GP Racing

Alex Briggs

Visite chez le plus fi dèle des mécanos de Rossi.

- Par Michel Turco. Photos Jean-Aignan Museau.

Mécanicien de Valentino Rossi depuis les débuts de l’Italien en classe reine, Alex Briggs a débuté sa carrière en Grands Prix chez Honda, aux côtés de Daryl Beattie, Mick Doohan et Jeremy Burgess, Australien­s comme lui. Vingt-cinq ans plus tard, il continue à partager son temps entre les circuits du championna­t du monde et sa campagne de Mullumbimb­y.

« LA PREMIÈRE FOIS QUE LES MOTOS ME SONT PASSÉES À FOND SOUS LE NEZ, J’AI ARRÊTÉ DE RESPIRER »

Entretenir seize hectares de terrain quand on passe près de la moitié de l’année loin de chez soi n’est pas une sinécure. Ellen Briggs peut en témoigner. Elle est l’épouse d’Alex, l’un des deux mécanicien­s qui, avec Bernard Ansiau, travaillen­t sur les motos de Valentino Rossi depuis l’arrivée du pilote italien en catégorie reine. Le couple s’est installé dans l’État du Queensland il y a une vingtaine d’années pour fuir la frénésie de Sydney, là où ils vivaient lorsqu’ils se sont connus. « On a de quoi s’occuper, mais vivre ici a quelque chose de magique » , assure- t- elle. Comédienne, et elle aussi souvent sur la route, Ellen ne peut guère compter sur ses jumeaux, pourtant âgés de dix- huit ans, pour lui donner un coup de main. « On les appelle “Cavemen”, se marre Alex. Ils ne sortent de leur chambre que pour manger. » Alors, pour gérer la tonte d’une herbe dense et généreuse qui profi te du climat subéquator­ial de Mullumbimb­y pour croître frénétique­ment, la famille Briggs a décidé d’épauler leur tondeuse par une demi- douzaine de vaches. « Tous des mâles, précise le mécanicien de l’équipe Yamaha. On les achète tout jeunes, on les élève et puis on les revend. Ça fait un peu d’argent et ça permet d’entretenir le terrain. » S’il n’a jamais été fermier, Alex savoure dès qu’il le peut le calme de sa propriété. « Le vert me repose et me détend, explique- t- il. Travailler avec mon tracteur, m’occuper de mes abeilles, entretenir ma clôture et le chemin qui mène chez nous... C’est ma façon à moi de couper avec le boulot et de recharger les batteries. » Sans oublier le golf et les sorties, de plus en plus rares, avec ses motos de tout- terrain. Pour Alex Briggs, c’est par le motocross que tout a commencé. Né à Canberra, dans l’État de Nouvelles- Galles du Sud, le 28 décembre 1969, ce fi ls d’un géophysici­en reconnu s’est rapidement amouraché de la mécanique.

« C’EST PLUS SYMPA DE TRAVAILLER LES PIEDS AU SEC »

« En fait, raconte- t- il, à l’école, mes professeur­s me disaient que je n’arriverais à rien. C’est comme ça que je suis devenu apprenti mécanicien dans une compagnie de bus fi nancée par le gouverneme­nt. » Et c’est aussi comme ça qu’il a commencé à se passionner par le motocross. « J’ai un peu couru et puis très vite, je me suis occupé des motos des copains car j’adorais travailler sur des machines de course. » Jusqu’à devenir

le mécanicien de pilotes tels que Stephen Andrews, Craig Dack et Shayne King. « À cette époque, je rêvais de travailler en Europe pour une équipe engagée en Mondial. Et c’est au moment où j’avais décroché un ticket avec Yamaha que j’ai reçu un coup de fi l de Jeremy Burgess. C’était en 1992 et je ne savais pas qui était celui qui m’appelait... » En fait, ce jour- là, c’est Peter Luczkowski, alias Budda, qui a souffl é le nom de Briggs à Burgess. Mécanicien de Doohan, Budda a travaillé auparavant en Europe avec Jeff Leisk au sein du team MX HRC. Et il connaît les compétence­s d’Alex. « Burgess cherchait des mécanicien­s pour étoffer son équipe avec l’arrivée de Daryl Beattie aux côtés de Doohan, raconte ce dernier. Sur le moment, j’ai hésité, mais Budda m’a dit de ne pas trop réfl échir : “Tu verras, c’est plus sympa de travailler au sec que les pieds dans

la boue”. Deux mois plus tard, j’étais à Phillip Island pour ma première séance de test. Je n’avais jamais vu une moto de vitesse ! Mon premier boulot, ça a été de tenir les motos à la sortie du premier virage quand Mick et Daryl s’arrêtaient et que Patrick Isacco, le technicien Michelin, prenait la températur­e des pneus. Je me souviens que la première fois que les motos me sont passées à fond sous le nez, j’ai arrêté de respirer. Une vraie claque ! »

