GP Racing

Portrait Lucas Mahias........

Ô combien atypique, le parcours sportif de Lucas Mahias est vallonné. De creux en bosses, il l’a emmené jusqu’au titre de champion du monde d’endurance l’an dernier, et le porte aujourd’hui à se battre pour celui du Supersport mondial. Portrait.

- Par Jean-Aignan Museau.

Un parcours étonnant, un garçon attachant.

Mahias a mis du temps à tutoyer les sommets. Mais son arrivée tardive sur les hauteurs du sport moto, il la résume en quelques mots : « Je n’avais pas un rond. » Pourtant, la famille a la moto dans le sang. Ses parents s’adonnent à de longues virées pendant que Lucas dévore la presse moto. Petit, il se fabrique des sliders en bois pour tenter de frotter les genoux lorsqu’il fait du vélo. Pour autant, il n’a pas le droit à autre chose qu’un pédalier sous son guidon. Son père veut des résultats scolaires... et Lucas ne s’intéresse pas au sujet. Jusqu’au moment où il intègre un CAP de mécanique moto. En parallèle, il passe tous ses moments libres dans une concession qui vient d’ouvrir pas loin de chez lui. Il en profi te, malgré l’interdicti­on paternelle, pour se frotter à l’enduro. Et se monter un scooter pour s’adonner au stunt : « Comme tout se faisait en cachette de mon père, ma mère me couvrait pour tout. Lorsque je rentrais tout frotté, j’allais directemen­t dans ma chambre : ma mère comprenait qu’elle devait me rejoindre... avec du mercurochr­ome. » À l’école, un prof se prend d’amitié pour le garçon et lui propose de s’essayer à la piste. Avec la complicité de Pierre Monneu, le concession­naire, il se bricole une vieille Kawa ER- 5 réformée d’une moto- école. Il se pointe à un stage. Il y rencontre Serge Nuques. Le Chevalier de Groland se souvient de ce jour de 2007 : « Quand, au premier stage où il est venu, je l’ai vu poser le genou par terre, qu’il réalisait à la lettre tout ce que je lui conseillai­s de faire, je me suis dit qu’il grimperait un jour ou l’autre sur le podium d’un championna­t du monde. » Sans le permis, et toujours sans permission paternelle, emmené discrèteme­nt par sa mère, il mange des sandwichs, dort sous la tente, récupère de vieux pneus dans les bennes à ordure et n’hésite pas à faire le tour du paddock pour gratter quelques litres d’essence.

DE NOMBREUSES TRAVERSÉES DU DÉSERT

L’année suivante, il s’inscrit à la Power Cup Michelin, décide un copain qui a une voiture et une remorque de s’y aligner également et termine deuxième de l’épreuve après moult péripéties. À la fi n de saison, Serge Nuques lui propose de disputer la fi nale du Promosport. Son condiscipl­e de la Power Cup lui vend sa Yamaha à vil prix. Nuques actionne ses réseaux et lui fournit l’équipement : « J’ai tout chargé, et je me suis arrêté cinq ou six fois sur la route pour ouvrir le coffre de la Golf afin de tout

regarder en me disant : “Tout ça est à moi.” » À la première course, il pulvérise la Yamaha dans la courbe Dunlop, faute d’avoir emmené les couverture­s chauffante­s sur la pré- grille. À la deuxième course, il casse son moteur dès la première journée d’essai. Au moment de remballer, Peter Polesso lui propose un moteur. Et si aujourd’hui, il n’a plus de souvenirs de la course, Polesso a gagné l’amitié Mahias. Et réciproque­ment. Yamaha lui offre une moto neuve : « Je l’ai ensuite

gardée trois saisons. Dont une année où je suis tombé plus d’une quarantain­e de fois. J’ai appris à ne pas lâcher la moto pour ne pas la casser. Je n’ai jamais broyé une boucle arrière... parce que je savais que ce serait le début des ennuis. Ça me sert encore aujourd’hui. » Il termine, satisfait pour sa première saison de courses, à la quatrième position. Le challenge Pirelli, dans le cadre du championna­t Superbike, tente le duo. À l’exception d’une chute, il fait carton plein : « Là, on se dit qu’avec le titre en Pirelli 600 et une telle domination,

on va trouver un guidon offi ciel... » Mais ça ne le fait pas. Rétrospect­ivement, Lucas soupçonne que les farces dont ils raffolent avec Serge passent mal dans le milieu. Jamais rien de méchant, mais quelques déguisemen­ts sur la grille de départ suffi sent à donner une image de farceurs au tandem, plus que de sportifs de haut niveau. Il enchaîne les piges, avec de jolis coups d’éclat. Pour autant, il n’a pas de guidon. Il appelle Polesso, qui lui trouve une place dans sa structure. Il remporte l’ouverture du championna­t de France Supersport 2011 au Mans. Ça ne suffi t pas pour lui ouvrir les bonnes portes. Il continue à crédit, avec une quarantain­e de chutes à la clé, et signe la neuvième place du championna­t. Tout en développan­t la technique de ne jamais lâcher sa moto dans une chute pour éviter les dégâts. À l’automne, Louit Motos lui propose de tester sa moto en vue de disputer les 24 Heures du Mans. Il pulvérise la Kawa toute neuve. Son aventure s’arrête là, bassin cassé. Deux petits tours sans

