GP Racing

PORTRAIT : TITO RABAT

- Par Michel Turco. Photos Jean-Aignan Museau.

Le jeune Catalan est actuelleme­nt en tête du Moto2. Discret et solitaire, il nous a ouvert ses portes.

Longtemps dans l’ombre de ses compatriot­es, plus jeunes, plus brillants, plus médiatique­s, Tito Rabat a tracé sa route pour concrétise­r ses ambitions. À 25 ans, celui qui a rejoint cet hiver le team Marc VDS, pourrait bien réaliser son rêve en devenant champion du monde Moto2. Portrait d’un garçon à la marge.

Michael Bartholemy n’en revient toujours pas. Comment en effet le patron d’une équipe belge, composée essentiell­ement de mécanicien­s anglo- saxons, a- t- il bien pu réussir à piquer à un team espagnol un pilote espagnol qui aurait logiquemen­t dû succéder à Pol Espargaro pour permettre à la structure de Sito Pons de conserver sa couronne ? « Nous n’avions rien de plus à lui offrir, glisse Bartholemy. Le team Pons est une référence en Moto2 et il utilise comme nous des partie- cycles Kalex... » Alors Comment ? « Ils me voulaient vraiment, répond Esteve Rabat. C’était la première fois que je sentais une telle envie à mon égard de la part d’une équipe. J’ai compris qu’ils comptaient sur moi pour gagner, et c’est ce qui m’a convaincu. » Troisième du championna­t du monde Moto2 2013 derrière Pol Espargaro et Scott Redding, passés tous les deux en MotoGP, Tito était bien évidemment convoité par de nombreuses équipes. Mais pour le Catalan, il n’était pas question de lâcher la proie pour l’ombre. Depuis deux ans, la structure de Sito Pons et celle de Michael Bartholemy dominent la catégorie intermédia­ire des Grands Prix. Les moyens engagés, le matériel, l’expérience des technicien­s... Tout est réuni dans ces deux équipes pour briguer le titre de champion du monde. Oui mais alors pourquoi l’un plutôt que l’autre ? D’après Bartholemy, tout s’est joué grâce au cadeau de Marc van der Straten, le Président du team VDS : « Tito voulait une moto pour s’entraîner à Almeria. Marc a accepté de lui mettre à dispositio­n une Kalex pour qu’il puisse l’utiliser à sa guise entre deux Grands Prix. Ce geste l’a défi nitivement convaincu du désir que nous avions de travailler avec lui. » Le circuit d’Almeria, c’est la maison d’Esteve Rabat. Depuis le décès de sa mère il y a deux dans, Tito a quitté Barcelone pour s’installer sur le tracé andalou. « Il n’avait pas envie de rester auprès de son père et de sa bellemère » , confi e l’un de ses proches. Après avoir un temps vécu dans un appartemen­t du centre- ville d’Almeria, le pilote espagnol en a rendu les clés pour s’installer à même le paddock avec son motorhome. « Il est là- bas chez lui, témoigne Bartholemy. Après le Grand Prix d’Espagne, nous y sommes allés avec toute l’équipe. Même Marc et sa femme étaient là. Tito était fou de joie de nous y accueillir. Le directeur du circuit a mis un garage à sa dispositio­n. Il y entrepose ses motos, mais aussi tout le matériel pour les entretenir, de la machine à monter les pneus aux outils pour changer de moteur. Et il passe ses journées à s’entraîner. »

UN STAKHANOVI­STE DE LA POIGNÉE DE GAZ

Autodidact­e, Esteve Rabat sait tout faire sur ses machines. Et à Almeria, les terrains de jeux ne manquent pas. « Je peux m’entraîner sur le circuit de vitesse, explique le pilote Marc VDS, mais aussi rouler en Supermotar­d, faire du cross, du VTT... Et quand je ne roule pas, eh bien je me repose dans mon motorhome. » Stakhanovi­ste de la poignée

de gaz, Tito ne quitte Almeria que pour aller sur les GP, ou bien s’entraîner avec Marc et Alex Marquez du côté de Cervera. « Ce sont mes meilleurs amis, affi rme le leader du championna­t Moto2. On fait du dirt- track et du motocross ensemble. Marc m’a beaucoup appris. J’ai modifié ma façon de piloter grâce à lui, en ouvrant mes guidons et en mettant plus de poids sur l’avant de la moto. Comme lui, j’ai souvent les coudes qui frottent par terre. »

