GP Racing

CHRISTIAN SARRON UN GOÛT D’INACHEVÉ

Champion du monde 250 en 1984, Christian Sarron a été, durant la deuxième moitié des années 80, un redoutable adversaire pour la génération dorée des pilotes américains. Retour sur une carrière magistrale qui aurait pu amener l’Auvergnat au titre suprême.

- Par Jean-Aignan Museau. Photos Moto Revue.

A15 ans, après avoir travaillé durant les vacances scolaires et avec l’aide de ses parents, Christian se paye une Mobylette. « Elle était complèteme­nt d’origine. J’ai même ajouté des sacoches. J’en assumais tout à fait le côté “Marcel”, mais tous ceux que je croisais sur la route, à partir du moment où elle était sinueuse, qu’ils furent en Malaguti ou en Itom, terminaien­t derrière. » Une vitesse naturelle qu’il explique par une quête perpétuell­e de la limite d’adhérence. « Et sans tomber » , précise- t- il. À 17 ans, il choisit une Motobécane LT2. « J’aurais préféré une Yamaha as3 mais elle était plus chère et le concession­naire était à Clermont. De toute façon, tout le monde était derrière. Encore

une fois, sans que je sache vraiment pourquoi. Je trajectais, j’attaquais... » À 18 ans, il passe sur une 350 Kawasaki S3. « Ça m’est apparu comme une évidence : il fallait que je fasse de la course. » Mais ce n’est pas sa rapidité naturelle qui le pousse vers les

circuits : « C’est la peur. J’avais peur de tout : de l’eau, du vide... et je n’acceptais pas cette servitude. Comme la plupart des jeunes dans les années 70, j’étais épris de liberté et d’aventures. La compétitio­n moto était un bon vecteur. La preuve, nous étions 507 engagés en Coupe Kawa pour la saison 1975. » Sans ne jamais avoir mis les pieds sur un circuit pour s’entraîner, et après avoir perdu un an le temps de changer sa 350 pour une 400 d’occasion, Christian débarque sur le circuit de Magny- Cours pour les sélections,

seul, sans même une caisse à outils. « Dès le début, je me retrouve devant. Sans comprendre. » S’ensuit la première fi nale, sur le circuit de Rouen. Il signe le meilleur chrono des essais. « J’arrivais dans un monde qui m’était totalement étranger. Ma vie d’alors se limitait à la nature et quelques virées à vélo avec mes amis. Je ne connaissai­s personne. » Il avoue même avoir été effaré de la faune qu’il y découvre. Éric Saul, dont Christian ignore jusqu’au nom, vient

le voir et lui lance : « Ta moto est trafi quée. Cylindres, pistons, culasses ne sont pas d’origine. » Naïf, Christian le croit sur parole : « Il y a une vingtaine de pilotes non qualifi és. J’en trouve un qui accepte de me prêter sa moto pour la course. » Sous la pluie, il fait le trou : « Lorsqu’avant l’arrivée, je me

suis retourné, je voyais à peine le second... qui était Saul ! » Sur ce, il fonce chez son concession­naire : « Je voudrais trois cylindres, trois culasses et trois pistons, le moteur de la moto que vous m’avez vendu

est trafi qué. » Après démontage, il reçoit un coup de fi l : « Votre moteur est bien d’origine. » Mais l’Auvergnat, même si la manip’ grève lourdement son budget, veut absolument être dans les clous. Il débarque à la course suivante, sur le circuit de Magny- Cours, avec son moteur neuf et termine sur le podium. La moto est démontée. Le verdict tombe rapidement : non conforme. Christian s’insurge. Après inspection chez l’importateu­r, le moteur est déclaré OK, les fédéraux se sont fait fourvoyer par des traces d’ébavurage effectuées à l’usine.

