GP Racing

Interview Johan Stigefelt....

ON NE GAGNE PAS SEPT GRANDS PRIX AVEC UNE MAUVAISE MOTO

- Par Michel Turco, LBSM. Photos Jean-Aignan Museau.

Rencontre avec le directeur du Sepang Racing Team.

Pour le team Yamaha Petronas, la saison 2020 aura autant eu la réjouissan­te saveur de la victoire que l’amertume de la défaite. Il en reste des sentiments contrastés sur lesquels revient Johan Stigefelt, le directeur du Sepang Racing.

Johan, tu es d’un côté le directeur de l’équipe qui a obtenu cette saison le plus grand nombre de victoires, de l’autre tu es le patron du team qui a laissé échapper le titre après avoir durablemen­t mené le championna­t.

Quels sentiments t’habitent aujourd’hui ?

Comme tu viens de justement résumer notre parcours, mes sentiments sont forcément partagés. Je retiendrai­s tout de même avant tout nos succès. Même si nous avons enregistré quatre résultats blancs, nous avons aussi obtenu six victoires avec nos deux pilotes. Pour une équipe indépendan­te, c’est extraordin­aire. Il y a eu aussi un autre podium à Brno avec Franky ( Franco Morbidelli)... Après, pour toutes les raisons que l’on sait, cette saison a été très particuliè­re. Démarrer avec deux victoires à Jerez, c’était génial. Et quand par la suite ça a été plus difficile pour Fabio ( Quartararo), c’est Franky qui a repris le flambeau. En début d’année, notre objectif était de voir nos deux pilotes aux avant- postes. On a clairement mené à bien cet objectif puisque Fabio et Franky ont gagné l’un et l’autre, mais ils se sont aussi retrouvés tous les deux à la lutte pour le Top 3 du championna­t jusqu’au dernier GP. Pour cela, je suis très fier de ce que l’équipe a réalisé.

À quel niveau avez-vous, selon toi, le plus progressé ?

L’expérience acquise l’an dernier nous a tous bonifiés. Notre équipe est jeune, nous ne bouclons que notre seconde saison en MotoGP. Même si nous l’avons composée avec des technicien­s compétents ayant pour la plupart un solide background, il fallait prendre des habitudes de travail, former un groupe homogène. C’est ce que nous avons fait l’an dernier tout en obtenant de super résultats.

La saison de Fabio nous a aidés à grandir, on a pu attaquer 2020 avec des bases solides. Par rapport à l’an dernier, on a également resserré les liens avec Yamaha et l’ensemble de nos partenaire­s techniques.

Tout cela nous a rendus plus forts.

Comment expliques-tu les résultats en dents de scie de Fabio, lui qui l’an dernier avait été si régulier ?

C’est quelque chose qu’on a étudié de près, qu’on a essayé d’analyser en détail... Ce n’est pas facile de tirer des conclusion­s. Je pense que deux facteurs expliquent ce manque de régularité : le premier concerne la technique, le second le feeling et la confiance perdus par Fabio sur plusieurs circuits. En tout cas, avoir gagné trois GP pour se retrouver hors du coup en fin d’année... C’est dur à avaler pour nous tous. Mais la réalité est bien celle- là, on a perdu trop de points, malheureus­ement.

Qu’est-ce qui cloche sur cette Yamaha 2020 ?

C’est difficile de le dire. Je ne pilote pas la moto, je ne fais qu’écouter Fabio et les technicien­s. On a quand même gagné trois courses avec cette moto. Avec la victoire de Maverick ( Viñales), ça fait même quatre. On ne peut donc pas dire que ce soit une mauvaise machine. Non, le package technique a du potentiel, c’est évident, mais il est aussi tout à fait évident que les ingénieurs n’en ont pas encore la totale maîtrise. C’est une moto qui a beaucoup évolué depuis l’an dernier, il faut du temps pour mieux la comprendre et en tirer le meilleur.

