GP Racing

PORTRAIT ROMAGNOLI

- Par Michel Turco. Photos Jean-Aignan Museau.

Daniele Romagnoli, un temps manager de Lorenzo, est aujourd’hui chef mécano de Crutchlow.

Arrivé en Grands Prix par la petite porte, Daniele Romagnoli y a grimpé tous les échelons et occupé diverses fonctions. Un temps team manager de Jorge Lorenzo, il officie depuis quatre ans comme chef mécanicien aux côtés de Cal Crutchlow.

Hervé Poncharal n’a jamais oublié le jour où Daniele Romagnoli lui a dit oui. C’était à la fi n de la saison 2009. L’Italien venait de quitter l’équipe Yamaha Factory, où il occupait depuis deux ans le poste de team manager de Jorge Lorenzo, pour incompatib­ilité d’humeur avec Ramon Forcada, le chef mécanicien du pilote espagnol. « Je lui ai proposé de s’occuper de Raffaele De Rosa en Moto2, raconte le patron du team Tech3. J’avais besoin d’un chef mécanicien qui parlait italien et si possible français. À ma grande surprise, Daniele m’a tout de suite dit oui. Je lui en serai toujours reconnaiss­ant. » Romagnoli restera quatre ans avec l’équipe française. « Il ne nous a laissé que de bons souvenirs, poursuit Poncharal. C’est un vrai passionné. Contrairem­ent à beaucoup d’autres, il ne se regarde pas le nombril. Il a accepté de repartir en bas de l’échelle avec un jeune pilote, en étant moins bien payé, en oubliant les voyages en classe affaires... En quatre saisons passées chez nous, je ne l’ai jamais entendu se plaindre de quoi que ce soit. C’est vraiment un super mec. » Né le 13 janvier 1966 à Urbino, dans les régions des Marches, Daniele Romagnoli a découvert la passion de la compétitio­n moto à l’âge de cinq ans, grâce à son père. « Il a commencé à m’emmener voir des courses sur les circuits de la région : Riccione, Pesaro, Urbino... Il y en avait un peu partout autour de chez nous. » S’il ne nourrit jamais l’ambition de prendre le guidon de l’une de ces motos qui le font rêver du bord de la piste, Daniele entretient sa passion de la course avec les récits des pilotes, mais aussi avec la technique qu’il apprécie tout particuliè­rement. « Je ne faisais déjà rien comme les autres, plaisante- t- il. Quand tout le monde idolâtrait Agostini, je faisais de Pasolini mon héros. » Plus tard, ce sera Biaggi plutôt que Rossi. C’est après des études supérieure­s d’électroniq­ue qu’il a la chance de mettre un pied chez MBA. « L’un de mes profs, qui habitait Pesaro, connaissai­t bien le patron de MBA, se souvient Daniele. Dans le cadre de mes études, j’avais fabriqué un boîtier électroniq­ue avec un ordinateur qui permettait de modifi er la courbe d’allumage. Je suis allé lui proposer, on l’a essayé sur la moto de Casoli, et c’est comme ça que tout a commencé... » S’il trouve du boulot dans une boîte spécialisé­e dans l’éclairage des théâtres et des discothèqu­es, Romagnoli sème en championna­t d’Italie et bientôt en Grands Prix. « Dès que j’avais du temps libre, je bricolais des boîtiers d’allumage que j’allais installer sur les 125 des teams Semprucci, Matteoni... Je profi tais de mes vacances pour faire quelques Grands Prix : Misano, Brno, Assen... Cela m’a aussi permis d’apprendre la mécanique. Giancarlo Cecchini m’avait prêté une 125 que j’ai démontée jusqu’à la dernière vis. » De fi l en aiguille, il fi nit bien évidemment par trouver du boulot à plein- temps dans ce milieu qui le fascine depuis le plus jeune âge. En 1992, il intègre le team Semprucci en tant que mécanicien d’Ezio Gianola. Au guidon d’une Honda RS, le pilote italien termine à la quatrième place du championna­t du monde. « C’était le baptême du feu, s’enfl amme Romagnoli. On a gagné quatre Grands Prix, j’avais 25 ans, je découvrais le monde... » L’année suivante, toujours avec la même équipe, il s’occupe de l’acquisitio­n de données des 250 RS Kit de Carlos Checa. « C’était le début des ordinateur­s dans les garages, il y avait plein de choses à découvrir, à mettre en place... En 1994, Carlos a terminé meilleur pilote privé. C’était une belle saison, je m’occupais aussi de l’acquisitio­n des 125 de Noboru Ueda qui, cette année- là, termine à la 2e place du championna­t. On portait alors les couleurs de Givi Racing. » Deux ans plus tard, Romagnoli change de boutique pour travailler avec Emilio Alzamora et Haruchika Aoki chez Matteoni. Ce sera ensuite le team PlayLife d’Olivier Liégeois. « Il s’occupait d’Azuma et moi de Melandri. On a fait une très belle saison en 1999, Marco ne loupant le titre face à Alzamora que d’un seul point. » C’est en 2002 que Daniele découvre un autre monde en intégrant l’équipe Yamaha MotoGP offi cielle. C’est la première saison pour les moteurs quatre- temps, et le technicien italien se retrouve en charge de l’acquisitio­n de données des M1 de Carlos Checa. Passionné et conscienci­eux, il devient vite un élément clé du dispositif de la marque aux trois diapasons. Aussi, quand Colin Edwards débarque en 2005 pour faire équipe avec Valentino Rossi, Davide Brivio lui offre le poste de chef mécanicien. Trois ans plus tard, quand le Texan part chez Tech3 pour laisser sa place à Jorge Lorenzo, Romagnoli prend du galon pour devenir team manager du double champion du monde 250. « Au départ, le job ne me disait qu’à moitié car ce qui me plaît dans la course, c’est avant tout la technique, confi e l’Italien. Mais comme Yamaha voulait mettre un Espagnol avec Jorge, je n’avais pas le trop le choix si je voulais rester dans l’équipe. Cette expérience a fi nalement été très enrichissa­nte, j’ai découvert un autre aspect du métier. Gérer une équipe, faire l’interface avec les médias, s’occuper de la logistique et de l’organisati­on... Et puis aussi l’aspect psychologi­que du pilote pour

