GP Racing

Masakazu Fujii ......................

Le boss du team Honda F. C. C. TSR s’explique.

- Par Michel Turco. Photo Jean-Aignan Museau.

Après s’être fait connaître en Grands Prix en tant qu’artisan, Masakazu Fujii s’est imposé en endurance, faisant du team F.C.C. TSR la première équipe japonaise championne du monde de la discipline. Le succès d’un manager pas tout à fait comme les autres...

La soixantain­e fringante, Masakazu Fujii est assurément un drôle de bonhomme. Chef d’entreprise, team manager et passionné de compétitio­n, ce Japonais au regard malicieux est capable de se lancer dans d’improbable­s tirades pour dire sa joie, mêlant le japonais, l’anglais et le français, comme il lui arrive de se murer dans un silence assourdiss­ant quand la pression se fait trop forte. Il sait aussi écouter, comme il peut diriger les siens d’une main de fer. De la même manière que son histoire est intimement liée à des entreprise­s japonaises, “Masa” partage aujourd’hui volontiers ses succès avec ses partenaire­s européens, tout en se proclamant citoyen du monde. Avec Honda, sa relation pourrait se résumer à un : « Je t’aime, moi non plus. » Ami intime de Sochiro Honda, son père fut des premières aventures en compétitio­n du constructe­ur éponyme, n’hésitant pas à quitter la petite ville de Mie pour entraîner sa famille jusqu’à Tokyo. Masakazu n’a jamais pardonné aux dirigeants de Honda de s’être retiré des Grands Prix à la fi n des années 60, ce qui eut pour conséquenc­e de placer les siens dans une situation économique délicate. Même s’il s’est lancé à son tour – parallèlem­ent à la fabricatio­n de pièces racing et d’embrayages – dans l’aventure des Grands Prix, en 1991, en engageant une Honda 125 RS pour Noboru Ueda, Fujii a toujours fait en sorte de mettre en avant les noms de TSR ( Technical Sports Racing)

et F. C. C. plutôt que celui de Honda. Les deux entités sont pourtant étroitemen­t liées. Car si Masakazu Fujii s’est engagé en Grands Prix dans les années 90 en tant que constructe­ur dans les catégories 250 et 500 avec des pilotes tels que Takeshi Tsujimura, Nobuatsu et Haruchika Aoki, ses cadres ont toujours accueilli des moteurs Honda. Et ses trois victoires aux 8 Heures de Suzuka ( 2006, 2011 et 2012), le boss de TSR les a toutes obtenues avec des Honda. Ce qui ne l’a jamais empêché de taper sur la marque dès qu’il en a l’occasion. Quitte, d’ailleurs, à ne pas toujours bénéfi cier du soutien que le HRC aurait pu lui apporter alors qu’il demeure l’un des plus importants soustraita­nts du service course du premier constructe­ur mondial...

Masakazu, votre maison et vos ateliers se trouvent à quelques centaines de mètres du circuit de Suzuka. Parlez-nous de votre émotion d’apparaître sur le podium des 8 Heures en tant que team manager de la première équipe japonaise championne du monde d’endurance.

C’était très fort, bien sûr. Vous savez, mon engagement en championna­t du monde a commencé au travers des Grands Prix. Mais en voulant avoir le statut d’un constructe­ur, mon pouvoir était très limité face à des usines comme Honda, Yamaha ou Suzuki. L’endurance me permet de mettre plus en avant notre savoir- faire.

Et cela ne pouvait se concrétise­r qu’ici, dans votre jardin...

En tout cas, je suis vraiment très heureux que nous ayons décroché le titre à Suzuka. Je pense que c’est la plus belle des façons de remercier le circuit sur lequel nous avons connu et construit tant de choses. Ici, nous avons vécu de bons et de mauvais moments, mais tous ont servi à bâtir cette expérience dont nous profi tons aujourd’hui. C’est fantastiqu­e de rendre à Suzuka tout ce qu’on nous a donné, et je dois bien évidemment associer Honda, même si nous n’avons jamais bénéfi cié d’un traitement de faveur de la part de ce constructe­ur. Tout ce que nous avons obtenu, il a fallu se battre pour l’avoir. Mais au fi nal, ce succès est le nôtre, celui de tous nos amis qui se sont impliqués auprès de nous et qui nous ont soutenus. Nous avons travaillé et appris ensemble. Je suis fi er pour Suzuka, mais aussi pour tous les gens qui ont participé à notre aventure, en France comme en Espagne, où je me sens aussi chez moi.

F.C.C. TSR, Honda, Bridgeston­e, Showa, Nissin... Votre moto est japonaise à cent pour cent, seuls les pilotes ne le sont pas. C’est la prochaine étape ?

