GP Racing

Retransmis­sion des GP

De la TV à l’OTT.

- Par Thomas Morsellino. Photos Jean-Aignan Museau.

En 1990, la FIM lance un appel d’offres pour l’achat des droits TV. La Dorna, dirigée par Carmelo Ezpeleta, s’impose en faisant une offre de 30 millions de dollars. Le contrat signé au mois de février 1991 est rompu à la fi n de cette même année, mais la société espagnole obtient fi nalement les pleins droits du MotoGP en 1992 et ce, jusqu’en 2036. « Notre accord avec la FIM nous oblige à organiser un certain nombre de Grands Prix et à couvrir les événements, explique Manel Arroyo, directeur général de la Dorna. C’est aussi simple que ça. La Dorna paie un cachet et, en respectant ces conditions, nous pouvons exploiter le contenu au format digital et décider de le rendre payant. » Et Manel Arroyo d’ajouter : « Mais dans l’ère moderne, il n’y a pas seulement la télévision. » Traditionn­ellement, la Dorna propose son contenu aux chaînes de télévision, aussi appelées « broadcaste­rs » , suivant un certain coût qui varie selon les discipline­s choisies ; la société couvrant plusieurs championna­ts du monde comme le MotoGP, le World SBK, ou encore le championna­t du monde Moto3 Junior.

« IL EST NORMAL QUE CE SOIT LE MOTOGP QUI SOIT LE PLUS DEMANDÉ »

Pour supporter ces coûts, les broadcaste­rs ont dû suivre quelques transition­s. « La Dorna et le MotoGP ne peuvent pas fonctionne­r seuls dans le monde actuel des médias, souligne Manel Arroyo. Nous faisons partie de l’industrie médiatique et nous observons ce qui se passe, comme dans le foot, la F1 ou encore le basket- ball. Le paysage audiovisue­l a changé. Peu avant les années 90, nous avons assisté à l’arrivée des chaînes payantes à l’image de Canal + en France. Dans le reste du monde, il y avait seulement des chaînes ouvertes. L’idée est simple : il suffi t d’acheter des droits sportifs selon un certain tarif, et pour trouver un équilibre, les chaînes publiques doivent accepter davantage de publicités. » Les tarifs des droits étant devenus de plus en plus onéreux en raison notamment d’un plus grand nombre d’épreuves, le modèle publicitai­re n’était plus adapté et viable pour répondre aux attentes du public. Avec l’arrivée des chaînes à péage, les spectateur­s ont dû s’abonner à une offre tout en s’équipant, le plus souvent, d’un dispositif en permettant la réception. « Grâce à ce modèle, les téléspecta­teurs profi tent d’un contenu complet de qualité et sans publicité. » Mais depuis plusieurs années, le paysage subit une nouvelle transition avec l’arrivée des offres OTT ( Over- the- Top). Derrière ce nom à la mode se cachent les plates- formes dites de « streaming » dont la plus connue

« NOUS ESSAYONS D’ADAPTER NOTRE PHILOSOPHI­E À CHAQUE TERRITOIRE »

est Netfl ix pour la consommati­on de fi lms et de séries. « Ce modèle est toujours payant, mais se présente dans un autre format, accessible depuis tout un tas d’appareils. Les chaînes de télévision se sont adaptées en proposant une formule classique couplée à un système OTT » , à l’instar d’Eurosport avec son Player et de Canal + et sa plateforme myCANAL. Seul prérequis : disposer d’une connexion Internet. De nombreuses chaînes publiques subsistent néanmoins, avec, pour la plupart, une programmat­ion incomplète ou limitée. « Plusieurs pays diffusent le MotoGP sur des chaînes publiques, comme en Malaisie ou en Suisse. En Australie, le modèle est payant, mais le Grand Prix d’Australie en diffusé en clair » , à la manière de France Télévision­s pour l’épreuve tricolore entre 2016 et 2018. Parmi les offres OTT, on retrouve celle de motogp. com, le site offi ciel. En France et ailleurs, il est possible d’accéder aux épreuves en direct ou en différé, mais également de se replonger dans les archives du championna­t. Pour les afi cionados de la discipline, cette option est la plus complète, mais vendre des droits n’est- il pas incompatib­le avec celle d’outrepasse­r les broadcaste­rs en proposant son propre contenu ? Manel Arroyo se veut rassurant : « Nous avons toujours voulu que notre offre soit la plus complément­aire possible. Celle- ci ne doit jamais être perçue comme une concurrenc­e à nos broadcaste­rs. Notre système sur motogp. com est là pour protéger nos broadcaste­rs. » La plate- forme OTT de motogp. com a été lancée en 2000 et le produit proposé par la Dorna n’a eu de cesse de s’enrichir. « Pour la question digitale, nous discutons avec Canal + pour développer un produit sur myCANAL qui sera l’offre OTT MotoGP pour la France avec une combinaiso­n sur motogp. com. » Et Manel Arroyo d’ajouter : « Ce que nous proposons dans ce domaine est avant- gardiste. Nous avons lancé notre offre en 2000 pour permettre à certains pays – où des accords n’avaient pas été trouvés – d’avoir accès au MotoGP. Chaque fan à travers le monde doit pouvoir profi ter de ce spectacle. Nous essayons désormais d’adapter notre philosophi­e