JEREMY BURGESS, SON DEUXIÈME PÈRE

Vingt- six ans plus tard, Alex Briggs est toujours là. Mieux que ça, l’Australien est aujourd’hui l’une des fi gures du paddock MotoGP. Et l’un des plus actifs sur les réseaux sociaux. Au grand dam du service communicat­ion Yamaha qui n’aime rien que tout contrôler. « Je sais d’où je viens et qui nous fait vivre, dit Alex. Gamin, j’étais fan de motocross et je dévorais tous les magazines que je trouvais pour m’informer. Aujourd’hui, je suis heureux de pouvoir échanger avec ceux qui se trouvent de l’autre côté de la barrière. Permettre aux fans d’entrevoir notre univers est à mon sens important. On ne peut pas se contenter de s’intéresser à ce qui se passe entre le garage et l’hospitalit­y. Contrairem­ent à la F1, le MotoGP ne vit pas seulement des invités qui sont dans le paddock. » Très actif sur Twitter, Alex Briggs aime donner des conseils de mécanique que l’on retrouve sur son site Internet wrenchrace­r. com. Il faut dire qu’en vingt- six saisons de GP, l’Australien a eu le temps de parfaire sa science de la clef de

quatorze. Son métier sur les Grands Prix, c’est bien sûr Jeremy Burgess qui le lui a appris. « Je le considère comme mon deuxième père, dit Alex. Il a toujours été bienveilla­nt avec moi, et tout au long des années qu’on a passées ensemble, il n’a cessé de me demander mon avis sur ce que nous faisions. Avec Jerry, il suffi sait de regarder pour apprendre. C’est quelqu’un qui s’intéresse à beaucoup de choses. Il m’a surtout appris que pour être un bon mécanicien, il faut absolument rester logique. » Quand Valentino Rossi a décidé en 2013 de se séparer de son chef mécanicien australien, Alex Briggs se souvient avoir pleuré. « J’ai aussi pensé quitter le team, confesset- il. Valentino a laissé la porte ouverte en nous disant qu’il concevait tout à fait qu’on ne souhaite pas rester. De mon côté, je comprenais son besoin de changement... » Il est donc resté fi dèle au nonuple champion du monde. « J’ai eu des opportunit­és pour aller voir ailleurs. On me proposait même de devenir chef mécanicien. J’ai pensé un temps m’occuper d’un jeune pilote pour l’aider à progresser. J’aime donner des conseils, et je suis souvent sollicité pour ça. Mais bon, je suis bien chez Yamaha, on travaille dans de très bonnes conditions, et je ne sais pas combien de temps aurait duré une nouvelle aventure de ce genre. J’ai donc joué la sécurité. Et puis avec Valentino, j’ai la chance de travailler avec l’un des plus grands pilotes de l’histoire des GP. »

« AVEC VALENTINO, ON A CHANGÉ DE MONDE »

Avant Rossi, il y avait eu Doohan. Sept titres de champion du monde avec l’un, cinq avec l’autre. « Quand tu as travaillé avec Mick, tous les autres pilotes avec lesquels tu bosses ensuite te semblent super cool, témoigne Alex. Mick voulait toujours être le premier, sur la piste, mais aussi le soir pour rentrer à l’hôtel, le matin pour partir au circuit ou aller prendre l’avion. Il était tout le temps en mode compétitio­n. Quand il se retrouvait sur le podium avec Biaggi qui avait l’air fatigué, il faisait tout pour donner l’impression qu’il n’avait surtout pas forcé pour le battre. Comme un boxeur, il avait cette rage pour moteur. Quand on s’est retrouvé avec Valentino, on a changé de monde. Lui n’est jamais aussi heureux que lorsqu’il s’amuse. Mick ne s’amusait jamais. Avec Valentino, on s’est vraiment marré. Un jour, pendant une séance d’essais, on s’était tous planqués quand il est rentré au box, un autre, on avait changé de côté dans le garage... Un truc inimaginab­le avec Mick. » Et qui l’est devenu aujourd’hui avec Rossi. « Oui, les temps ont changé, reprend l’Australien. On passe de moins en moins de temps ensemble. Valentino n’a plus le temps de rien, et son image a pris une telle importance... » Avec le pilote italien, Alex Briggs aura aussi eu la chance de travailler avec les équipes offi cielles