LA FIABILITÉ A ÉTÉ UN PROBLÈME PONCTUEL. ELLE N’EST PAS À L’ORIGINE DES MONTAGNES RUSSES SUR LESQUELLES NOUS AVONS ÉTÉ EMBARQUÉS

Il faut améliorer le package global pour que les pilotes s’y sentent plus en confiance. On voit bien que les commentair­es et les sensations de Franky sont très différents car il roule, lui, avec une M1 2019 qui a juste reçu quelques évolutions. Avoir cette année deux motos différente­s dans le garage était à ce titre intéressan­t.

L’histoire semble se répéter chez Yamaha. Quand Zarco a débuté en MotoGP en 2017 avec Tech3, il était souvent le meilleur pilote de la marque alors qu’il ne disposait que de la moto de la saison précédente. L’an dernier, Rossi et Viñales ont souvent regretté de ne pas disposer de la moto de Fabio. Et maintenant, ils envient celle de Franco... On a parfois un peu l’impression que l’évolution de la M1 se fait en marche arrière...

Je ne suis pas ingénieur... Nous sommes une équipe indépendan­te, nous sommes des clients de Yamaha. Nous louons des motos sans avoir notre mot à dire sur son développem­ent même si nous y participon­s d’une certaine manière. On sait tous que lorsqu’un constructe­ur sort une nouvelle moto, il y a toujours un risque de rencontrer des problèmes, ou tout au moins des difficulté­s.

Il n’y a jamais assez de recul, jamais assez de kilomètres parcourus pour être sûr que cette nouvelle moto sera plus efficace de partout. On a pu mesurer que le moteur de la M1 2020 était un peu plus puissant. En revanche, on s’est aussi aperçu qu’il y avait sur la moto 2019 des caractéris­tiques offrant un meilleur feeling au pilote. Tout le monde essaie d’innover pour progresser, mais ça n’est pas toujours simple. La technique réserve parfois des surprises...

Il y a aussi eu des problèmes de fiabilité avérés et cela, aussi bien sur le moteur 2019 que le moteur 2020. Cette mauvaise série de soupapes vous coûte cher au final...

C’est un sujet délicat qu’il m’est difficile d’évoquer car je ne suis pas un employé de Yamaha... Nous utilisons le matériel que l’on nous fournit et nous essayons de faire du mieux possible. Après, des problèmes, tout le monde en rencontre. Toutes les équipes ont des soucis à gérer en coulisses. Je l’ai dit, on ne gagne pas sept GP avec une mauvaise moto. C’est notre manque de régularité qu’il faut chercher à comprendre aujourd’hui. Pourquoi avons- nous alterné de très bons résultats avec de très mauvaises performanc­es ?

C’est cela qu’on doit cerner. La fiabilité a été un problème ponctuel mais un problème identifié. Et elle n’est pas à l’origine des montagnes russes sur lesquelles nous avons été embarqués.

Tu vas demander une ristourne sur la location des motos la saison prochaine ?

( Rires) Je vais y réfléchir !

Plus sérieuseme­nt, ne crois-tu pas que si Fabio avait été champion, son titre aurait été entaché par cette histoire de soupapes non conformes et ces points seulement retirés à Yamaha pour les classement­s équipes et constructe­urs ?

Franchemen­t, je suis impliqué dans cette histoire depuis le départ. Je sais exactement ce qui s’est passé, et je sais surtout ce que cela nous a coûté et de quelle manière cela nous a affectés. Nous n’avons pas pu faire le championna­t avec nos cinq moteurs, mais seulement avec trois. Ce changement de soupapes n’a été effectué que pour une question de sécurité. Il n’y a eu aucun gain de performanc­e. Je respecte la décision de la FIM, et je peux comprendre les critiques et les objections de nos adversaire­s. Mais crois- moi, s’ils savaient ce qu’on a vécu, ils sauraient que cela ne nous a pas aidés. Bien au contraire. Ça a été très difficile, surtout pour les pilotes qui méritent sans aucun doute les points qu’ils ont inscrits. Leur retirer serait vraiment injuste.

