GP Racing

MOTOE ÉLECTRIQUE LES GRANDS PRIX SANS ESSENCE

... Et quasiment sans bruit. Le MotoE, coupe du monde de vitesse électrique qui se disputera dans le cadre des GP, démarre en mai 2019 à Jerez. Nous en avons suivi les premiers tests.

- Par Thomas Baujard. Photos Gold&Goose.

Samedi matin, le soleil brille sur le circuit de Jerez, et Corrado Cecchinell­i, directeur de technologi­e MotoGP, est accoudé au rail de sécurité avec sa compagne. Tous deux regardent avec délassemen­t passer les proto électrique­s qui, dans la zone de freinage du virage n° 1, n’émettent quasiment aucun bruit. Gaz coupés, ou plutôt accélérate­ur sur off, tout juste entend- on le « Bzzzz » des plaquettes

qui mordent leurs disques aciers Brembo. Corrado raconte : « Ce n’est qu’un début. Je pense que d’ici quelques années, les grands constructe­urs viendront frapper à notre porte. En attendant, profi tons du silence ! »

THE SOUND OF SILENCE

Le MotoE, c’est donc une coupe du monde de motos électrique­s qui sera disputée dans le cadre des GP dès Jerez le 5 mai prochain, pour se terminer le 15 septembre à Misano ( voir encadré En bref). Des courses de sprint de 8 à 10 tours permettron­t aux 18 pilotes d’en découdre sur des machines identiques. L’Energica Ego, sportive italienne commercial­isée en série, propose 140 ch pour 280 kilos. Mais dont la version course, grâce à un carénage carbone et un allégement systématiq­ue, est ramenée à 260 kilos. La batterie de course, dont la capacité de chargement est deux fois plus élevée que le modèle de série, a pour objectif, selon le boss du MotoE, le Français Nicolas Goubert « que tous les pilotes puissent rester à fond durant la totalité des manches, afi n d’éviter toute stratégie de gestion de la puissance » . Ou d’offrir un avantage décisif aux pilotes les plus

légers. En version course, il fut un temps question de faire grimper la puissance de l’Energica à 170 chevaux en qualifi cation, mais pour préserver l’autonomie, elle est restée à 140. Le cadre est amélioré avec un amorto Öhlins, une fourche Öhlins, des freins Brembo plus costauds, et des slicks Michelin développés pour l’occasion. Nicolas Goubert, ancien boss du manufactur­ier clermontoi­s sur les Grands Prix, n’a pas négligé cet aspect crucial de la performanc­e, avec un pneu avant très proche des spécifi cations actuelles MotoGP pour offrir du grip tout en résistant au poids de la machine, mais avec une gomme plus soft. Tandis que pour une montée en températur­e expresse, le slick arrière est lui dérivé du pneu Superbike utilisé par Michelin dans les championna­ts nationaux de vitesse. 140 ch pour 260 kilos, le rapport poids/ puissance de l’Energica peut faire sourire pour une moto de course, mais en bord de piste, les machines ne donnent pas l’impression de se traîner. À Jerez, Bradley Smith n’était qu’à 4 secondes du poleman Moto3 2018 Jorge Martin sur sa Honda d’usine, après seulement deux séances de 30 minutes sur le sec, les essais ayant été perturbés par la pluie. Un chrono honorable pour une première. Pour ces premiers tests offi ciels MotoE, les 18 pilotes ont été logés ensemble dans les box, sans cloisons de séparation. Ce qui donne un petit air de colo à cette troupe sympathiqu­e. Chaque team a droit à sa borne de chargement pour sa ( ou ses) moto( s).

« FACILE À COMPRENDRE »

LCR engage par exemple deux machines pour Randy de Puniet et Nicolo Canepa qui ont dû se la partager, tandis que chez Marc VDS, Mike Di Meglio était seul en piste. Si l’ambiance semble détendue, elle est aussi studieuse. Pilotes, technicien­s et ingénieurs ne perdant pas une minute pour se familiaris­er avec leur nouveau matériel. C’est qu’après ces trois jours de tests fi n novembre, il n’y aura que deux autres

séances d’essai organisées sur ce même tracé de Jerez du 13 au 15 mars, puis du 23 au 25 avril. Cette dernière fera offi ce de répétition générale avant la première course le 5 mai à Jerez. Dans les box, les pilotes restent toutefois accessible­s entre les séances, comme l’Italien Niccolo Canepa, ex- pilote MotoGP Ducati Pramac devenu double champion du monde d’endurance avec le GMT : « J’ai été huit secondes plus vite que ce matin sur le mouillé. De 2’ 02 à 1’ 53’’ 7 ! ( voir encadré Chronos) J’ai demandé à baisser l’avant pour plus d’agilité, mais on est limité par la batterie qui touche l’avant au freinage. On doit freiner dix mètres plus tôt qu’une moto thermique à cause du poids, mais la machine reste facile à comprendre. » Le Français Kenny Foray, un autre habitué de l’endurance, est également dépaysé : « C’est marrant car la moto est à la fois

lourde et peu puissante. Alors qu’avec ce poids, tu t’attends à ce qu’il y ait des Watts. Du coup, il faut repenser les trajectoir­es et rouler comme si tu avais une 125, en gardant un maximum de vitesse de passage. C’est d’autant plus bizarre qu’avec les Pirelli que j’utilise habituelle­ment, il faut casser les virages. Quand la batterie passe sous les 50 %, on perd de la puissance. »

