Deletang raconte le Bol......
Météo apocalyptique, événements de course inédits, le 83e Bol d’Or restera comme une édition d’une rare intensité. Sur la piste, mais aussi en coulisses. Jean-Marc Deletang, ex-pilote et aujourd’hui directeur de course, décrypte 24 heures de folie.
L’ex- pilote décrypte 24 heures de folie.
Incontestablement, le circuit Paul- Ricard est l’un des plus beaux circuits du monde, situé dans l’un des endroits les plus désirables. Entre grillons et cigales, couchers de soleil fl amboyant et odeurs de garrigues, le début d’automne y laisse des souvenirs inaltérables. Mais lorsqu’au moment des marées d’équinoxe s’enclenche le déluge, l’Éden se transforme en enfer. Un week- end qui restera gravé à jamais dans la mémoire du trio, Patrick Coutant – président de commission de course à la FFM, le chef d’orchestre –, Paul Duparc – représentant de la FIM en charge de la sécurité sur le circuit – et enfi n Jean- Marc Deletang – Clerk of race – qui composent la direction de course. Depuis le début de la semaine, les prévisions météo s’annoncent alarmistes pour le week- end : « Dès jeudi, nous avons été sous tension. Lors de la séance d’essais des pilotes bleus, nous avons eu une averse qui a généré deux millimètres d’eau et tout de suite, les managers sont venus nous voir pour nous rapporter que les pilotes se plaignaient du manque d’adhérence » , rapporte Deletang avant d’avancer pourquoi il y a des zones d’humidité persistantes sur la piste. « Au Castellet, il n’y a pas de bac à gravier pour piéger l’eau. L’enrobé préconisé pour la F1 est très serré, donc peu drainant. L’évacuation de l’eau se fait uniquement par les pentes naturelles. Dès cette première grosse averse, on a enregistré un pic du nombre de chutes. L’enregistrement des données révèle des pertes d’adhérence, faisant monter de plus de quarante kilomètres/ heures la vitesse de la roue arrière par rapport à la roue avant, au passage de zones humides dans la ligne droite du Mistral. Les pilotes viennent nous voir, ils s’inquiètent du danger que cela peut leur faire courir. Patrick a immédiatement insisté sur la nécessité d’être vigilants sur le suivi des prévisions météo. En parallèle, on réfl échit à la façon d’anticiper l’usage des safety cars, en briffant les team managers mais aussi les commissaires. » Le brief fait aux hommes de bord de piste est particulièrement axé sur la concentration, « afi n de ne pas être surpris par des changements de conditions climatiques que l’on sait être potentiellement brutales. C’est en optimisant la vitesse de réaction que l’on va sauver la baraque. Le Castellet est un circuit très long et nous avons longuement discuté avec des gens du coin pour qu’ils nous expliquent comment l’orage débarque sur le circuit : il se manifeste en face des stands avant de tourner pour se retrouver dans la ligne droite du Mistral, puis la pluie se déclenche au- dessus de la courbe de Signes » . La parole des autochtones s’avère juste : « Ça s’est passé exactement comme ça, et les commissaires étaient déjà prévenus qu’il fallait très rapidement installer la signalisation. On a travaillé dans l’anticipation. Dès le départ, la piste
LES PERTES D’ADHÉRENCE ONT FAIT MONTER DE PLUS DE 40 KM/H LA VITESSE DE LA ROUE ARRIÈRE PAR RAPPORT À LA ROUE AVANT
était mouillée. Puis elle a séché avant que la pluie ne reparte. À 16 h, il y a eu le premier accident, au bout de la ligne droite des stands. Une moto a été percutée à l’arrière par un autre concurrent, deux machines sont au sol. » Entre l’essence, l’huile d’un carter moteur cassé et la pluie, il reste seulement un mètre de piste
praticable le long du point de corde. « À ce moment, je prends conscience que si on a des conditions de course comme celles- ci, avec des chutes et de l’huile à répétition, la nuit va être longue. Pour remettre la piste en état, il faut faire intervenir la balayeuse, mettre du produit, rincer, remettre du produit, rebalayer et encore rincer.
Pour un virage souillé, il nous a fallu 50 minutes de travail. Et pendant ce temps, les pilotes roulent sous safety car... »
« J’AI VU DE LA PEUR SUR LE VISAGE DE CERTAINS »
La course repart. Ça roule un moment sur le sec avant que la pluie ne redouble d’intensité. « Nous savions qu’il fallait s’attendre à un épisode orageux digne d’un épisode cévenol avec 20 millimètres d’eau annoncé entre 17 et 21 h. Et là, il se met
à tomber des cordes. Dans un premier temps, on lance les safety cars. Puis en visionnant les images satellites des masses nuageuses, on s’est rendu compte qu’au bout de 50 minutes, nous n’avions passé que 10 % des précipitations annoncées. On sort le drapeau rouge. On avait passé le message auprès des commissaires de piste : qu’ils fassent preuve d’un maximum de prudence lors des premières pluies au moment de la sortie des drapeaux de changement d’adhérence, et surtout, qu’ils nous informent en direct de la quantité et de la densité d’eau tombée.
