La centrale inertielle ..........
Gros plan sur le capteur de rêve des ingénieurs.
Avec une sixième place comme meilleur résultat au Grand Prix d’Autriche, Yamaha compte désormais 21 courses consécutives sans succès. En cause, l’électronique, selon Valentino Rossi et Maverick Viñales, les deux représentants offi ciels de la marque aux trois diapasons. Alors que Ducati et Honda se partagent les victoires depuis plus d’un an, Yamaha peine à retrouver la plus haute marche du podium. Tant et si bien que la fi rme d’Iwata a fait récemment appel aux services de Michele Gadda, prodige de l’électronique ayant fait ses armes chez Ducati, mais aussi chez Yamaha en Mondial Superbike. Avec l’introduction du boîtier électronique ( ECU) Magneti Marelli couplé au logiciel unique en 2016, les constructeurs n’ont plus autant de marge de manoeuvre qu’auparavant pour apporter leurs stratégies les plus abouties. Avant 2016, l’électronique était à un tel niveau que « les Honda étaient même capables de s’adapter automatiquement à l’usure du pneu arrière sans que le pilote n’ait besoin de changer le mapping » , nous avait alors confi é Loris Baz. Pour compenser les performances parfois inférieures liées à l’antiwheeling, les ailerons ont fait leur apparition avant d’être interdits en 2017 pour limiter, notamment, les dépenses liées à leur développement. La réponse des usines ne s’est pas fait attendre avec l’arrivée des carénages dits aérodynamiques. Ces appendices externes plus ou moins importantes ne sont toutefois que la partie visible de l’iceberg. En coulisses, les ingénieurs électroniques profi tent de la centrale inertielle ( IMU, Inertial Measurement Unit) pour développer de nouvelles stratégies. Sur le papier, la centrale inertielle n’est qu’un capteur plus avancé, pourvu de plusieurs accéléromètres et gyroscopes dans les trois directions de l’espace : « Elle permet de connaître à tout moment la position exacte de la moto, explique Nicolas Goyon, chef mécanicien de Hafi zh Syahrin dans le clan Yamaha Tech3. C’est un capteur qui permet de connaître l’angle de la moto et qui fi gure parmi les éléments les plus importants pour régler l’électronique. »
« ON EST TOUJOURS À LA LIMITE DU RÈGLEMENT »
Celui- ci est toutefois pourvu d’un processeur capable d’effectuer des calculs dont les résultats sont transmis au boîtier électronique : « L’ECU est un calculateur qui reçoit des données de différents capteurs de la moto, dont la centrale inertielle, pour ensuite les
traiter. Il en sort alors des “effecteurs” qui actionnent des moteurs, lesquels peuvent par exemple jouer sur l’allumage ou sur les papillons contrôlables électroniquement. En fonction de ce qui rentre, on joue sur ce qui en sort. Avant l’unifi cation de l’ECU, chacun était, grosso modo, libre de ses calculateurs, ajoute Goyon. Certains étaient capables de calculer avec précision des paramètres, comme l’angle de la moto. Depuis la standardisation, certains constructeurs manquaient peut- être de précision par rapport à ce qui se faisait avant. » Et c’est justement pour pallier cette faiblesse que quelques ingénieurs auraient pensé utiliser la centrale inertielle pour réaliser d’autres calculs plus approfondis. Le règlement ( 2.4.3.5.3. b. i du 9 août 2018) précise pourtant bien qu’il est interdit de « surcharger » de quelque manière que ce soit les stratégies du boîtier offi ciel. Mais c’est quelque chose qu’il est bien évidemment diffi cile de contrôler sur les 24 machines du plateau MotoGP ( 48 au total). D’où l’intérêt de le standardiser pour limiter le développement et les coûts associés : « L’objectif d’unifi er la centrale réside dans le fait que celle- ci est en fait un élément déporté du boîtier, explique Corrado Cecchinelli, directeur de la technologie du MotoGP. Par chance, il est juste distant, mais d’un point de vue logique, c’est une partie du boîtier. » Pour Nicolas Goyon, l’IMU unifi ée permettra de mettre tous les constructeurs sur un pied d’égalité : « Il y a effectivement des suspicions de calculs supérieurs à ce qui pourrait être autorisé dans la centrale inertielle. On imagine qu’il y a un petit calculateur dans la centrale qui donne des informations plus précises au boîtier que ce qu’elles devraient être. En tout cas, on est toujours à la limite du règlement et la standardisation donnera la même base à tout le monde. » Et Corrado Cecchinelli de préciser : « Il y a des capteurs au sein de l’ECU, mais ils ne sont généralement pas aussi performants que ceux d’une plateforme inertielle matérielle externe. En principe, c’est un élément du boîtier, car la centrale est considérée, à tort, comme un simple capteur.