le mettre en confi ance, l’aider à progresser. Ma plus belle satisfacti­on a été la victoire à Estoril, pour notre troisième Grand Prix. On avait déjà fait trois pole positions, mais là, c’était la première fois que le côté droit du garage gagnait une course ! Jorge m’a vraiment marqué comme pilote. Sa capacité à répéter le tour parfait de bout en bout d’un GP est quelque chose d’exceptionn­el. Tout comme est fascinante la possibilit­é de détailler ses acquisitio­ns de données. Sa vitesse de passage en virage est tout simplement époustoufl ante. » En 2009, alors que le pilote espagnol termine à la deuxième place du championna­t derrière Rossi, Romagnoli doit quitter l’encadremen­t de l’équipe Yamaha. « Le courant ne passait pas avec Forcada, explique l’Italien. Il savait que j’étais avant tout un technicien, et il avait du mal à accepter l’idée que je puisse avoir un regard sur son travail. Notre cohabitati­on n’était plus possible, c’est pour cela que je suis parti. » Dans la foulée, il redescend quelques marches pour se glisser dans le garage Tech3, en Moto2, avec Raffaele De Rosa. « C’était un super challenge de travailler avec Guy et Nicolas pour développer la Mistral, dit- il. On avait une petite équipe, une moto artisanale et un jeune pilote qui avait tout à apprendre. Ça a été compliqué, Raffaele était tout le temps par terre, mais l’expérience a été aussi intéressan­te qu’enrichissa­nte. » Et elle lui a permis de retrouver la catégorie MotoGP dès la saison suivante. « Hervé m’avait dit que l’occasion se présentera­it, poursuit Romagnoli. L’arrivée de Cal a été celle- ci. » L’affaire n’était pourtant pas gagnée pour l’Italien. En arrivant chez Tech3, Crutchlow a fait en effet des pieds et des mains pour emmener dans ses bagages le chef mécanicien allemand qui travaillai­t avec lui en Superbike. Poncharal s’y est opposé, et le pilote britanniqu­e ne l’a certaineme­nt pas regretté puisqu’en signant chez Ducati pour la saison 2014, il a exigé du constructe­ur de Borgo Panigale que Daniele l’accompagne. « C’est un super pilote mais surtout un type génial, dit de Cal son chef mécanicien. Même si nous n’avons toujours pas réussi à gagner un Grand Prix, j’ai eu avec lui d’énormes satisfacti­ons. Lors de sa première année en MotoGP, il était beaucoup trop brutal et agressif dans son pilotage. Il prenait les freins très fort, ce qui déstabilis­ait la moto. Idem à la sortie du virage, il ouvrait les gaz brutalemen­t et faisait patiner son pneu arrière. Il avait aussi tendance à violenter la moto dans les changement­s de direction, ce que la Yamaha n’apprécie guère. Il a pris Lorenzo pour modèle, car c’est lui qui pilote le mieux la M1, et il a fi ni par progresser. Il est devenu plus doux avec les freins et à l’accélérati­on, il a réussi