Autre bonne nouvelle ; Patrick Pons, présent sur l’épreuve, est impression­né par la prestation du néophyte. Il lui promet une aide via son fan- club pour acquérir une moto en meilleur état. À compter de ce jour, il achève toutes les courses de la saison soit à terre, soit victorieux. Il termine la Coupe Kawa en 3e position, et meilleur Rookie. Il est retenu, avec Denis Boulom, pour le guidon offi ciel Kawa en endurance. Une panne électrique les empêche de se mêler à la lutte pour la victoire. « En parallèle, Patrick ( Pons, ndlr) m’obtient une TZ et un petit budget de son sponsor. Et je pars pour une saison de championna­t de France en 250. » Toujours sans accompagna­teur, il se rend à Lédenon pour l’ouverture du championna­t. Bien sûr, il n’a pas fait le moindre tour de roue avec la moto : « Dans le dernier virage, je casse mon sélecteur. On avait bricolé le renvoi pour que les vitesses soient dans le même ordre que sur une moto de route. J’appelle un commissair­e pour qu’il me tienne la poignée de gaz tandis que je bricole pour passer la première et je termine comme ça, à l’arrêt. Et sur la deuxième marche du podium ! » Forcément, les choses s’accélèrent. Il se retrouve au Mugello pour son premier Grand Prix. Il dort dans son fourgon, un Fiat 238. Puis Patrick Pons se casse la jambe et demande que ce soit Christian qui le remplace au guidon de la machine offi cielle aussi bien en 250, 350 qu’en 750 ! « Mon expérience se limite alors à une saison de Coupe Kawa. Et à la fi n de l’année, je gagne ma première course, en 350, en signant le record de la piste de Brands Hatch... Avec le recul, je trouve ça impensable. » Il devient pilote offi ciel Sonauto Yamaha en remplaceme­nt de Gérard Choukroun. En 1977, pour sa première saison complète en 750, il se frotte à une belle brochette de légendes en devenir armées de motos d’usine : « Agostini, Ceccoto, Roberts, Baker, Lucchinell­i sur les Yamaha, Hansford et Duhamell sur les Kawasaki... Avec ma machine privée, je termine deuxième du championna­t du monde. » Évidemment, une telle réussite avec une si courte expérience ne se fait pas sans quelques chutes mais aussi une victoire – sa première – en 250, sur le circuit d’Hockenheim face à la Kawasaki d’usine de Kyohara. De nouveau meilleur privé en 1978, il se voit confi er une 500 d’usine pour la saison 79. « Et là, JeanClaude Olivier ( le charismati­que patron de Yamaha en France, ndlr) me dit d’aller faire une course de 750 à Brands Hatch plutôt que des séances d’essais. La moto a des coupures d’allumage et dans la seconde manche, je m’envole dans Hawthorn Bend. » Il percute le rail et se casse trois vertèbres cervicales avant même le premier Grand Prix.

« J’AI PENSÉ À PATRICK : QU’AURAIT-IL FAIT ? »

Le calvaire commence : « Je refuse de me faire opérer pour ne pas gâcher ce rêve d’avoir une moto d’usine en 500. Onze jours plus tard, je suis sur ma 500 à Hockenheim avec une minerve et des pertes d’équilibre. » Avec le recul et une opération menée à bien l’an dernier, Christian n’hésite pas à dire que cette chute a été un tournant dans sa vie : « J’ai dû compenser des pertes de vision et d’équilibre durant toute ma carrière. » Une époque noire où il accumule les déconvenue­s : « J’ai perdu trois ans de ma vie entre les séquelles de cette chute, la mort de Patrick

( Pons, ndlr) et mes blessures aux mains. » Lorsque se produit l’accident où Pons perd la vie à Silverston­e, il est chez lui, un poignet brisé. Les médecins lui soutiennen­t que sa carrière est terminée. « Avec Patrick, nous avions développé une profonde amitié. Et j’ai pensé à lui : qu’aurait- il fait ? Il aurait

continué. C’est ce que j’ai fait. » Il décide de reprendre le guidon via la 250. En 1982, il gagne un Grand Prix. En 1983, il termine second du championna­t du monde avec une moto complèteme­nt stock : « JCO avait refusé d’acheter une paire de cylindres Hummel et c’est Jacky Germain qui se démenait pour la faire marcher. » En 1984, associé à Jacky Germain, Martial Garcia et Serge Rosset, il décroche le titre mondial après une saison sans anicroche. « Mes premiers mots après l’arrivée du dernier

Grand Prix furent pour Patrick. » À la clé, un nouveau sésame pour la 500 en 1985. Il remet en cause son style de pilotage, et lui qui était très statique sur sa moto force sa nature pour déhancher. Il débarque à Kyalami pour le coup d’envoi sans le moindre tour d’essai : « À l’époque, une partie du budget passait dans le Dakar. Il fallait faire des économies. » Au terme des qualifi cations, il signe le 3e temps, à un cheveu de Spencer et Lawson. Avec aussi peu de connaissan­ce de la machine que lui, ses mécanos affi nent la carburatio­n du quatrecyli­ndres. Dans l’ultime séance d’essais, la Yamaha serre en bout de ligne droite : « Je m’envole. Je me réveille à l’hôpital avec un trauma crânien, quatre côtes cassées, une cheville fracturée, entorse du genou de l’autre côté, omoplate fêlée... je signe une décharge en disant que je veux courir le lendemain.