TOUT DE SUITE MIEUX EN MOTO2 AVEC SON GABARIT

Jusqu’à l’an dernier, hormis les spécialist­es, personne ne connaissai­t vraiment Tito Rabat. Il est vrai que le garçon a mis du temps à trouver sa vitesse de croisière. Fils d’un riche bijoutier de Barcelone, pilote automobile à ses heures, Tito a eu très tôt des jouets à moteur pour s’amuser. « À 11 ans, j’ai su que je voulais faire des courses moto, se souvient- il. J’ai commencé par du Supermotar­d, puis je suis passé à la vitesse vers l’âge de 14 ans, en Supersport, avec une 600 Honda CBR. » En 2005, Raul Romero lui offre une place dans l’équipe BQR pour disputer le championna­t d’Espagne 125 et quelques courses de championna­ts d’Europe. L’année suivante, le passage d’Aleix Espargaro en 250 lui permet de débuter en Grands Prix. « C’était diffi cile, le team n’avait pas de gros moyens et notre matériel n’était pas top » , raconte Tito. L’année suivante, Alberto Puig l’engage au sein de son équipe Honda Repsol Junior, et lui permet de monter sur son premier podium, au GP de Chine. « Malheureus­ement, on s’est retrouvé l’année suivante avec des KTM qui cassaient sans arrêt et je n’ai pas pu concrétise­r ce que j’avais montré en 2007. » Tito perd sa place et revient chez BQR où on lui propose une Aprilia RSA. « La moto était performant­e mais on avait du mal à l’exploiter correcteme­nt. En plus, je n’avais pas vraiment le gabarit pour briller dans cette catégorie. J’ai tout de même réussi à monter à deux reprises sur le podium en 2010. » Et à fi nir ainsi à la sixième place du championna­t du monde 125. En 2011, Raul Romero lui permet de passer en Moto2 avec un châssis FTR. « Je me suis tout de suite senti mieux dans cette catégorie, poursuit Tito. Le gabarit de la moto me convenait davantage, et puis tout le monde avec le même moteur, ça fait de belles bagarres. » Dixième du classement général, il passe ensuite chez Sito Pons où il continue à progresser et à tutoyer les places d’honneur. Sans pour autant parvenir à se faire une place sur le podium. « Tito avait du mal à fi nir ses courses, se souvient l’un de ses mécanicien­s. En fait, il avait tellement souffert en 125 de son gabarit qu’il s’était imposé un régime draconien pour perdre du poids. Et sans s’en apercevoir, il s’était retrouvé avec pas mal de carences qui l’affectaien­t en course. C’est en s’entraînant avec Marquez qu’il a mis le doigt là- dessus. Il a rectifié le tir et on a vu très vite la différence. » Septième du championna­t en 2012, il remporte ses premières courses l’année suivante et termine à la troisième place du classement général derrière Espargaro et Redding. On connaît la suite. « Pour moi, Tito a toujours été le pilote capable de remplacer Scott, affi rme Michael Bartholemy. J’étais persuadé qu’il avait les capacités pour jouer un titre de champion du monde mais qu’aucune équipe ne lui avait encore permis d’exploiter son potentiel à 100 %. Quelque chose me disait que notre famille pouvait l’aider à y arriver. D’ailleurs, dès notre première discussion, j’ai compris qu’il ne manquait que d’une seule chose chez

« CETTE ÉQUIPE ME VOULAIT VRAIMENT, C’EST LA PREMIÈRE FOIS QUE JE SENTAIS ÇA »

TOUS LES ATOUTS POUR SUCCÉDER À ESPARGARO

Pons : de la reconnaiss­ance. Et si ça colle si bien aujourd’hui entre lui et nous, c’est parce qu’il se sent super bien humainemen­t. Pour Marc, tous les membres de l’équipe font partie de sa famille. Tito apprécie cette attitude. » Avant d’accepter l’offre du team Marc VDS, Rabat avait toutefois tenté d’imposer ses conditions à Sito Pons. Pour rester avec l’équipe espagnole, le Catalan voulait que Santi Mulero, le directeur technique du team Pons HP 40, soit mis à son entière dispositio­n durant les week- ends de Grands Prix. Sito a refusé, et Tito s’en est allé. Auteur d’un remarquabl­e début de saison, le protégé de Marc van der Straten ne regrette bien évidemment pas son choix. « Mon équipe technique est formidable, affi rme- t- il. Ils me comprennen­t et m’aident à progresser en me fournissan­t le matériel dont j’ai besoin. » À 25 ans, Esteve Rabat possède aujourd’hui tous les atouts pour succéder à Pol Espargaro au palmarès du championna­t du monde Moto2. « Sa déterminat­ion et son implicatio­n sont sans faille, se réjouit Bartholemy. Même s’il est curieux et qu’il s’intéresse aux gens avec qui il travaille, il n’y a que la moto dans sa vie. Après, il a encore un peu tendance à être parfois trop nerveux. Il se stresse vite quand on rencontre des problèmes aux essais. Mais il progresse. L’an dernier, il lui arrivait régulièrem­ent de faire des erreurs en début de course à cause de sa fébrilité. C’est moins le cas aujourd’hui. »

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