Nous avions également briefé les commissaires de stand qu’en cas d’interruption, il fallait disposer les motos sur la ligne bleue dans la ligne droite des stands, y compris celles qui étaient en cours de réparation. » Reste
« IL SE MET À TOMBER DES CORDES. ET AU BOUT DE 50 MINUTES, ON S’APERÇOIT QUE NOUS N’AVONS PASSÉ QUE 10 % DES PRÉCIPITATIONS ANNONCÉES »
que les teams rechignent à laisser les motos sous de telles trombes d’eau. Au fi nal, la direction de course accepte que les machines soient rentrées dans les box, provoquant quelques grincements de dents rétrospectifs pour quelques- unes qui seraient ressorties des stands en meilleure forme qu’elles n’y étaient entrées. « Pour l’instant, le parc fermé est le local technique. On ne peut pas y entrer toutes les machines. L’an prochain, je veillerai à ce qu’il y ait un endroit couvert pour mettre à l’abri toutes les motos engagées. On a eu des échos mais aucune réclamation concernant d’éventuels bricolages. Et si BMW a changé le réservoir, tant pis pour eux ! En revanche, les deux réunions – organisées à huis clos – avec les managers pour expliquer notre décision de suspendre la course, et la façon dans laquelle les choses allaient se dérouler se sont extrêmement bien passées. À aucun moment, quelqu’un n’a demandé à rouler lorsqu’a été évoqué le fait d’interrompre la course durant neuf heures. Tout le monde était conscient du danger. J’ai même vu des expressions de peur sur le visage de certains pilotes. Patrick n’a pas cessé de leur répéter de ne pas s’inquiéter, qu’on ne les exposerait jamais à une situation problématique.
À ONZE HEURES, NOUVEAU COUP DE TONNERRE
De toute façon, ça ne rimait à rien de continuer la course, et que le vainqueur se retrouve à dire qu’il avait gagné parce que les 14 motos devant lui avaient chuté. » Le deuxième départ, donné à 6 heures du matin, s’est non seulement fait de nuit, mais aussi sur une piste mouillée. « Nous avons donc décidé de le donner sous safety car. Encore une fois, la volonté de la direction de course est d’assurer la sécurité des pilotes. Nous sommes conscients des risques auxquels ils sont exposés, notamment au Castellet. La ligne droite est longue, les vitesses de pointe sont élevées. Il n’y a pas de bac à gravier et lorsqu’une moto chute, il faut très souvent remettre les air fence. » Le départ sous safety a également permis de respecter l’ordre dans lequel les concurrents s’étaient arrêtés. « Ça s’est super bien passé. Encore une fois, c’est une chose à mettre au crédit de Patrick Coutant qui a prôné le fait de repartir avec deux voitures, de la même façon que la course s’est arrêtée, afi n de garantir une forme de justice sportive. »
À onze heures, nouveau coup de tonnerre. La Honda F. C. C. qui mène la course casse son moteur et perd de l’huile, la Kawasaki n° 1 qui est dans sa roue chute. Quelques secondes plus tard, c’est au tour de la Yamaha n° 7 du YART de rejoindre le bac à gravier en percutant violemment la Kawa. Les deux machines s’embrasent. « C’est là que tu te dis que les pilotes en course en arrivent à oublier l’essentiel. Lorsque la Kawa tombe, la Yam’, avec Loris Baz à son guidon, n’est pas encore dans la SainteBeaume ( à environ 2000 mètres du crash,
ndlr). Les commissaires agitent le drapeau de changement d’adhérence, sans sortir de drapeau vert ensuite ; cela signifi e que la piste n’est toujours pas déclarée propre. En arrivant dans le Beausset, Loris ne voit pas de drapeau mais ne s’arrête pas pour autant. Or, tant qu’il n’y a pas de drapeau vert, c’est toujours le régime de changement d’adhérence qui prévaut. Il tombe. C’est limite une faute professionnelle. Après, c’est facile de jeter la faute sur la direction de course, mais un pilote est responsable de ses actes. Les safety cars sont sortis 45 secondes après la première chute. Si on lance les safety, c’est parce qu’on suspecte de l’huile sur les virages de Signes, du Beausset et le gauche suivant, et non pas à cause de l’incendie qui, de toute façon, n’est pas encore déclaré. Encore une fois, l’absence de bac à gravier et la présence de patins en nylon ( sur les fl ancs, pour limiter les dégâts lors d’une glissade, ndlr) sur les motos font que la Yamaha arrive vite et tape dans la Kawa. On aurait pu perdre un commissaire qui, à ce moment- là, était en train de pousser la Kawa pour tenter de la redémarrer. La Yam’ fauche la Kawasaki et le commissaire se retrouve protégé par le sabot, ce qui lui évite d’avoir les deux jambes cassées et de ne pas se faire prendre dans l’embrasement qui survient instantanément. »
Très impressionnant, le feu se propage rapidement au poste de commissaire et à la barrière de pneus : « Le feu effraie.
Les gens ne sont pas confi ants lorsqu’ils interviennent. Et on n’a que deux extincteurs sur place. Le temps de faire venir le camion de mousse, les deux motos, les barrières de pneus et le poste de commissaire ont eu le temps d’être touchés. Ça a brûlé en un quart d’heure. Et même après ça, on a été obligé de continuer à arroser. » La course reste sur safety car encore un long moment avant d’être relancée : « Il nous a fallu remettre un poste de commissaire, des drapeaux, des extincteurs... Ça nous a pris une quarantaine de minutes. » La fi n de course est une vraie course d’endurance, avec une intensité sportive forte et des commissaires qui font bien leur boulot.
« COMPLÈTEMENT LESSIVÉS »
« Maintenant, il nous faudrait encore travailler sur le bon passage des informations aux pilotes. Peut- être grâce à un petit tableau de bord indépendant où serait présent le tracé du circuit et où l’on pourrait passer un message d’alerte lorsqu’il se passe réellement quelque chose d’important. Ce serait pas mal. Avec nos moyens techniques, cela devrait être possible. C’est une question de volonté. On a tous à gagner à avoir plus de réactivité » , espère Deletang, qui dresse le bilan suivant : « Patrick, Paul et moi sommes rentrés complètement lessivés de notre semaine au Castellet. »
C’EST FACILE DE JETER LA FAUTE SUR LA DIRECTION DE COURSE, MAIS UN PILOTE EST RESPONSABLE DE SES ACTES