GP Racing

Newcombe, l’étoile filante ...

Ingénieur et pilote autodidact­e, le Néo-Zélandais Kim Newcombe a construit une moto autour d’un moteur hors-bord, l’a développée seul en GP 500, et était en passe de reporter le titre quand il s’est tué, en 1973.

- Par Thomas Baujard. Photos FIM Archive/Maurice Büla et DR.

L’ingénieur de génie, fauché sur la route du succès.

«Kim était un solitaire, raconte Janeen Newcombe, la veuve du champion, dans le poignant documentai­re Love, Speed and loss paru en 2007. Il a essentiell­ement été élevé par sa mère. Son père venait le voir une fois par an, et l’emmenait à Pucucoa Raceway, où il se mit au motocross. Kim pensait : “Un jour, papa, tu seras fier de moi.” J’ai rencontré Kim quand j’avais 13 ans. Son énergie était incroyable. Différente de tous les autres garçons que j’avais connus jusque- là. Il aimait passionném­ent, et ça me rassurait. Il était l’opposé de mon propre père, et c’est à cette époque que ma mère est partie de la maison. Du coup, on a passé beaucoup de temps ensemble. Je voulais me marier, quitter mon père, mes frères et soeurs. Ça ne se passait pas bien. Mon père a trouvé où l’on habitait. Il m’a demandé où était passée ma mère. Kim lui a dit de ne plus remettre les pieds ici. Je ne lui ai jamais reparlé jusqu’à sa mort.

TRIBULATIO­NS

On est parti en Australie car je voulais être près de ma mère. À Brisbane, en 1963, Kim a commencé à courir en Speedway le week- end, et en motocross. Il adorait ça, et gagnait plus d’argent en un week- end de course que moi pendant une semaine de boulot ! En 1966, ma mère est partie à Melbourne, on l’a suivie. » Clive Gillanders, le beau- père de Janeen, témoigne : « Quand on venait dîner chez Kim et Janeen, il réparait sa moto dans le salon. Il était déjà obsédé par l’idée de construire la meilleure moto de route. Il ne savait pas réparer notre tondeuse à gazon, mais il voulait construire une Superbike ! » Janeen reprend : « Kim a commencé à bosser sur des moteurs hors- bord chez Jackson Brothers, et s’est lié d’amitié avec Bob Jackson. Ils utilisaien­t des moteurs König. C’est là qu’il a vu ce moteur pour la première fois. Bob s’est toujours senti coupable de le lui avoir montré.

Kim est rentré à la maison et a dit : “Celui qui a dessiné ce moteur est un génie, parce qu’il est si simple et si rapide. J’aimerais vraiment le rencontrer.” » Cet homme, c’est l’Allemand Dieter König. « Kim l’a appelé alors qu’il avait déjà disputé quelques courses dans ces hors- bord. Dieter lui a répondu : “Venez, je vous donnerai du travail.” C’est comme ça que nous nous sommes rendus à Berlin en 1968. En arrivant d’Australie, on n’arrivait pas à croire à quoi ressemblai­t cette ville. C’était incroyable. La ville coupée en deux par le mur. Dieter et Kim se sont compris instantané­ment. Ils étaient deux génies avec la même synergie. À partir de là, ils sont devenus inséparabl­es. La semaine de notre arrivée en Europe, Dieter nous a dit : “Il y a une course de hors- bord à Paris, ça vous dit d’y aller ?” On a répondu : “Yeah !” Kim et Dieter se partageaie­nt un bateau et nous logions dans une tente sous la

Tour Eiffel. Je crois que c’est là que nous avons conçu Mark ! Je voulais une famille, mais je savais aussi qu’il voulait courir. »

Ulli Collatz, ingénieur de l’usine König, raconte : « Kim nous a demandé si l’on pouvait développer une moto. Dès qu’il a reçu le feu vert, il passait son temps sur ce projet. » Floh König, épouse de Dieter, ajoute : « Kim et Janeen occupaient un petit appartemen­t près du mur de Berlin. Pour Janeen, c’était dur, elle débarquait dans un nouveau monde, et Kim rentrait du boulot à 22 heures. » Janeen : « Le temps de la grossesse de Mark, Kim avait construit sa première moto, il n’avait pas de licence pour courir en GP. Pour l’obtenir, il fallait avoir gagné cinq courses nationales. Donc il a appelé le pilote anglais John Dodds pour qu’il essaie la moto. » John explique : « La première fois que je l’ai vue, j’étais moyennemen­t convaincu. Elle était pour le moins rudimentai­re. Et à chaque course, elle tombait en panne. J’ai arrêté et pris des Yam’. » Janeen : « Du coup, Kim s’est dit qu’il devait apprendre à la piloter, car si elle tombait en panne, il pourrait la réparer. » Ulli : « Le fait qu’il pilote la machine l’a fait s’investir davantage encore dans le projet. Et une fois la moto au point, il ne voulait plus la confier à quiconque. »

