LA NOUVELLE VIE DE JOHN “HOPPER” HOPKINS
Enfant terrible du MotoGP dans les années 2000, John Hopkins a traversé des moments difficiles dont il s’est aujourd’hui relevé. L’Américain entame cette année une nouvelle carrière de conseiller auprès de Joe Roberts, pilote Moto2 du team American Racing.
Boitillant tel un vieillard, mais souriant comme un gamin qui vient de jouer un bon tour à ses copains, John Hopkins est l’un des premiers à se presser contre les barrières du parc fermé du circuit de Losail pour féliciter Joe Roberts. En ce samedi 7 mars, le pilote du team American Racing vient de décrocher sa première pole position en Grands Prix. Depuis celle réalisée par Ben Spies lors des qualifications du Grand Prix d’Indianapolis en 2010, plus aucun pilote américain n’avait eu le loisir de se hisser à la première place d’une grille de départ. Pour expliquer sa performance au micro de Simon Crafar, aujourd’hui pit reporter de motogp. com, Joe Roberts parle des changements au sein de son équipe, de ce cadre Kalex dont il rêvait depuis longtemps, de son nouveau chef mécanicien, Lucio Nicastro, qui a toujours bonifié le talent de ses pilotes... Et bien évidemment, de John Hopkins avec qui il a bossé tout au long de l’hiver pour aborder la saison 2020 avec des objectifs revus à la hausse. « John m’a fait progresser en pilotage et mentalement, il m’apporte
aussi beaucoup, glisse le protégé d’Eitan
Butbul. Je prends du plaisir sur ma moto comme jamais, c’est extra. » Les mots de celui qui terminera le lendemain la première course de la saison Moto2 en quatrième position vont droit au coeur de son compatriote. « Je suis sur la Lune, lâche Hopkins, pas peu fier de la performance
de son élève. Joe mérite vraiment cette pole, il a travaillé dur cet hiver. Il n’y a pas eu une semaine où nous n’étions pas sur une piste ou un circuit pour qu’il s’entraîne. On a beaucoup parlé de ses forces et de ses faiblesses pour le faire évoluer. Le résultat est là. » L’ancien pilote américain, contraint il y a un peu plus de deux ans de raccrocher définitivement son cuir après une énième blessure, cette fois due à un grave accident dans le championnat d’Angleterre de Superbike, ne pouvait rêver mieux pour entamer ce qu’il espère être une nouvelle carrière... « Je suis passé par une sale période, confesse- t- il. Lorsque je me suis encastré dans ce rail à Brands Hatch en chutant en qualification, j’ai tout de suite compris que, cette fois, c’était sérieux.
J’ai passé six semaines dans un hôpital de Londres, dans une pièce sans fenêtre sur le monde extérieur, sans pouvoir bouger la moindre partie de mon corps. Je me suis explosé les deux genoux, cassé quelques vertèbres, abîmé le bassin... Encore plus que physiquement, cela m’a détruit mentalement.
« J’EN SUIS À 36 INTERVENTIONS CHIRURGICALES »
J’en suis à 36 interventions chirurgicales depuis le début de ma carrière ! J’ai passé des mois dans un fauteuil roulant sans pouvoir me lever. J’ai deux enfants de six et trois ans, et j’adore leur consacrer du temps. Ils ne comprenaient pas que je ne puisse plus m’accroupir pour jouer avec eux.
Même si pendant un moment, j’ai pensé que j’allais pouvoir suffisamment récupérer pour remonter sur une moto, j’ai dû me rendre à l’évidence : ça ne sera plus possible. J’ai un genou que je ne peux même pas plier. C’est quand j’ai pris conscience que ma carrière de pilote était bel et bien terminée que je me suis mis à penser à la suite. J’ai
commencé par des opérations d’ambassadeur avec Monster sur quelques courses, j’ai également fait un peu de commentaires télé,
un podcast MotoGP... » Et puis l’opportunité de travailler avec le team American Racing au service de Joe Roberts s’est présentée. « Tout a commencé avec Johnny Louch, le préparateur physique avec qui je travaille depuis l’époque du MotoGP. Johnny possède quelques salles de sport et le centre d’entraînement W en Californie. De nombreux pilotes tels que Miller et Quartararo vont s’entraîner chez lui. J’ai commencé à bosser avec Johnny en 2005, il s’occupait alors de pilotes de Supercross. Je lui ai fait découvrir le MotoGP, il me suivait sur les courses. Depuis, on est restés proches. » Quand Eitan Butbul a récupéré l’an dernier des mains de Fred Corminboeuf l’équipe CarXpert pour en faire le team American Racing, Johnny Louch s’est rapproché de celui qui était alors le manager de Joe Roberts. « Ils ont conclu un accord promotionnel, l’un laissant l’équipe et les pilotes s’entraîner dans son gymnase, et l’autre permettant à Johnny d’utiliser
ORPHELIN DE PÈRE, IL EST PRIS SOUS L’AILE PROTECTRICE DE CEUX QUI ONT LANCÉ SA CARRIÈREÈRE
une partie du carénage de ses motos pour sa publicité et sa promotion. Après une saison 2019 difficile avec la partie- cycle KTM, Eitan voulait vraiment passer la vitesse supérieure en aidant Joe du mieux possible. Il a renforcé le staff technique, acheté des cadres Kalex... Il voulait faire appel à quelqu’un pour aider ses pilotes à s’entraîner, mais aussi pour les conseiller pendant les courses. Il m’a proposé le job. Joe et moi avons grandi en Californie à vingt minutes l’un de l’autre. Nous avons couru sur les mêmes pistes, j’étais le héros de son enfance... Ça pouvait faire une bonne combinaison. Au final, il s’avère qu’on s’entend super bien et que j’adore mon nouveau job. Durant ma carrière, j’ai toujours essayé de donner un coup de main quand je le pouvais. Quand j’ai débuté, ma famille n’avait pas d’argent, et si je n’avais pas eu le soutien de nombreuses personnes tout au long de ma carrière, je n’aurais jamais pu devenir pilote professionnel. »
DES RENCONTRES QUI ONT CHANGÉ LE COURS DE SA VIE
John Hopkins n’avait qu’une douzaine d’années lorsque son père est décédé.
