Mag : Coulon se raconte .....
Naissance de Tech3, Suzuki d’usine en 250, titre mondial d’Olivier Jacque, pole position en 500 et arrivée du MotoGP : les années 90 ont été d’une richesse inouïe. Voyage.
Acte 2 : voyage dans les années 90.
Fin 89, Guy Coulon goûte pour la première fois à la catégorie reine. Avec une Honda RS et Dominique Sarron. « La moto n’était pas fameuse, mais je pense aussi que les meilleures années de Piaf étaient
déjà derrière lui » , se souvient l’intéressé. L’aventure se déroule dans la structure Roc de Serge Rosset. En plus de Guy, Hervé Poncharal, Bernard Martignac, Didier Langouet et Stevie Blackburn sont de la partie. « C’est une période de grand changement dans le monde des Grands Prix. Jusqu’alors, les importateurs engageaient leurs propres équipes qui, au final, étaient des doublons des équipes d’usine. Les constructeurs ont alors décidé de louer leurs motos à des équipes privées qui devaient se débrouiller pour trouver le financement auprès de sponsors. Roc était un peu précurseur avec ses Honda aux couleurs ElF. » Coulon, Poncharal et Martignac se disent qu’ils peuvent le faire pour eux. Langouet et Blackburn sont là aussi, sans pour autant être associés. « Nous avions un petit porteur, genre huit tonnes, qui traînait une caravane. On louait 100 m2 dans une carrosserie à Bormes- les- Mimosas. Et ça suffisait. »
Toujours avec Dominique Sarron, revenu à la 250, l’équipe ne fait pas de podium, mais des places dans le Top 5. Ce qui leur fait perdre la NSR, la Honda d’usine, pour la saison 1991: « Là, il nous faut trouver un pilote qui accepte de rouler sur une 250 RS. » C’est Jean- Pierre Jeandat qui se retrouve au guidon de la version compétition- client. « Et l’on fait plutôt une très bonne année puisqu’il finit 12e au championnat avec une compétitionclient, juste devant un pilote qui dispose de la même moto que lui et qui n’est autre que le champion du monde 500 en 1999, Alex Crivillé ! Jean- Pierre était un pilote très doué mais pas très bien entouré et un peu fantasque ! »
Face aux moteurs d’usine, ça commence à bricoler sévère du côté de Bormes : « Nous n’avions pas le kit usine, nous avons donc commencé à faire faire des échappements par Millet, trouvé des pièces moteurs à droite, à gauche, à jouer sur les suspensions... »
Le savoir- faire du team est reconnu et en 1992, Suzuki s’adresse à Tech3 afin d’assurer son retour en Grands Prix 250. Les deux pilotes sont Wilco Zeelenberg et Herri Torrontegui. « Notre problème fut que le sponsor, Lucky Strike, voulait également s’occuper de la technique et des pilotes, alors qu’ils n’y connaissaient rien... ce qui nuit à la performance ! » Mais la moto n’était pas si mal née que ça. En milieu de saison, deux jours d’essais sont programmés sur le circuit de Barcelone. Kevin Schwantz, pilote de la marque en 500, demande à essayer la 250. « Le meilleur temps en 250 avait été signé par Cardus avec sa 250 NSR. Kevin n’était jamais monté sur une deux et demie. Il restait vingt minutes de séance. Il part sans même faire les positions sur la moto. Il s’arrête une seule fois pour régler deux bricoles, et il fait le meilleur temps de toutes les 250 sur les deux jours ! » En 1993, il n’y a plus qu’une seule moto engagée par Suzuki chez Tech3, l’autre revient à l’infortuné Wakai qui décède
1992 : SUZUKI S’ADRESSE À TECH3 AFIN D’ASSURER SON RETOUR EN GRANDS PRIX 250
après avoir tenté d’éviter un touriste dans la voie des stands de Jerez et qui se tue en tapant dans le mur. « Chez nous, c’est John Kocinski qui est choisi. Un pilote maniaco- dépressif. En forme, il était impossible à suivre, mais quand il était dans le creux dans la vague, c’était beaucoup plus problématique. » Fin de l’histoire avec Suzuki qui jette l’éponge dans cette cylindrée. Retour chez Honda pour 94 « avec deux 250 RS, dont une avec le kit pour Fred Protat, et l’autre pour Noël Ferro, transfuge de la 125 et natif de Bormes- les- Mimosas. Résultat... zéro point » !