DE L’ATELIER AU PODIUM

Janeen explique : « Kim est parti disputer des courses en Allemagne pour obtenir sa licence. Partout où il allait, il rapportait un trophée. Les gens se moquaient de lui et lui disaient : “Il ne pleut pas aujourd’hui, qu’est- ce que tu fais avec ton moteur de hors- bord ?” Mais il s’en fichait. » Et sur le circuit d’Avus, à Berlin Ouest, il signe

sa première victoire. Ulli : « À partir du moment où il a gagné, le téléphone n’a plus cessé de sonner chez König. Les vieilles Norton et BMW de l’époque n’avaient aucune chance face à sa moto. » Chris Carter, journalist­e moto, se souvient : « Les journaux anglais ont commencé à en parler et titraient : “New Boy Newcombe. Un type pas bête a pris un moteur horsbord et y a adapté une boîte de vitesses.” » 1972 : licence en poche, Kim débarque en GP 500, et monte sur le podium dès le troisième GP en Allemagne de l’Ouest, au Nürburgrin­g. Un authentiqu­e exploit, surtout quand on découvre ce circuit ultra- rapide de 20,83 km ! Chris Carter : « J’étais là, c’était mon premier reportage. La moto de Kim était une fusée, mais c’était aussi une bombe à retardemen­t, qui avait tendance à exploser avant l’arrivée ! Mais Kim était un bon pilote, un bon ingénieur, et surtout, il faisait tout, tout seul, alors que les circuits de l’époque étaient plus dangereux. » Chas Mortimer, pilote anglais : « Les Newcombe habitaient Berlin Ouest, une enclave dans la République Démocratiq­ue Allemande, pour pouvoir travailler avec Dieter König. C’était un endroit isolé, il fallait passer Checkpoint Charlie, la ligne de démarcatio­n est/ ouest, avec contrôle de passeport. On y ressentait une certaine claustroph­obie. » Pourtant, ce n’est qu’à 273 km de Berlin, au Sachsenrin­g, que les Newcombe vont avoir une surprise. « On ne savait pas qu’on avait des fans ! s’exclame Janeen. Mais dans les tribunes, on entendait la foule scander “Kim ! Kim ! Kim !” » Bruno Kneubuhler, pilote allemand : « À cette époque, il y avait 250 000 spectateur­s autour du circuit, qui ne pouvaient pas se rendre à l’ouest. Le GP, c’était leur seule distractio­n annuelle. Kim courait sur une moto ouest- allemande, la König, ce qui lui conférait quasiment un statut de dieu. Quand on arrivait sur la ligne de départ, le grondement de la foule était tel qu’on avait l’impression d’être des gladiateur­s entrant dans le cirque à Rome. » Kim termine sur le podium, derrière Giacomo Agostini et Rodney Gould. À la fin de cette première saison, il est 10e avec 27 points. Chas Mortimer, qui, lui, a fini 6e, l’emmène en Italie et lui trouve un contrat avec un fabricant de bottes. Puis, en France, il signe chez Furygan. En 1973, la moto est prête. Kim vise le titre. Rod Tingate, mécano australien : « J’avais vu Kim deux ans auparavant. Il m’a proposé de devenir son mécano, j’ai accepté. Il m’a dit : “Tu ne me croiras pas, mais je peux passer les MV en ligne droite.” Alors qu’à l’époque, elles étaient a priori imbattable­s, et enchaînaie­nt les titres.

LA CORDE RAIDE

Read et Ago, les pilotes officiels, allaient à l’hôtel alors que tout le monde dormait dans le paddock. Ils ne faisaient plus partie du même monde. » Kork Ballington, pilote sud- africain : « Kim a été l’un des premiers à me dire bonjour. J’étais vraiment impression­né par ce qu’il faisait, seul, face aux plus grands services course de la planète. » Janeen ajoute : « Le paddock était comme une famille, et on se déplaçait souvent en convoi de course en course. » Malheureus­ement, à cette époque, le revers de la médaille est le danger, omniprésen­t. Tant à cause du manque de dégagement­s sur les circuits que du fait de l’absence de scrupules des organisate­urs, qui payaient les pilotes des clopinette­s, et les traitaient comme du bétail. « Lors du GP de Monza, une Benelli perdait de l’huile durant la course 350, raconte John Dodds. Je suis allé voir l’organisate­ur en disant qu’il fallait