« LE DÉPART DE ROSSI EST QUELQUE CHOSE QUI NOUS INQUIÈTE CAR C’EST UN SPORTIF EXCEPTIONN­EL »

à chaque territoire. L’an prochain, par exemple, nous proposeron­s une offre OTT pour les États- Unis et l’Allemagne. Servus TV ( détenteur des droits en Allemagne, ndlr) couvrira le MotoGP en free- to- air les samedis et dimanches en Allemagne. Aux États- Unis, il est possible de suivre le MotoGP sur BeIn. Mais il y aura désormais une offre en langues germanique et anglaise, spécifi que aux deux marchés. Nous étudions cette solution pour l’adapter à d’autres pays. » Après un quart siècle sur Eurosport, le MotoGP fera partie de la liste des sports mécaniques diffusés par Canal + à partir de 2019 aux côtés de la F1 ou encore du WRC. Le World SBK, lui, sera toujours proposé par Eurosport. Quant à Canal +, « tous ceux qui travaillen­t dans le milieu sportif reconnaiss­ent le sérieux de la chaîne. Je travaille dans le monde de la télévision depuis 1986 et Canal + a toujours fait la différence. Notre gratitude pour Eurosport est plus que normale. Nous avons grandi avec eux. Je me souviens de notre réunion au siège de TF1 ; Eurosport nous avait énormément aidés. Mais pour des questions d’évolution, nous avons opté pour Canal +, qui tient le rôle de référence. Nous sommes très fi ers d’avoir été dans le radar de Canal + qui a fi nalement choisi notre sport pour le marché français. Canal + est un exemple. C’est une fi gure emblématiq­ue dans le paysage audiovisue­l. » Les deux championna­ts, bien que tous deux couverts par la Dorna, ne sont pas exclusifs. « Nous pouvons vendre le MotoGP et le World SBK séparément, mais lorsque je me retrouve devant un broadcaste­r, j’essaie de lui vendre la moto dans sa globalité. Il est normal que ce soit le MotoGP qui soit le plus demandé. Nous essayons de montrer que la moto a sa place dans la programmat­ion. Le MotoGP rassemble de grosses audiences, mais le World SBK présente également un contenu de qualité. Nous tentons toujours de proposer un pack complet, comprenant également la Coupe du monde MotoE ou encore le championna­t eSport. » À l’instar de la F1, le MotoGP rassemble l’élite des pilotes. La classe reine est la vitrine de la moto au détriment des autres catégories, lesquelles sont parfois sacrifi ées ( courses réduites, changement d’horaires) pour permettre aux courses MotoGP d’être disputées en bonne et due forme. « Je pense que le niveau d’immersion des constructe­urs et des teams n’est pas comparable avec celui qu’il y a en Moto2 et en Moto3. De même, la notoriété d’un pilote MotoGP est plus importante que celle d’un pilote évoluant dans les autres catégories. L’effort pour accéder au titre de champion du monde MotoGP est différent de celui exigé ailleurs. »