Une bulle qui, à ce jour, reste unique dans l’histoire de Tech3. Durant l’hiver, Olivier Jacque et son père François débarquent dans le bureau de Poncharal. « Je ne les connaissais pas. Hervé m’appelle : ils n’ont rien pour rouler, qu’est- ce qu’on pourrait faire ? Dans la conversation, j’entends encore François, son père, dire : de toute façon, mon fils roulera en Grands Prix, et, de toute façon, il sera champion du monde 250 ! » S’ensuit une rapide gamberge où Guy liste les pièces qui lui restent de la saison passée : « On a réussi à assembler une moto comme il faut. Kayaba nous avait contactés pour entrer en GP et nous a fait une suspension pour la RS qui allait plutôt bien. On a bricolé avec des pièces de l’année précédente. Par exemple, on a démanché les vilebrequins afin d’y adapter l’allumage de kit ce qui nous permettait d’utiliser des modèles de série... » Ce qui, au passage, a le don d’agacer Honda qui vend alors des vilos « Kit » à des tarifs bien supérieurs à la pièce d’origine. « La moto marchait pas mal, très bien même, puisqu’OJ a fait cinq premières lignes dans la saison. »
En Argentine, il est troisième toute la course, devant les six motos d’usine. Doriano Romboni le passe dans le dernier tour pour le déloger du podium. « C’est évidemment grâce au talent du pilote... mais aussi à la moto qui n’était pas trop mal. » Le boulot sur la partiecycle, dont Guy avait totalement la charge, est considérable : « Comme nous avions des fourches Kayaba, il nous a fallu retravailler les tés de fourche pour les monter. Au passage, nous avons prévu un angle de direction réglable, tout comme l’arrière de cadre pour régler l’assiette de manière beaucoup plus pratique que ça ne l’était sur la RS. On a aussi créé une nouvelle selle autoporteuse, ce qui nous a permis de régler le point d’ancrage de l’amortisseur de façon très rapide. » Un job que Guy attribue à son expérience vieille de 10 ans, et à celle de ses deux acolytes, Martignac et Langouet, sur les Honda 250, « mais également à la faculté du pilote à faire remonter les informations lorsqu’il est à un dixième de la pole position plutôt qu’à deux secondes ! OJ roule vite à toutes les courses, on voit tout de suite si une modification apporte un gain de performance » . Les performances d’une moto « d’occasion »
intriguent justement les Japonais. « Votre pilote va bien, votre moto va bien, mais nous sommes inquiets : vous ne nous avez pas commandé de pièces de rechange »
s’interrogent- ils. Ce qui oblige Guy à leur expliquer ses stratagèmes mécaniques pour éviter les factures astronomiques du HRC. S’ensuivent un rapport au Japon et une réponse digne d’un maquignon : « On vous autorise à continuer à utiliser le vilebrequin de série, mais à condition de ne pas le dire aux autres équipes ! » Quand on sait que le prix d’un vilo de série était de 600 francs, alors que la pièce HRC dépassait les 5 000... on comprend mieux l’inquiétude des Japonais !