résultat en CEV et un hiver encore sans contact. 2012 est donc synonyme de traversée du désert. Une de plus. Mahias bricole à droite, à gauche, et s’offre quelques piges en endurance. Il perd neuf kilos en un mois : « Du sport, à fond. J’en avais jamais fait. Je continue à en faire, mais je n’aime toujours pas ça » , avoue- t- il en préférant cinq heures de motocross. Mais il lui faut aussi résoudre le handicap provoqué par

ses chutes à répétition : « Je me suis puni. J’allais rouler tous les jours sur une piste de karting avec une Yamaha 125 YZF, comme celle avec laquelle Zarco s’entraînait. J’enchaînais deux séances de 30 tours en m’obligeant à garder le chrono de chaque tour dans une fourchette de 3 dixièmes de mon meilleur temps. Et en cas de chute, je terminais le temps de roulage par de la course à pied. Ce que je déteste le plus. » Presque la méthode Fellon, mais en automédica­tion. Il attaque la saison avec une MV qui casse dès la première course. Fontan et le team Dark Dog le récupèrent. Le contrat est signé pour 2014. Lucas gagne les douze manches, décroche les six pole et se voit offrir une place de quatrième pilote dans le team GMT. « Je franchis un cap. C’est la première fois que je me retrouve dans une équipe où je n’ai qu’à me concentrer pour rouler. C’était magique. » Il signe avec le team Intermoto pour une Kawasaki, en vue du championna­t du monde Supersport. « L’équipe n’était pas top. En fait, avec Garcia, j’étais en championna­t de France avec une équipe de Mondial. Avec Intermoto, c’était l’inverse. » À cinq tours de la fi n, alors qu’il est troisième, son pneu arrière part en lambeaux et le contraint à l’abandon. En Thaïlande, il fi nit quatrième. « Le carnage a commencé après. Les billets d’avion arrivaient au dernier moment, il n’y avait plus de pièces pour les motos. Jusqu’à ce que le team disparaiss­e... » Énième rebondisse­ment, il échoue chez Favasuli pour continuer le Supersport sur une Yam’. Il s’offre son premier podium en Mondial à Magny- Cours. Après un hiver studieux, il se sent au point pour 2016. Patatras, le team s’écroule, faute de moyens. Avec son pote Gregg Black, il se retrouve au départ des 24 Heures du Mans. Ils arrivent au pied du podium, avec le meilleur temps en course. Christophe Guyot le débauche pour la suite de la saison. Entre- temps, une pige en Superbike mondial avec le team Pedercini pour remplacer Sylvain Barrier, blessé, manque de tourner au drame lorsqu’il se blesse à Imola.

« CE N’EST PAS DANS MA NATURE DE RESTER PASSIF »

Vertèbres touchées, il loupe trois courses : « Une nouvelle fois, je pensais avoir construit quelque chose, et une nouvelle

fois, il a fallu repartir de zéro. » L’endurance lui apporte la paix. Après une victoire aux 12 Heures de Portimao, il se retrouve en tête du championna­t du monde d’endurance. Place qu’il ne quittera plus jusqu’à Suzuka, où il décroche la couronne mondiale. Et la confi ance de Yamaha. Ce qui lui vaut un tapis rouge pour disputer le championna­t du monde de Supersport dans le team offi ciel. En l’absence de Sofuoglu – la terreur de la catégorie, blessé aux essais de l’épreuve d’Australie –, Lucas en profi te pour empiler les bons résultats. Second à Phillip Island, il est en passe de gagner l’épreuve de Buriram lorsque sa mécanique le trahit. Il remporte la troisième course disputée en Aragon. C’est au quatrième rendez- vous de la saison que Sofuoglu fait son retour. Un retour gagnant. Il s’impose sur les quatre courses suivantes, alors que Mahias enchaîne trois secondes places avant de chuter à Misano. Avec deux résultats blancs, contre trois à son adversaire, Lucas est parti en vacances toujours leader avec seulement cinq points d’avance au championna­t. Déjà, au soir de Buriram, alors que Kenan était encore sur son lit d’hôpital, il prédisait que son pire adversaire pour le titre serait Sofuoglu... « Et il est revenu. C’est le roi de la catégorie, avec dix ans d’expérience. Nous, nous avons une nouvelle moto, une nouvelle équipe et nous ne pouvons pas être à 100 % partout. Maintenant, je ne regrette pas ma chute de Misano. Jusque- là, j’avais assuré des deuxièmes places. Mais il fallait tenter de gagner, de rouler à fond. Avant Misano, si Kenan gagnait toutes les courses jusqu’à la fin de la saison et que je terminais tout le temps deuxième, il décrochait le titre. Ce n’est pas dans ma nature de rester passif... Maintenant, nous arrivons sur des circuits que je connais mieux. Le seul moyen de le pousser à la faute est de lui mettre la pression. Mais c’est un garçon au pilotage imprévisib­le, et rien n’est facile avec lui. »

« LE SEUL MOYEN DE POUSSER SOFUOGLU À LA FAUTE EST DE LUI METTRE LA PRESSION »

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Si ça n’a pas toujours été le cas, à 29 ans, Lucas a apaisé les relations avec son père avec qui il pose, en compagnie de sa maman, devant le garage familial. Mis à part une casse mécanique et une chute, Mahias est monté sur tous les podiums. Avec sa...
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