De quelle manière l’absence de Marquez a, selon toi, bouleversé ce championna­t ?

C’est un sujet dont nous avons beaucoup parlé entre nous. Bien sûr que si Marc ne s’était pas blessé, il serait aujourd’hui devant. Mais avec quelle avance sur les autres, ça, c’est plus difficile à dire. On a vu l’an dernier Fabio se battre avec lui à plusieurs reprises. À Misano et en Thaïlande, il lui a tenu tête jusqu’au dernier tour et même jusqu’au dernier virage. Cela avait été pour nous un grand motif de satisfacti­on. Cette année, à Jerez, on a vu Marc devant avec Fabio et Maverick tout près. Qu’elle aurait été la suite de la saison

JE SUIS CONVAINCU QUE SUZUKI ET YAMAHA ONT LES MEILLEURES MOTOS DU PLATEAU. ON LE VOIT, LA PUISSANCE NE FAIT PAS TOUT

s’il n’y avait pas eu cette blessure ? C’est vraiment difficile à dire. Ce qui est certain, c’est que ce championna­t aurait été totalement différent.

Le nouveau Michelin arrière a lui aussi pas mal redistribu­é les cartes...

De notre côté, il ne nous a pas perturbés. Le seul problème qu’on ait eu avec un pneu arrière, ça a été avec Franky à Valence, sous la pluie : le pneu était défectueux, mais pour le reste, tout s’est bien passé.

En revanche, avec l’avant, vous avez encore connu quelques soucis de gestion de pression, à Aragon et à Valence. Comment l’expliquer ?

C’est un sujet compliqué avec, là encore, une combinaiso­n de facteurs. On sait que la pression monte avec la températur­e. Il faut donc éviter de se retrouver trop longtemps en paquet car dans ces conditions, le pneu n’arrive plus à refroidir. La place sur la grille est importante, les premiers tours de course également. Je ne sais pas si la Yamaha est plus sensible que les autres ou si ce sont nos pilotes qui le sont, mais il va falloir trouver des solutions car on ne peut pas gâcher une course comme on l’a fait pour une pression de pneumatiqu­e.

Contrairem­ent à Yamaha, Suzuki et son quatre-cylindres en ligne ont été très réguliers cette saison...

Oui, on ne peut que saluer leurs performanc­es. Ils ont fait du très bon boulot, ils méritent d’être champions du monde. Il n’y a rien à dire. Le team et les pilotes ont parfaiteme­nt géré ce championna­t. N’oublions pas que Suzuki revient de loin, ils ont connu un long passage à vide. Leur dernier titre remontait à la saison 2000, avec Kenny Roberts.

En tout cas ils ont prouvé qu’un quatre-cylindres en ligne pouvait encore être champion du monde...

Bien sûr. Je suis convaincu que Suzuki et Yamaha ont aujourd’hui les meilleures motos du plateau. Il n’y a qu’à compter le nombre de victoires et de podiums. Ce package technique n’est peut- être pas le plus puissant, mais on voit bien cette année que la puissance ne fait pas tout.

On a parlé de moteurs et de pneus, parlons maintenant de pilotes. Dans quels secteurs Fabio doit-il progresser selon toi ?

Ça n’a pas été simple pour lui cette année de se retrouver avec une moto d’usine qui, on l’a vu, n’est pas encore aboutie. Il y a eu un moment où il a perdu le feeling et cela entraîne forcément un problème de confiance. À ce niveau- là, la performanc­e tient à peu de chose, le doute peut facilement s’installer. Fabio est jeune, il manque encore d’expérience, c’est logique qu’il y ait des choses qu’il ne maîtrise pas totalement. Il est parfois encore un peu trop émotif. Ce qui s’est passé à Misano n’aurait pas dû arriver ( son coup de sang auprès de la direction de course, ndlr), mais c’est quelque chose que nous aurions dû maîtriser. Et crois- moi, cela n’arrivera plus. L’équipe a elle aussi encore des choses à apprendre.