« PERSONNE NE VOULAIT DES YAMAHA. NOUS, ON LES A PRISES »
Les performances d’OJ apportent davantage de visibilité au team Tech3 et pour 1996, il y a deux NSR dans le box. « En y croyant un peu plus, et s’il ne s’était pas fait shooter à plusieurs reprises, il aurait pu être champion du monde dès sa deuxième saison. » Les deux années suivantes, OJ est trop souvent blessé pour avait prétendre un moteur jouer porteur le titre. sur lequel En 1998, étaient la NSR ancrés le bras oscillant et la suspension. « On avait un peu bricolé, notamment un réglage pour ajuster la hauteur de bras, ce qui n’est pas autorisé sur une moto du HRC, donc on a bien planqué notre boulot. » En 1999, changement de marque chez Tech3. Des Yamaha arrivent en même temps que Shinya Nakano. « Entre les NSR et les Aprilia très performantes, personne ne voulait des Yamaha qui n’avaient pas roulé en 250 depuis 1993. Donc nous, on les prend. » Chez Honda, Tech3 était une équipe parmi d’autres, chez Yamaha, la visibilité est à plus long terme, notamment avec la perspective de passer en 500. « Tout de suite, nous voyons que la moto est performante, même si son moteur est un peu en retrait face aux autres. La stratégie devient donc de partir devant et de ne pas se faire rattraper dans le bout droit... » OJ se blesse à nouveau et ne revient qu’en fin de saison où il gagne l’ultime course de la saison en Argentine devant Ukawa et le tout frais champion du monde, Valentino Rossi. « Il avait une confortable avance qui s’est mise à fondre. En fait, les deux culasses, l’une après l’autre, s’étaient fendues et à l’arrivée, il ne restait pas la moitié du volume initial de liquide de refroidissement. » Arrive 2000. Le team est conscient d’avoir deux pilotes performants et toujours un handicap moteur : « La tactique est donc que les deux pilotes partent devant et que, si possible, ils s’aident. »
Tech3, soutenu par Yamaha, s’adjoint les services d’un aérodynamicien, Massimiliano Bottacini. Ils partent faire des tests au Mugello : « Le deal était simple : si on gagnait 5 km/ h, on payait sa facture. Sinon, c’était pour lui. » Finalement, le gain est de
7 km/ h. « Un plus qui sera décisif. » Arrive l’ultime course de la saison. Les deux pilotes Tech3 sont en tête du championnat avec trois points d’écart. « S’ils se battent pour la victoire, celui qui gagne est titré. Mais si nous faisons “pâté” et que Kato et sa Honda
gagnent, c’est lui qui décroche la couronne. »
L’ambiance est tendue. Chaque équipe est focalisée sur son pilote et chacun aimerait
évidemment le voir gagner. « On sait qu’à Phillip Island, ça se termine souvent en paquet, et que celui qui a le moins bon moteur se fait repasser sur la ligne d’arrivée. L’idée est donc, comme pour les courses précédentes, qu’ils se tirent tous les deux devant pour ensuite se débrouiller entre eux. » Ils font
une course de folie seuls devant. « Même
Kato n’arrivait pas à suivre. Aux essais, OJ était derrière Shinya. Je lui avais dit que le problème allait se poser dans la dernière courbe. » À l’époque, le haut moteur de la Yam’ présentait deux options. Le A facile à utiliser mais un poil moins rapide et le B plus pointu, mais légèrement plus performant. « Il fallait se décider avant le début du week- end. On avait choisi le B, et Nakano le A. La veille de la course, je dis à Olivier que la meilleure tactique est d’essayer de rester dans son cul et d’attendre le dernier virage pour le passer. Avec notre option moteur, nous avons un petit avantage et je lui dis de garder un peu de marge à la sortie du virage 9 ( le droit après la descente de Lukey Heights, ndlr) puis de revenir pour être dans sa roue à la sortie de la dernière courbe et de le déboîter pour le passer sur la ligne d’arrivée. Il a appliqué ces consignes à la lettre. » Vingt ans plus tard, Guy a le souvenir intact de la satisfaction du « ça, c’est fait » . « Et si le coéquipier d’OJ n’avait pas été Shinya, les choses ne se seraient certainement pas passées ainsi. Il y avait bien sûr une émulation entre les deux pilotes, mais la personnalité de Shinya a fait que ça s’est toujours bien passé, sans débordement. Nakano, c’était le choix d’Hervé : à l’époque, les Japonais n’en voulaient pas. » En 2001, titre ou pas, l’affaire était bouclée depuis un moment et des 500 Yamaha arrivent chez Tech3. Avec la même