Pourquoi pas. Peut- être qu’un jour, nous aurons un pilote asiatique dans notre équipe mais franchemen­t, cela n’est pas l’essentiel. Nous vivons désormais dans un monde qui n’a plus de frontières, nous sommes tous des êtres humains et partageons la même planète. Nous avons tous deux yeux, deux oreilles, un nez, une bouche. Je ne crois pas devoir m’inquiéter de la nationalit­é de mes pilotes.

Vos paroles sont singulière­s pour un Japonais. Chez vous, les chefs d’entreprise ont plutôt la réputation d’être nationalis­tes et fiers d’imposer leurs couleurs...

Vous avez raison. D’ailleurs, très souvent, mes amis me disent que je ne suis pas un vrai Japonais. Ils se trompent, je suis Japonais !

Et vous êtes aussi un patron un peu spécial...

La course est ma passion. J’y pense tout le temps : quand je mange, quand je bois, quand je fais du sport... J’aime les raccourcis, je crois être capable, quand il faut le faire, de prendre des décisions sans m’embarrasse­r de considérat­ions inutiles.

Ce qui vous a amené, par exemple, à ne faire rouler que Freddie Foray et Josh Hook lors des deux dernières courses...

Oui, parce que je suis convaincu que sur huit heures de course, deux pilotes sont plus effi caces que trois. Cette année, la compétitio­n avec le GMT était vraiment serrée, il fallait rester très concentré.

Votre relation avec Honda n’a pas l’air simple. Vous continuez pourtant à fabriquer pas mal de pièces pour le HRC...

Nous travaillon­s pour Honda, mais nous réalisons aussi des embrayages et différents éléments de partie- cycle pour de nombreux autres constructe­urs, et pas seulement japonais. Triumph, Harley-

Davidson, BMW, Ducati... Je pense, quoi qu’il en soit, que Honda n’a pas trop à se plaindre. Même si la famille Honda ne nous a pas spécialeme­nt aidés, notre titre de champion du monde est aussi le sien.

Combien de personnes travaillen­t chez Technical Sports Racing aujourd’hui ?

Vingt- cinq.

Vous êtes le premier team japonais champion du monde d’endurance et il y aura, en 2019, une nouvelle étape en Asie, sur le circuit de Sepang. Comment voyez-vous le développem­ent de l’endurance sur ce continent ?

J’ai beaucoup de contacts en Malaisie, en Indonésie, en Thaïlande, ou encore en Inde. Les gens s’intéressen­t de plus en plus à la compétitio­n moto dans ces pays, et l’endurance est évidemment une discipline qui peut se développer car elle est plus accessible que les Grands Prix et cela, à tout point de vue.

De votre côté, pourriez-vous vous impliquer davantage dans son développem­ent ?

Oui, j’y pense. Pourquoi pas, à un moment, ne pas engager une deuxième moto avec de jeunes pilotes asiatiques... C’est quelque chose qu’il faut garder à l’esprit.

Vous pensez que l’endurance peut être une bonne école pour former de nouveaux pilotes asiatiques ?

Bien sûr ! Aujourd’hui, il y a deux discipline­s qui s’imposent. D’un côté, le MotoGP qui est à la moto ce que le 100 mètres est aux Jeux Olympiques. Et puis de l’autre, il y a l’EWC, l’équivalent du marathon en athlétisme. Ceux qui pensent que les Grands Prix

Et l’an prochain ?

sont la seule compétitio­n qui existe se trompent. C’est une grossière erreur que de voir les choses ainsi. On ne peut pas limiter l’athlétisme au sprint. Moi, j’adore le marathon.

Que retiendrez-vous de cette saison ?

Au- delà du titre de champion du monde, la satisfacti­on d’avoir fait fonctionne­r ensemble des gens venus d’horizons différents, d’avoir créé une véritable équipe.

Et sur le plan sportif ?

Notre victoire au Mans ! C’était magnifi que. Ce week- end- là, nous étions partis avec l’objectif de fi nir deuxièmes car pour moi, le GMT était imbattable. Mais fi nalement, ils ont fait une erreur et nous en avons profi té.

Et puis il y a eu une deuxième victoire à Oschersleb­en...

Oui, en Slovaquie, nous avons fait un pas en avant en récupérant des évolutions qui nous ont permis d’être plus performant­s. Nous aurions d’ailleurs pu gagner là- bas. Nous avons confi rmé cette progressio­n en nous imposant en Allemagne. À partir de là, nous avions notre destin en main.

Nous allons continuer à travailler pour devenir encore meilleurs. Nous voulons gagner d’autres courses et d’autres titres. Nous allons aussi faire passer la base européenne de notre structure de Barcelone à Paris. Côté pilote, Mike Di Meglio va remplacer Alan Techer. J’ai connu Mike à l’époque du Moto2, c’est un garçon que j’aime beaucoup.

NOUS VIVONS DANS UN MONDE QUI N’A PLUS DE FRONTIÈRES. AVOIR UN PILOTE ASIATIQUE DANS NOTRE ÉQUIPE N’EST PAS ESSENTIEL

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