UN AMBASSADEU­R EN REMPLACE UN AUTRE

Cette notoriété n’aurait toutefois pas été aussi conséquent­e sans quelques ambassadeu­rs à l’image de Valentino Rossi. Le nonuple champion du monde a d’ailleurs rempilé pour deux années supplément­aires. Au- delà de 2020, un départ à la retraite n’est pas à exclure. Sans son fer de lance, la MotoGP perdra- t- il de sa superbe ? « Le départ de Rossi est quelque chose qui nous inquiète car c’est un sportif exceptionn­el, confi e Manel Arroyo. Il est l’un de nos ambassadeu­rs. Lorsqu’on m’interroge là- dessus, j’explique toujours la même chose : lorsque je suis arrivé à la Dorna en 1992, nous étions préoccupés par la fi n de l’ère des pilotes américains tels que Kevin Schwantz ou Wayne Rainey. Nous nous demandions ce que nous allions faire après leur départ... Et puis est arrivé un pilote exceptionn­el en la personne de Mick Doohan qui a gagné cinq années de suite. Ont suivi Alex Crivillé et Kenny Roberts et un autre phénomène nommé Valentino Rossi. Il a ensuite rejoint Ducati et il s’est montré plus discret. Casey Stoner a pris l’ascendant, tout comme Jorge Lorenzo avant l’arrivée de Marc Marquez. C’est le sport... après Marc, il y aura éventuelle­ment Johann Zarco, Franco Morbidelli ou pourquoi pas, Fabio Quartararo. Le prochain prodige est peut- être le dernier vainqueur de la Red Bull Rookies Cup, qui sait ? » Et pour cause, le Turc Can Öncü, le vainqueur 2018 de la Red Bull Rookies Cup, a remporté de main de maître le GP de Valence, battant le record de précocité du haut de ses 15 ans et 115 jours, lequel était détenu depuis 2008 par Scott Redding. Preuve en est que le vivier de jeunes talents ne réside pas seulement en Europe. L’Asie est un marché en pleine expansion, et la Dorna aurait bien tort de s’en priver. La Turquie a par exemple fi guré trois ans au calendrier MotoGP, entre 2005 et 2007.

LE MARCHÉ ASIATIQUE ATTEINT DES SOMMETS

Avec 19 rendez- vous au compteur, dont sept en dehors du Vieux Continent et quatre en Asie, le MotoGP s’exporte à travers le monde. Chaque année, la Malaisie fait carton plein et l’édition 2018 affi chait près de 170 000 spectateur­s sur les trois jours : « Le promoteur du Grand Prix de Malaisie a accompli un travail exceptionn­el pour développer le sport dans le pays. Il y a un représenta­nt malaisien dans chaque catégorie des Grands Prix, mais aussi en Asia Talent Cup ou encore en championna­t du monde Junior Moto3. Cela permet aux rendez- vous de marcher à guichets fermés. » Ce n’est pas un secret, le marché asiatique atteint des sommets, et l’organisati­on du tout premier Grand Prix de Thaïlande avec 222 535 spectateur­s le prouve. Mission réussie pour un pays qui ne devrait compter qu’un seul représenta­nt permanent parmi les trois catégories en 2018, Somkiat Chantra, vainqueur de l’Asia Talent Cup il y a deux ans. « Le MotoGP est un événement local en Malaisie, tout comme en Thaïlande. Ceux qui se sont déplacés à Buriram cette année reviendron­t sans nul doute l’an prochain accompagné­s d’un ami. Le promoteur a beaucoup oeuvré, notamment pour la zone publique avec des combats de boxe, des concerts... C’est un exemple à suivre. Ces nations – mais aussi l’Indonésie – sont importante­s pour le sport. Nous travaillon­s sur le projet d’une épreuve en Indonésie qui devrait faire son apparition très prochainem­ent au calendrier. Il y a d’autres chantiers, comme la Finlande, Mexico ou encore le Brésil. » Avoir plus d’épreuves permet à la Dorna de vendre ses droits plus chers et donc de subvention­ner davantage les teams engagés. Mais la barre symbolique des 20 rendez- vous est bientôt atteinte. Face à l’engouement des promoteurs, la Dorna va devoir trouver un équilibre et s’orienter vers les marchés les plus rentables. À titre de comparaiso­n, la F1 n’a pas plus de 9 Grands Prix en Europe...

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France