GP Racing

Cal Crutchlow

La grande gueule au grand coeur.

- Par Michel Turco. Photos Jean-Aignan Museau.

« PILOTER UNE HONDA D’USINE EN MOTOGP, C’EST LE RÊVE DE TOUT LE MONDE »

Les dernières courses de la saison, Cal Crutchlow les aura regardées devant l’écran de sa télévision. La faute à une vilaine chute dont il a été victime aux essais du Grand Prix d’Australie. Parti à la faute dans le premier virage ultra- rapide de Phillip Island, le pilote du team Honda LCR a été relevé avec une triple fracture de la cheville droite. Une blessure qui aura nécessité deux interventi­ons chirurgica­les en Australie avant qu’il puisse être rapatrié chez lui, sur l’île de Man. Cal a donc regardé les Grands Prix d’Australie et de Malaisie de la chambre d’hôpital qu’il a occupée durant deux semaines à Melbourne. Et voir Bradl mettre au tas sa Honda sur le circuit de Sepang pendant les essais du GP de Malaisie ne l’a pas fait rire. « Quand Stefan est tombé, il m’a envoyé un texto pour me dire qu’on n’aurait jamais dû lui mettre les réglages de Marquez, raconte Christophe Bourguigno­n, son chef mécanicien. Il voyait depuis la veille que Stefan ne s’en sortait pas, et il était furieux que sa moto se retrouve par terre. » Pourtant, cette année, sa Honda RC213V, Crutchlow l’aura envoyée à dix- sept reprises dans le décor. Presque autant que Marquez. « Preuve que cette moto n’est pas si facile que ça à piloter, constate le Britanniqu­e. Il suffi t de regarder les saisons qui passent. C’est une très bonne moto, et ça n’est pas pour rien si Marc a remporté autant de championna­ts. Je pense même que cette moto progresse chaque année. Elle a aujourd’hui un très bon moteur, mais elle reste la même à piloter au fi l des années. Les statistiqu­es sont là pour le prouver. Ces chutes concernent tous les pilotes Honda, ça n’est pas une question de style, même les pilotes des équipes satellites sont concernés. La Honda est une moto diffi cile à piloter, mais lorsque tu la maîtrises, tu as la satisfacti­on d’avoir fait du bon boulot. Piloter une Honda d’usine en MotoGP, c’est le rêve de tout le monde. » Avec une cheville dans le sac, Crutchlow va néanmoins devoir patienter jusqu’au mois de février avant de pouvoir retrouver le guidon de sa RC213V. Quant à refaire du vélo avec son copain Mark Cavendish, il ne va pas falloir y compter avant le mois de décembre. Voilà qui ne va pas aider le bouillant pilote du team LCR à digérer avec calme et sérénité la longue convalesce­nce qui l’attend. « Lucy va en baver » , s’amuse l’un des mécanicien­s de l’équipe LCR. La femme du pilote anglais en a vu d’autres. « Cal est un sanguin, témoigne Nicolas Goyon du team Tech3 qui fut son chef mécanicien durant ses trois premières saisons en MotoGP de 2011 à 2013. Il est sans fi ltre. » Et souvent très radical dans ses prises de position. Crutchlow fut ainsi le premier à mettre Romano Fenati au pilori après la course de Misano où l’on vit le jeune Italien essayer d’attraper le frein de Stefano Manzi. « Il faut lui retirer sa licence à vie » , avait alors déclaré l’ancien champion du monde Supersport. « Quand tu ne le connais pas, Cal peut effectivem­ent faire peur, note le Bourguigno­n. Agressif, il est capable de rentrer au garage en colère pendant une séance d’essais, de brailler si la moto ne va pas comme il veut... Mais il n’y a jamais d’attaque personnell­e dans ses paroles. C’est sa façon d’évacuer la frustratio­n. Il n’est jamais satisfait, il en veut toujours plus. C’est une grande gueule, mais c’est surtout un mec avec un coeur énorme. Sur la piste, et humainemen­t. Cal s’intéresse aux autres et dans l’équipe, il prend toujours des nouvelles de tout le monde. »