De son côté, même s’il profite d’une moto peut-être plus facile, Franco Morbidelli a lui aussi bien progressé...

Oui, et ça me fait vraiment plaisir. Franky est de plus en plus fort. L’an dernier, sa première saison chez nous n’avait pas été simple. Les exploits de Fabio avaient été pour lui difficiles à accepter. Ça n’était pas évident pour un pilote qui était censé être notre fer de lance. Mais il n’a pas baissé les bras. Au contraire, il a bossé dur l’hiver dernier. Bien qu’au courant du fait qu’il n’aurait pas la même moto que les trois autres pilotes Yamaha, il ne s’est pas laissé miner. Ramon Forcada l’a soutenu moralement. Il l’a aidé à adopter une attitude positive en le convaincan­t que sa moto avait des qualités qui feraient parfois défaut aux autres. Il l’a aidé à en tirer le meilleur. Franky s’est investi à 100 % et je suis certain qu’il sera encore plus fort l’an prochain.

De quelle moto disposera-t-il ?

Il va conserver celle qu’il a utilisée cette saison. Il aura la même moto.

Le développem­ent étant figé jusqu’en 2022, es-tu inquiet pour la M1 qui sera celle de Rossi l’an prochain ?

C’est quelque chose qui est dans les mains de Yamaha. Je pense que les Japonais sont conscients de la situation. Ils doivent travailler dur pour résoudre les problèmes qu’on a eus cette saison. On sera de notre côté impliqués dans la préparatio­n de 2022 avec Valentino.

Que pouvez-vous espérer de Rossi après la saison qu’il vient de connaître ?

S’il a décidé de poursuivre sa carrière, c’est qu’il a toujours envie de courir et qu’il est motivé. Pour nous, ce sera un nouveau chapitre d’une histoire encore très jeune. Ça va nous donner un nouvel élan, c’est un peu comme une étincelle. Franky et lui s’entendent très bien, je prends cela pour un changement intéressan­t, une nouvelle expérience. On va remixer l’équipe avec l’arrivée de David ( Muñoz), Matteo ( Flamigni) et Idalio ( Gavira). J’espère que l’envie et la passion de Valentino seront pour nous une source d’inspiratio­n.

L’armada VR46 a la réputation de prendre de la place...

Oui, je sais. Mais nous avons une très bonne relation avec Franky, c’est un type super cool, très calme. Je ne cache que je suis un peu nerveux à l’idée de travailler avec Valentino qui reste la légende des Grands Prix. Mais les discussion­s que nous avons eues pour préparer son arrivée chez nous se sont très bien déroulées. Je suis confiant.

Et comment vois-tu la suite ?

On verra ça avec lui dès les premiers mois de l’année prochaine. S’il veut continuer ou non en 2022. Si tel n’est pas le cas, on cherchera un rookie. Notre ambition reste de former des jeunes pour tenter de faire aussi bien qu’avec Fabio.

Pour cela, vous êtes aussi engagés en Moto2 et en Moto3. Tu attendais beaucoup de Xavi Vierge en début de saison. Pas trop déçu ?

Il n’avait pas trop mal commencé malgré des difficulté­s à trouver les bons réglages avec sa moto. Il y a eu une progressio­n en Autriche, et puis sa chute lors de la deuxième manche à Misano lui a fait perdre confiance. Il est retombé au Mans, il s’est blessé... C’est vrai qu’on attendait mieux, mais je suis certain que Xavi sera plus régulier l’an prochain. Nous aurons une belle équipe en Moto2, mais aussi en Moto3 avec John ( McPhee) et Darryn ( Binder).

Si tu devais résumer cette saison 2020 en deux mots ?

« Up and down » !

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