurs défauts et leurs qualités. Sinon, ça servirait à quoi de vieillir ? Mais attention, ça n’est pour ça qu’il faut tout accepter. » On l’aura compris, pour Bernard Fau, tout cela reste avant tout prétexte à se replonger dans cette passion qui l’a fait homme. Pour assouvir sa soif d’aventure, n’a- t- il pas commencé par s’affranchir de son père qui ne voulait pas entendre parler de moto ? « Ma vie, c’est ce que je n’ai pas cédé aux autres, résume- t- il. Je ne sais plus qui a dit “Penser, c’est commencer à dire non”... tout cela a vraiment existé. Avec le temps, les sensations s’estompent. » D’où l’idée de remettre le couvert avec les copains. « On reprend l’histoire où on l’a laissée, mais on vit le présent à fond, avec beaucoup de bonheur. Et de nouvelles émotions. C’est comme quand tu revois une femme que tu as aimée passionném­ent après de longues années. Tu peux avoir de la tendresse, mais ça n’est plus pareil. La moto, c’est la même chose, la concentrat­ion, la jouissance, c’est dans le moment présent. Pas dans les souvenirs. » Comme en 2013, Bernard Fau participe cette saison aux sept épreuves de l’ICGP, une compétitio­n qui réunit sur des circuits internatio­naux des 250 et des 350 de Grands Prix fabriquées jusqu’en 1983. À 61 ans, le Parisien s’est repris au jeu, même s’il sait qu’il n’a pas droit à l’erreur : « Si je me fais mal, il n’y a pas de fi lm. C’est aussi simple que ça. Mais il faut quand même accepter l’idée qu’on peut tomber... » Bernard dit avoir retrouvé la course avec les mêmes interrogat­ions qui étaient les siennes ce jour de mai 1971 où il s’était inscrit au départ de la Côte Lapize avec sa G50 Matchless : « Est- ce que je vais y arriver ? Est- ce que je vais être capable ? Est- ce que je ne vais pas avoir peur ? Courir pour fi lmer, fi lmer pour courir, c’était une aventure ambitieuse, un peu mégalo même. Je me suis fait prendre un tour lors de la première course, ensuite j’ai progressé. J’ai même gagné une manche sous la pluie au Ricard. » S’il suit toujours l’actualité des Grands Prix et nourrit respect et estime à l’endroit des pilotes d’aujourd’hui, le réalisateu­r d’Il était une fois le Continenta­l Circus regrette néanmoins, comme d’autres, le romantisme perdu de la course moto et de la vie de ces saltimbanq­ues qui couraient l’Europe d’un circuit à l’autre en tirant le diable par la queue pour la seule joie de se glisser sur une grille de départ. « C’est le constat général d’une époque, souffl e Fau. L’entreprise a gagné, c’est l’histoire de la World Company de Benoît Delépine. Dans les années 70, un pilote était maître de son destin. Il devait attendre d’être majeur pour courir, et c’est lui seul qui prenait la décision de s’engager. Ça n’était ni une usine, ni une équipe qui le faisait pour lui. Comme dans tous les sports, l’argent a changé la donne. Cela ne m’empêche pas d’apprécier les Grands Prix d’aujourd’hui. Quand tu t’installes sur une grille de départ, tu ne peux pas tricher. »

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