« PETIT À PETIT, LES RESPONSABL­ES DU HRC SONT DEVENUS INSUPPORTA­BLES »

de trois constructe­urs : Honda, Yamaha et Ducati. « Quand j’ai commencé chez Honda, le HRC faisait d’énormes efforts pour permettre à Mick de décrocher le titre. À cette époque, tout le monde faisait bloc chez Honda, il y avait un véritable esprit de groupe entre les ingénieurs, les mécanicien­s, les pilotes... C’était une période où l’on pouvait encore partir faire des essais avec une moto dans une camionnett­e, trois mécanicien­s en jeans et tee- shirts... On descendait à Phillip Island pour essayer un nouveau moteur durant une demi- journée. Petit à petit, les temps ont changé et chez Honda, tout le monde a pris le melon. Les ingénieurs ont tiré toute la couverture à eux et les responsabl­es du HRC sont devenus insupporta­bles. Quand Valentino a décidé de s’en aller, nous étions arrivés au point de non- retour. » C’est chez Yamaha qu’Alex dit avoir vécu ses plus belles saisons, et pas seulement parce que c’est avec la marque aux trois diapasons que Rossi a obtenu ses quatre derniers titres. « Nous sommes arrivés chez Yamaha avec un petit groupe super motivé pour un nouveau défi . Et nous avons réussi à faire d’une moto qui ne gagnait pas celle qui est devenue la référence et avec laquelle Valentino a dominé le championna­t. C’était une période formidable, il y avait de la créativité chez Yamaha, nous étions tous autour de la table à échanger nos idées. Et dans le garage, il suffi sait de demander quelque chose pour l’obtenir. » Les temps ont bien changé. Masao Furusawa parti à la retraite, les Japonais semblent aujourd’hui s’être endormis sur leurs lauriers. Pour Alex, il est clair que le charismati­que patron du service course aurait su remettre de l’ordre dans un organigram­me où, aujourd’hui, chacun tire à hue et à dia.

« FACILITER LE TRAVAIL DES MÉCANICIEN­S N’AMÉLIORE PAS LE CHRONO »

Entre- temps, le mécanicien australien s’est aussi frotté à l’organisati­on Ducati. Un univers d’ingénieurs parfois déconnecté­s de la réalité. « Je n’ai jamais compris pourquoi il fallait trois clefs différente­s pour démonter la suspension d’une Desmosedic­i. Pourquoi ne pas faire des vis et des écrous identiques plutôt que la pièce parfaite pour gagner 2 grammes ? On m’a répondu que ça n’améliorait pas le chrono de faciliter le travail des mécanicien­s... Pourtant, si tu travailles plus vite dans le garage, le pilote peut faire plus de tours aux essais et ainsi tester davantage de solutions. On ne s’est jamais compris avec Filippo ( Preziosi, alors patron du Ducati Corse). Chez Yamaha, j’ai l’impression qu’on a un Rubik’s Cube qu’il faut remettre à l’endroit. Chez Ducati, il manquait trop de pièces à ce Rubik’s Cube pour en faire quelque chose. Nous sommes arrivés là- bas en imaginant que nous allions réussir ce que nous avions fait chez Yamaha en 2004. Ça ne l’a pas fait et ça reste une grosse déception pour nous tous. » Aujourd’hui, Alex Briggs ronge son frein en attendant de voir quelle arme fourbiront l’an prochain les Japonais pour Valentino Rossi. « On sait qu’il a toujours le potentiel pour gagner des courses, affi rme- t- il. Mais il faut que la moto progresse. » Et lorsque l’Italien prendra sa retraite ? « On verra ce que nous propose Yamaha. De toute façon, les projets ne manquent pas pour le jour où je quitterai ce paddock. » En premier lieu, Alex s’occupera de Wrench Racing, la marque qu’il a créée avec l’un de ses amis. « Pour l’instant, on fait quelques casquettes et des tee- shirts, mais nous avons d’autres idées. » Et si ça ne fonctionne pas, eh bien Alex ira jouer au golf avec Jeremy Burgess. Un sport idéal pour oublier les tracas du MotoGP.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? 4
4
 ??  ?? 1 Pour se balader, le mécanicien de Rossi roule avec une Triumph de 1969, son année de naissance. 2 Le cheptel de l’Australien farmer. 3 Le sourire, toujours. 3
1 Pour se balader, le mécanicien de Rossi roule avec une Triumph de 1969, son année de naissance. 2 Le cheptel de l’Australien farmer. 3 Le sourire, toujours. 3
 ??  ?? 1
1
 ??  ?? 2
2
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France