UTILISER L’ENERGICA COMME UNE PETITE CYLINDRÉE

Réaction de Nicolas Goubert : « On va avoir énormément de commentair­es de ce style car c’est une explicatio­n “facile” quand le chrono envisagé relativeme­nt à un autre pilote ou par rapport à ce qu’on attendait n’est pas au rendez- vous. En fait, je ne pense pas qu’il puisse y avoir de perte puissance quand la batterie est à 50 % sauf souci

technique avéré. La cause est souvent ailleurs mais elle est plus diffi cile à détecter. Par exemple, un pilote s’est plaint de ne pas réaccélére­r aussi bien qu’un autre. Après analyse, il se trouve qu’ils n’avaient pas la même couronne arrière ! Il ne le savait pas, bien sûr, et il a cru ainsi à une perte de puissance. » Mike Di Meglio, champion du monde 125 2007, confi rme qu’il faut utiliser l’Energica comme une petite cylindrée, et rouspète contre quelques soucis de jeunesse : « J’ai eu une fuite d’huile au niveau de la batterie ( le système de refroidiss­ement du moteur, ndlr). On ne m’a pas laissé repartir. » Les technicien­s Energica passent voir toutes les équipes et auscultent leur matériel. Pour eux, c’est l’heure de vérité. Mais lors de ce premier jour d’essai, il n’y a eu qu’un gros crash : l’Italien Luca Vitali, qui a eu la mauvaise idée de grimper sur un vibreur humide, et

140 CH POUR 260 KG, LE RAPPORT POIDS/PUISSANCE PEUT FAIRE SOURIRE. IL N’EN EST RIEN

s’est envolé, se blessant sérieuseme­nt à un doigt lorsque la machine lui est retombée dessus. En dehors du carénage émietté et d’un repose- pied poncé, l’Energica a tenu le coup. Elle a l’air solide. Mais vu son poids, il ne vaudrait mieux pas qu’elle parte en tonneaux... En début de soirée, Nicolas Goubert est toujours accroché à son talkie- walkie, et règle fi évreusemen­t les problèmes : « On pensait que la vitesse de charge des batteries serait suffi sante. Le circuit de Jerez nous l’avait garanti. Mais en fait, il y a quelques problèmes de tension dans le réseau, et du coup, c’est plus lent. » Pourtant, dès le deuxième jour d’essai, on sent que les choses se mettent en place.

« L’ÉLECTRIQUE EST UN BANC D’ESSAI »

En dehors de Maria Herrera et de Nico Terol qui ont eu du mal, les chronos ne sont pas trop disparates. Ce qui augure d’un beau spectacle en piste durant la saison. Devant, en compagnie de Di Meglio et Smith, le Finlandais Nikki Tuuli fait des étincelles : « On a commencé avec le frein moteur sur 3, puis 2 , et je mets simplement un peu plus de bouton noir dans les virages serrés ( système qui ajoute ponctuelle­ment du frein moteur, ndlr). En venant du Moto2, je ne pensais pas que la moto serait aussi sympa à piloter. Le seul problème, c’est qu’avec le poids, je ne sais jamais vraiment si elle glisse ou si elle dérive légèrement. » « Et pour cause ! » , analyse Guy Coulon, qui supervise le team Tech3 entre deux séances

d’essais MotoGP. « Avec le poids que ça fait, si tu as de bonnes suspension­s, t’as un grip de folie. Ça se voit encore plus sur le mouillé. En revanche, le pilote doit se forcer à ouvrir à des endroits où d’habitude, il ne peut pas le faire avec une moto puissante. » « Côté pneumatiqu­e, ça ne pose pas de problème, et je n’ai encore eu aucun commentair­e négatif des pilotes » , explique le technicien Michelin Pascal Sasso, qui s’occupe habituelle­ment d’un certain Valentino Rossi. « Avec presque moins de chevaux qu’en MotoGP, le MotoE charge bien moins le train arrière à l’accèle. Pour autant, le warm- up en pneus usés est aussi bon que la fi n de run sur un circuit où il y a du grip. On a les mêmes commentair­es de Capirossi pour le Mans et le Sachsenrin­g, preuve que les pilotes de développem­ent Capirossi et Branetti ont bien fait leur boulot. » « Moi, je me régale ! » , témoigne à son tour, tout sourire, l’ex- vice- champion du monde MotoGP, Sete Gibernau : « Être à nouveau au guidon dans le cadre des GP à 46 ans est totalement inespéré, et je prends un plaisir énorme au guidon. » Alors, coupe du monde au rabais pour anciens combattant­s le MotoE ? « L’électrique est un banc d’essai, explique Hervé Poncharal, le boss de Tech3 et président de l’Irta. Les a priori sont négatifs, mais dans le paddock, les réactions sont positives. » Et Guy Coulon : « Tu pourras dire à tes petits- enfants : le début des motos de course électrique­s, j’y étais ! »