DE LA TREMPE DES RAINEY, GARDNER, DOOHAN

Hervé Poncharal se souvient d’une prise de bec mémorable à Laguna Seca en 2011. Débutant en MotoGP, le Britanniqu­e tombait trop souvent au goût de son team manager. « Il était ingérable, savait tout sur tout, on en était presque venus aux mains, se souvient le patron du team Tech3. Après ce clash, notre relation est devenue extraordin­aire. Les grandes gueules sont souvent des sentimenta­ux, Cal est de ceux- là. » Abandonné par sa mère alors qu’il était tout gamin, et élevé seul par son père Derek avec sa soeur aînée Stefanie, Cal s’est construit seul à la force du poignet. « Il vient d’un milieu où ça n’était pas facile tous les jours, ajoute Poncharal. Ça lui a forgé un sacré caractère. Et cela a construit son personnage. Dire haut et fort ce qu’il pense lui permet d’exister au- delà de ses résultats. » Et Bourguigno­n d’ajouter :

« C’est bien pour le championna­t qu’il n’y ait pas que des pilotes politiquem­ent corrects et propres sur eux. Le MotoGP a besoin de gars comme Cal. » Sur le fond comme sur la forme, Crutchlow n’est pas sans rappeler la génération des Rainey, Gardner, Mamola,

Schwantz et autre Doohan. « J’aime ce que je fais, j’aime la vie que j’ai aujourd’hui en MotoGP, mais j’aurais franchemen­t adoré courir avec eux, affi rme d’ailleurs l’Anglais. À cette époque, les pilotes l’ouvraient sans avoir à penser qu’on allait leur taper sur les doigts. Et cela ne veut pas dire que je n’ai pas de respect pour mon équipe, pour Honda ou mes sponsors, bien au contraire. » Cette attitude ne lui a- t- elle pas coûté cette place de pilote offi ciel dont il a toujours rêvé ? « Je l’ai eue chez Ducati, rappellet- il. Mais en fait, je me suis rendu compte que j’étais beaucoup mieux dans une équipe indépendan­te avec un contrat de pilote d’usine. Cela me garantit un très bon matériel, un excellent salaire, et j’ai beaucoup plus de temps de libre que si je devais répondre à toutes les obligation­s d’un pilote offi ciel. Et puis je préfère l’environnem­ent de travail d’une petite équipe familiale comme celle de Lucio. »

« JE NE SUIS PAS ARROGANT, JE DIS JUSTE LA VÉRITÉ »

Les déclaratio­ns du Britanniqu­e font tout de même parfois trembler le patron du team LCR. « Quand ils l’entendent se plaindre et répéter qu’il n’a pas les mêmes pièces que Marquez, les responsabl­es de Honda me font régulièrem­ent des reproches » , glisse l’Italien. Dans ces moments- là, Crutchlow sait aussi faire marche arrière. « Je ne me suis jamais plaint de mon package technique, déclarait- il au Japon après être monté sur la deuxième marche du podium. Je n’ai jamais dit que je n’avais pas une bonne moto. Je crois en l’équipe, en Honda et en moi. On a ce qu’on nous donne et nous devons faire avec. Nous avons une moto pour viser le podium, avec ou sans les mêmes pièces que Marquez. » Sanguin, Crutchlow est aussi malin. « Mettre un coup de pression pour essayer d’obtenir quelque chose de mieux, c’est normal, dit- il. Tous les pilotes le font. J’ai toujours eu du boulot et signé des contrats. Et j’ai les mêmes sponsors depuis douze ans. Disons que je suis peut- être assez malin pour jouer avec ça. Beaucoup de gens se trompent sur mon compte. Je n’ai pas une grande gueule, je ne suis pas arrogant, je dis juste la vérité. » Côté piste, Crutchlow n’aura pas fait une mauvaise saison même si elle s’est arrêtée prématurém­ent. Avec trois podiums dont une victoire, le pilote de Coventry aura occupé la place de meilleur pilote indépendan­t jusqu’à sa chute à Phillip Island. « Sans les erreurs que j’ai commises, j’aurais pu fi nir 3e ou 4e du championna­t » , disait- il en arrivant en Australie. Il a fi nalement dû se contenter d’une 7e place au classement du championna­t.

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12 et Ses débuts en MotoGP, en 2011, Cal les a effectués sur une Yamaha du team Tech3. Daniele Romagnoli était alors son chef mécanicien. 3 En 2014, le Britanniqu­e s’est retrouvé pilote d’usine Ducati. La mayonnaise n’a pas pris. 4 Depuis 2015, Cal fait le bonheur de Lucio Cecchinell­o, le patron du team LCR. 12
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