« NERVEUSEME­NT, J’AVAIS DÉJÀ TOUT DONNÉ »

Les médecins rigolent. Je termine cinquième ou sixième de la course. » Il fait podium au deuxième Grand Prix de la saison et au troisième, à Hockenheim, il gagne. Sa seule victoire en catégorie reine. Avec un total de cinq podiums sur douze courses, il termine troisième du championna­t du monde avec une moto privée. Les années 1986 et 1987 sont encore marquées par trop de chutes. En 1988, soit il est sur le podium, soit il est au sol. De nouveau, il fi nit la saison en quatrième position. « Là, je me dis qu’il faut être régulier à tout prix si je veux devenir champion du monde. » C’est ce qu’il fait et, avec Eddie Lawson qui remporte le titre, il est le seul pilote à marquer des points à toutes les courses. Avant le coup d’envoi de la saison 1990, il sait déjà que ce sera sa dernière. « Nerveuseme­nt, physiqueme­nt, j’avais déjà tout donné. Je savais que je ne pourrais plus progresser. » Un coup dur gâchera la partie : « Michelin s’était engagé à me fournir des pneus de développem­ent si je terminais dans les trois. Ce qui n’a pas été tenu. Je suis parti chez Dunlop. Ça a été une catastroph­e. » La messe est dite. Il s’offre juste une dernière pige au Bol d’Or 1994. « J’en avais déjà disputé cinq ou six, sans jamais connaître la réussite entre chutes et casses mécaniques. Un peu comme de Puniet aujourd’hui. » Associés à son frère et au regretté Yasutomo Nagai, ils offrent à Yamaha sa première victoire au Bol. « Il me reste quand même un goût d’inachevé. J’avais réussi mes deux challenges. Être rapide et être fi able. Et je n’ai même pas pu tenter ma chance de décrocher le titre mondial en 500 avec toutes les conditions réunies. »

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 ??  ?? Champion du monde 250 en 1984, l’Auvergnat a enchaîné ensuite des saisons en 500 où il s’est frotté aux plus grands. Barry Sheene, ici au Castellet en 1979, mais aussi Roberts, Spencer, Schwantz, Rainey ou Lawson ont été ses adversaire­s.
Champion du monde 250 en 1984, l’Auvergnat a enchaîné ensuite des saisons en 500 où il s’est frotté aux plus grands. Barry Sheene, ici au Castellet en 1979, mais aussi Roberts, Spencer, Schwantz, Rainey ou Lawson ont été ses adversaire­s.
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 ??  ?? Comme beaucoup de grands talents des années 70, Christian (n° 62) a fait ses gammes en Coupe Kawa. Il s’y est tout de suite fait remarquer, comme ici sur le circuit d’Albi. Sa seule victoire en 500 remonte à 1985 où il s’impose magistrale­ment sur le circuit allemand d’Hockenheim. Dès ses premiers tours de roues, Patrick Pons le prend sous son aile. Les deux hommes seront liés par une indéfectib­le amitié qui sera stoppée nette par le décès de Patrick. Avec sa Yamaha privée, Christian en a fait voir de toutes les couleurs aux stars américaine­s de la fin des années 80. Sans pour autant pouvoir prétendre au titre suprême.
Comme beaucoup de grands talents des années 70, Christian (n° 62) a fait ses gammes en Coupe Kawa. Il s’y est tout de suite fait remarquer, comme ici sur le circuit d’Albi. Sa seule victoire en 500 remonte à 1985 où il s’impose magistrale­ment sur le circuit allemand d’Hockenheim. Dès ses premiers tours de roues, Patrick Pons le prend sous son aile. Les deux hommes seront liés par une indéfectib­le amitié qui sera stoppée nette par le décès de Patrick. Avec sa Yamaha privée, Christian en a fait voir de toutes les couleurs aux stars américaine­s de la fin des années 80. Sans pour autant pouvoir prétendre au titre suprême.
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 ??  ?? « J’AVAIS RÉUSSI À ÊTRE RAPIDE ET FIABLE... MAIS JE N’AI PAS EU LA CHANCE DE JOUER LE TITRE »
« J’AVAIS RÉUSSI À ÊTRE RAPIDE ET FIABLE... MAIS JE N’AI PAS EU LA CHANCE DE JOUER LE TITRE »

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