À COUPER LE SOUFFLE

En fi n de journée, débarque le nouveau chargeur « Motion Control » fabriqué par l’entreprise italienne Phase. Le technicien Gabriele Vino explique : « On a 22 kW qui entrent, et 62,5 qui ressortent, afi n de recharger plus vite les 18 batteries de 20 kW. » Le second soir, c’est un Nicolas Goubert nettement plus détendu qui s’exprime. « On est vraiment content, car malgré les inévitable­s problèmes de jeunesse, tout fonctionne, et la majorité des réactions sont positives. Pour une course entre 7 et 9 tours à Jerez, on est déjà quasi prêt. Chaque team sera doté d’un chargeur fi xe, plus un chargeur mobile pour la grille. Ça prend forme. » Alors bien sûr, on peut imaginer que ce que l’on risque d’entendre le plus sur la grille le 5 mai à Jerez, ce soient les siffl ets d’un public mécontent de ne plus entendre de bruit. Mais ce serait oublier une donnée essentiell­e : celle de la chance qui nous est donnée d’assister à la naissance d’une nouvelle technologi­e. Et rien que pour ça, le spectacle du MotoE est à couper le souffl e.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Bradley Smith, par terre à Jerez sur son Energica, démontre que le MotoE n’est pas une plaisanter­ie. Le pilote d’essai MotoGP Aprilia est dans le rythme.
Bradley Smith, par terre à Jerez sur son Energica, démontre que le MotoE n’est pas une plaisanter­ie. Le pilote d’essai MotoGP Aprilia est dans le rythme.
 ??  ??
 ??  ?? Randy de Puniet : « Au-dessus de 70 °C de températur­e de batterie et en dessous de 30 % de charge, ça n’avance plus. C’est galère pour moi car on n’a qu’une moto pour deux (avec Canepa), et ça fait peu de tours de test. En plus, les batteries ne refroidiss­ent pas ou mal : dans quatre heures, elles seront encore à 30 °C. Il nous faudrait un congélateu­r ! »
Randy de Puniet : « Au-dessus de 70 °C de températur­e de batterie et en dessous de 30 % de charge, ça n’avance plus. C’est galère pour moi car on n’a qu’une moto pour deux (avec Canepa), et ça fait peu de tours de test. En plus, les batteries ne refroidiss­ent pas ou mal : dans quatre heures, elles seront encore à 30 °C. Il nous faudrait un congélateu­r ! »
 ??  ??
 ??  ?? 1 Mike Di Meglio livre ses premières impression­s à l’ingénieur japonais Naoya Kaneko : « Je suis surpris par l’agrément de la machine. Le facteur prépondéra­nt à surveiller, c’est la températur­e de la batterie. » 2 Nicolas Goubert, directeur français du MotoE, en conversati­on avec le pilote italien Niccolo Canepa. 3 Niki Tuuli, 2e chrono derrière Smith : « Le second jour, j’ai pu faire dix tours d’affilée. Huit à fond, puis la puissance a chuté. » Voilà pourquoi la course fera 8 tours à Jerez.
1 Mike Di Meglio livre ses premières impression­s à l’ingénieur japonais Naoya Kaneko : « Je suis surpris par l’agrément de la machine. Le facteur prépondéra­nt à surveiller, c’est la températur­e de la batterie. » 2 Nicolas Goubert, directeur français du MotoE, en conversati­on avec le pilote italien Niccolo Canepa. 3 Niki Tuuli, 2e chrono derrière Smith : « Le second jour, j’ai pu faire dix tours d’affilée. Huit à fond, puis la puissance a chuté. » Voilà pourquoi la course fera 8 tours à Jerez.
 ??  ??
 ??  ?? Kenny Foray : « En MotoE, la phase neutre n’existe pas. Il faut remettre du gaz dès que t’as lâché les freins, comme si tu étais sur un 300 4T, mais avec le poids d’une moto d’endurance. »
Kenny Foray : « En MotoE, la phase neutre n’existe pas. Il faut remettre du gaz dès que t’as lâché les freins, comme si tu étais sur un 300 4T, mais avec le poids d’une moto d’endurance. »

Newspapers in French

Newspapers from France