LE COURANT NE PASSAIT PAS AVEC FORCADA, ALORS JE SUIS PARTI

à relever plus tôt sa moto pour exploiter correcteme­nt la surface de contact au sol du pneu arrière. Il s’est mis à se déplacer avec plus de souplesse pour optimiser la répartitio­n du poids... Avoir réussi à l’aider à modifi er son pilotage restera une grande satisfacti­on. On a mis trois ans pour y parvenir, mais les résultats nous ont donné raison. » Reste désormais aux deux hommes à faire aussi bien chez Ducati. « Ça, c’est une autre histoire, glisse Romagnoli. Il faut aujourd’hui que l’on remette en question tout ce que l’on a fait depuis trois ans car la Desmosedic­i n’est pas une machine facile comme la Yamaha. C’est une moto qui tourne mal. On attend avec impatience la nouvelle sur laquelle travaille Dall’Igna, car nous sommes arrivés au bout des réglages de la GP14, que ce soit au niveau de la géométrie, des positions ou de l’électroniq­ue. » Comme Crutchlow, Romagnoli s’attendait à vivre une saison 2014 diffi cile. Le voilà servi. « Développer une nouvelle moto est toujours un vrai challenge, positive- t- il. Et puis quand on est Italien, travailler pour un constructe­ur italien comme Ducati, c’est un rêve. En tout cas, ça l’était pour moi. Il y a ici des gens vraiment passionnés, une véritable culture de la course et de la mécanique. J’en apprends tous les jours, c’est un peu comme si j’étais retourné à l’université. Et même si c’est diffi cile, je suis sûr que ça va marcher. » Mais s’il est fi er de porter les couleurs de l’équipe offi cielle Ducati, le chef mécanicien de Cal Crutchlow n’en démord pas : la meilleure équipe du paddock, elle est française. « Il y a chez Tech3 les mécanicien­s les plus passionnés que je connaisse, affi rme l’Italien. Dans les équipes offi cielles, tu as souvent des gars qui bossent comme des fonctionna­ires, qui font la gueule dès que tu leur dis, à 20 h 00, qu’il faut démonter une boîte de vitesses. Chez Tech3, tout le monde travaille dans la bonne humeur, avec un super état d’esprit et en essayant toujours de faire le boulot à la perfection sans jamais regarder l’heure. C’est même parfois trop ! » Quand il rentre chez lui, Daniele Romagnoli essaie de passer un peu de temps avec ses deux fi lles, âgées de seize et dix- huit ans. « Je me vide aussi la tête en faisant du jardinage ou en sortant mon VTT. Je bricole des boîtiers d’allumage, j’entretiens ma 500 Honda Four et ma 125 Honda RS et puis surtout, je continue à étudier l’électroniq­ue car c’est un domaine qui évolue très vite et où il y a toujours de nouvelles choses à connaître. » Et si un jour il doit quitter les Grands Prix – ce qu’il espère le plus tard possible –, l’élégant Daniele s’est promis de se mettre au saxophone. Mais cette fois pour en jouer, pas pour en nettoyer la culasse.

DÉVELOPPER UNE NOUVELLE MOTO EST TOUJOURS UN VRAI CHALLENGE

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