paire de pilotes : « Le team était prêt. Nous étions dans de nouveaux locaux depuis 1992 ( remplacés l’an dernier, ndlr) et depuis 1999, nous avions deux semi- remorques, deux équipes techniques de quatre à douze employés, et tout s’est mis en place petit à petit. Du début des années 90, on passe d’un petit camion avec deux motos pour deux pilotes, et quatre personnes, à deux semi- remorques, une douzaine de personnes, et quatre motos. C’est pour ça qu’il fallait s’y prendre à temps. Déjà en 2000, si tu voulais créer ton équipe de toutes pièces, il fallait être solide. En étant monté graduellement, c’était possible. Aujourd’hui, les seuls qui pourraient encore y parvenir sont des multinationales comme Petronas. » En tout cas, à l’époque, le passage de la 250 à la 500 se fait en douceur : « Il suffit d’ajouter un mécanicien pour chaque moto. Ne serait- ce que pour monter la machine sur la table... Tout est un peu plus long, mais à l’époque, ce n’est pas beaucoup plus compliqué que la 250, si ce n’est qu’il faut vérifier quatre cylindres au lieu de deux ! » Fin 2002, pour les trois dernières courses de la saison, Tech3 reçoit des M1 : « Là, c’était vraiment différent. J’irais même jusqu’à dire que c’était un changement de métier. D’autant que – ce que l’on a du mal à imaginer aujourd’hui – les premières M1 ont des carburateurs. Tu dois bosser un peu comme avec les 2- temps quand il fallait changer de gicleur durant la séance. » À l’arrivée de l’injection, la charnière 2003- 2004, le job évolue de nouveau : « Là, ce sont les ingénieurs qui prennent complètement la moto en main. Il n’y a plus de sorciers de la carburation ou quoique ce soit... » Les mécaniciens n’ouvrent plus les moteurs. « En revanche, ils les enlèvent et les remontent un paquet de fois. Avec un gros travail de contrôle pour tous les périphériques. »
LE PASSAGE AUX 1000 4-TEMPS
Ce qui se traduit par un changement radical du travail du chef mécano : « Avant, le boulot était principalement basé sur les choix de géométrie. Aujourd’hui, il faut intégrer tous les paramètres de gestion et de contrôle, comme l’antiwheeling ou l’antipatinage. Les moteurs sont désormais tellement puissants qu’il faut toutes ces aides et savoir les allier aux réglages mécaniques de géométrie de cadre et au fonctionnement des suspensions. À l’époque, sur les 500, la gestion du moteur était extrêmement limitée, si ce n’est fin 2002, sur la dernière 500 que nous avons utilisée, où un système de frein moteur était géré électroniquement mais avec une soupape mécanique dans la culasse. Il est certain que si nous avions continué deux ou trois ans de plus avec les 2- temps, nous aurions eu l’injection mais surtout, le même niveau d’électronique qu’avec les 4- temps. Par habitude et connaissance du 2- temps, nous arrivions à gérer. En 2004, c’est sûr que nous aurions eu le contrôle de frein moteur et l’antiwheeling géré électroniquement. »
Guy a toujours la certitude que ce n’est pas le 4- temps qui a imposé les technologies employées et développées encore de nos jours, mais le passage aux 1000 4- temps, et leur puissance qui avoisine désormais les 300 chevaux qui a servi d’accélérateur à sa maturation : « Notamment pour la gestion du frein moteur, qui était injouable sans électronique. » Sans même parler du rendement moteur : « Dans une 250 de 95 chevaux, il nous fallait 24 litres de carburant pour boucler entre 110 et 120 kilomètres, maintenant dans un 4- temps de 100 cm3 et de presque 300 chevaux, on a 22 litres pour parcourir la même distance. C’est un peu comme si au départ d’une course actuelle, on te proposait de mettre le moteur de ton choix, avec 22 litres de carburant, on aurait avec un 500 2- temps moderne autour de 160 chevaux, et avec le 4- temps moderne, pas loin de 300 chevaux. Une autre histoire. » Comme celle que vous retrouverez dans la troisième partie de cette saga où l’on découvre Guy constructeur et vainqueur de Grands Prix. Entre autres.