Cela a suffi pour que sa passion de la moto soit transmise au fils. « Mes parents et mes soeurs ont quitté l’Angleterre à la fin des années soixante- dix pour s’installer en Californie, raconte John. Je suis le seul de la famille à être né aux États- Unis. Mon père faisait de la course sur route en Grande- Bretagne. En arrivant en Californie, il s’est mis au tout- terrain. À cinq ans, j’ai commencé à rouler avec un PeeWee, j’ai fait mes premières courses en motocross puis je suis passé à la vitesse avec une
125 Yamaha. Je roulais régulièrement sur le circuit de Yellow Springs, mais j’étais beaucoup trop jeune pour courir dans le championnat AMA. » Lorsqu’il se retrouve orphelin, John est pris en main par un ami de son père impliqué dans la gestion du championnat de mini- bike américain. « Il m’a aidé de 11 à 14 ans, précise John. C’est lui qui m’a acheté mes différentes motos mais à un moment, ça n’était plus possible. » Faute d’argent, les envies de compétition du jeune Hopkins tiennent malheureusement de l’impossible. « C’est là qu’une autre rencontre a changé le cours de ma vie, en l’occurrence celle du fils de John Ulrich qui, outre le fait d’être
le patron du magazine Road Racing Cycle World, était également manager du team Suzuki Valvoline. » Ulrich est aussi celui qui avait découvert quelques années plus tôt un certain Kevin Schwantz. Pilote qu’il a épaulé lors de ses premières courses en Europe. « John m’a aidé jusqu’à ce que j’arrive en Grands Prix, explique Hopkins.
Il m’a permis de remporter le titre 750 Supersport, de devenir champion de Formule XTrem et surtout, d’effectuer deux séances d’essais à Brno et à Estoril sur une 500 Yamaha du team WCM. Je n’avais alors que seize ans... » Peter Clifford, le team manager de l’équipe Yamaha Red Bull est un ami de longue date de John Ulrich. Les deux hommes ont fréquenté la même école de journalisme. Séduit par le talent de Hopkins, et amateur de défi, celui qui, deux ans plus
tôt, a lancé Garry McCoy en Grands Prix 500, propose en 2002 au jeune Américain de succéder à Noriyuki Haga. « Sans toutes ces personnes, je n’aurais jamais eu la carrière qui a été la mienne » , insiste John. Remarqué dès ses débuts, le pilote américain rejoint l’année suivante l’équipe Suzuki MotoGP avec laquelle il va passer cinq saisons. « Même si mes débuts avec la 500 Yamaha, à dix- huit ans, sont à jamais gravés dans ma mémoire, ma meilleure année de
Grands Prix a bien évidemment été la saison 2007, assure- t- il. J’ai terminé quatrième du championnat avec quatre podiums. »
Son passage chez Kawasaki en 2008 va malheureusement plomber sa carrière en MotoGP. Le constructeur japonais décidant de se retirer de la compétition en fin d’année, Hopkins n’a d’autre choix que de migrer vers le Superbike. Il court en BSB comme en Mondial mais se blesse trop souvent pour s’offrir ce titre qui manque aujourd’hui à son palmarès. « Je garde un bon souvenir de la saison 2011, note l’Américain. J’ai terminé vice- champion d’Angleterre. »
« JE ME SENS MIEUX
DANS CE NOUVEAU RÔLE »
Passant par la suite au travers de graves problèmes personnels et d’une sérieuse dépendance à l’alcool dont il finira par guérir, Hopkins s’estime à présent à l’orée d’une nouvelle vie. « J’ai beaucoup à partager, glisse le nouveau coach rider
du team American Racing. J’ai couru en MotoAmerica, en Grands Prix 500, en MotoGP, en BSB et en Mondial Superbike. J’ai une expérience de la course assez large et je suis heureux de pouvoir désormais en faire profiter de jeunes pilotes comme Joe. D’autant qu’on a beaucoup de points communs, lui et moi. En discutant, je me suis rendu compte que ses points forts et ses points faibles étaient ceux que j’ai eus tout au long de ma carrière. Cela m’a donné l’occasion de lui donner des conseils et des petites choses à travailler qui lui ont permis de faire un bond en avant durant l’hiver. Il avait tendance à vouloir garder trop de vitesse au point de corde et avait du mal à sortir des virages. On a travaillé ses trajectoires en mettant des repères au sol et en répétant des passages des dizaines de fois et ce, en essayant de ne pas dévier de la ligne d’un pouce. Ce sont ces techniques qui m’ont permis d’arriver en MotoGP. La différence, c’est que j’ai dû les apprendre seul, je n’avais personne pour m’aider du bord de la piste. Je pense que je vais lui faire gagner du temps. » Et de conclure : « On me demande parfois si j’ai des regrets. C’est sûr que si c’était à refaire, je ne referais pas tout pareil. Mais des regrets, non, je n’en ai pas. Les erreurs que j’ai commises m’ont fait devenir celui que je suis aujourd’hui. Et pour être honnête, je me sens mieux dans ce nouveau rôle que je ne l’ai jamais été durant toute ma carrière de pilote. »
« MA MEILLEURE ANNÉE DE GRANDS PRIX A BIEN ÉVIDEMMENT ÉTÉ LA SAISON 2007 »