« LE BUT EST D’ASSURER LA SÉCURITÉ DU SYSTÈME »
C’est un boîtier de capteurs qui contient une carte- mère capable d’appliquer des algorithmes sur les données pour calculer ce qui n’est pas mesuré. Avec les données de changements d’angle et la vitesse d’inclinaison ou encore la vitesse de la moto, il est possible de faire des calculs. C’est en fait une partie de l’ECU, et il
« MÊME SI CERTAINS ONT DE L’AVANCE DANS CE DOMAINE, ON NE PEUT PAS RÉDUIRE LES PROBLÈMES DE YAMAHA À UN CAPTEUR » N. GOYON
y a là une porte ouverte à la triche. » C’est donc pour garder le contrôle sur cet élément de l’électronique qu’il a été décidé de l’unifi er à partir de 2019 : « Il y a également le fait de réduire l’écart technique et, à moyen terme, celui d’économiser de l’argent […] mais l’effet principal est d’assurer la sécurité du système. Vous pouvez faire ce que vous voulez avec une centrale non unifi ée. » Quant à savoir si certaines usines se sont glissées dans cette brèche, la question reste ouverte : « Je ne suis pas au courant de cela, mais il y a clairement un risque et des rumeurs » , continue Corrado Cecchinelli. Danny Aldridge, directeur technique du MotoGP, assure de son côté n’avoir rien vu de tel : « Nous n’avons jamais attrapé quelqu’un, déclare- t- il. De notre point de vue, la réponse est non et personne ne l’a fait. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas possible. En gros, nous fermons juste la porte pour l’avenir. Il semblerait que sous prétexte que nous avons introduit une centrale unique, tout le monde pense qu’il y a eu de la triche ! Ce n’est pas la raison de ce changement, mais nous avons compris que cela était possible. Nous calmons les rumeurs, c’est ce qui nous importe. »
« CHAQUE CHANGEMENT DOIT ÊTRE APPROUVÉ PAR LES CONSTRUCTEURS »
Pourtant, certains ingénieurs restent persuadés que la standardisation de l’IMU ne fait que de déplacer le problème puisque d’autres capteurs, peut- être moins performants, peuvent, eux aussi, disposer d’un processeur : « En quelque sorte oui, avoue Danny Aldridge. Mais encore une fois, nous n’avons rien entendu de tel. Si cela est possible, alors c’est quelque chose que nous analyserons. » À l’image de l’ECU unique, c’est Magneti Marelli qui fournira la centrale inertielle la saison prochaine : « Nous n’aimons pas ça. Nous préférons offrir aux usines la liberté d’équiper leur moto de leurs propres produits et d’utiliser ce qu’ils estiment être le mieux pour eux. » Dès 2019, la centrale inertielle Marelli suivra un processus de développement identique à celui du boîtier électronique : « La centrale est conçue par Magneti Marelli, ce qui rend les choses beaucoup plus simples, explique Danny Aldridge. Aujourd’hui, chaque changement à apporter au boîtier et requis par nous, les organisateurs, doit être approuvé par les constructeurs et nous en assurons les coûts. Lorsque ce sont les usines qui demandent une modifi cation à l’ECU ou à la centrale inertielle, cela n’a aucun effet sur ce que nous faisons. Nous nous mettons d’accord et ce sont eux qui garantissent les coûts du développement. C’est ainsi que ça fonctionne, mais les deux parties doivent être d’accord. » La centrale inertielle pourrait- elle être la source des ennuis rencontrés par Yamaha ? Nicolas Goyon assure que non : « Ce n’est pas ça. Il y a certainement des constructeurs qui ont de l’avance dans ce domaine, mais on ne peut pas réduire les problèmes de Yamaha à un capteur. » Michele Gadda va donc devoir mettre les bouchées doubles...