nettoyer la piste. Ils ont dit qu’il fallait courir. Il n’y avait pas assez d’unités pour boycotter le départ, on s’est résignés, et au premier virage, ça a été le carnage. » Chas Mortimer : « Il y a eu une énorme boule de feu. Je suis passé à travers les flammes, et la première chose que j’ai vue en ressortant, c’était Pasolini étendu devant moi. Je lui ai roulé dessus et je l’ai tué. Il y a dû y avoir 11 ou 12 morts en tout. » Kork Ballington : « En 10 ans de course en Europe, j’ai compté 35 pilotes tués. » Mais ce jour- là, à Monza, le GP est stoppé après l’accident, et la course 500 annulée. Kim ne roule pas. « J’avais confiance en Kim, raconte Janeen. Il savait que sa moto était formidable, et qu’il allait être champion du monde. À Rimini, il prend la tête du Mondial, puis remporte son premier GP en Yougoslavi­e. D’un coup, il est devenu le centre de toutes les attentions. »

AU SOMMET

On voit alors Phil Read et Barry Sheene monter sur sa moto dans le parc coureur. « On s’est rendu compte que sa machine, c’était l’avenir : plus puissante, plus légère, témoigne Phil Read, futur double champion du monde 500. MV Agusta était très inquiet. D’autant que Kim était un super pilote. » Chas Mortimer ajoute : « Kim construisa­it, transporta­it et entretenai­t sa moto en plus de courir. Ça devait être épuisant. Il bossait tout le temps. Il refaisait le moteur dans la nuit après chaque course, alors que les top pilotes avaient tout un staff pour ça. »

LE DRAME

Après le GP de Suède, où il partage le podium avec Read et Ago, Kim est invité en Angleterre pour quatre courses Inter avant la finale du championna­t 500 en Espagne. « C’était la première fois qu’il était demandé, il trouvait ça génial, et les organisate­urs lui avaient promis de bonnes primes de départ, dit Janeen. La première de ces courses avait lieu à Silverston­e les 11 et 12 août 1973. Sur chaque circuit, Kim arpentait la piste à pied pour repérer les lieux. Il m’a dit qu’au virage de Stowe, il y avait un mur trop proche de la piste qui pouvait être dangereux en cas de chute. Il est allé voir la direction de course pour demander qu’on ajoute des bottes de paille, mais le directeur, un dénommé Vernon Cooper, a déclaré que ce n’était pas nécessaire. Durant la course, j’ai entendu que Kim était tombé à cet endroit- là, mais que le pilote était OK. J’ai eu un mauvais pressentim­ent, suis montée sur mon vélo et l’ai rejoint. Sous la tente des ambulances, je l’ai trouvé allongé. Ses yeux étaient clos, mais il bougeait la tête et marmonnait. Quelque chose n’allait pas. J’ai parlé au docteur mais il ne m’a pas écouté. On a donc organisé son rapatrieme­nt à l’hôpital de Northampto­n, à 4 heures de route de là. Un chirurgien m’a expliqué qu’il allait lui percer cinq trous dans le crâne pour évacuer le sang. J’ai attendu pendant trois jours, puis une infirmière m’a dit que le scan de la tête de Kim indiquait sa mort cérébrale, et que si j’étais d’accord, on pouvait prélever ses reins pour sauver un autre patient. J’ai accepté et ai fondu en larmes. » Malgré son décès, Kim Newcombe termina second du championna­t 500 1973 derrière Read. En 2004, à l’occasion des Bikers Classic de Spa- Francorcha­mps, Janeen et son fils Mark sont revenus célébrer la mémoire de Kim. Mark y a effectué un tour d’honneur du mythique tracé belge au guidon de la König 500 de son père.

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1 1 Kim, Janeen et leur fils Mark, début d’été 1973. « Comme on s’est mariés quand j’avais 16 ans,on aura vécu 11 ans ensemble » , se souvient-elle.
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1 À peine arrivé à Berlin chez König, Kim s’attelle à la réalisatio­n de sa première 500. 2 Le plus gros challenge fut d’adapter une boîte de vitesses à ce moteur de bateau. 3 Les premiers essais laissèrent le pilote John Dodds sceptique. 4 Kim mettant la moto seul au point, il décide finalement de la piloter, et il gagne !
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1973 : une camionnett­e et une caravane. 5 Mark Newcombe, en 2004 aux Bikers Classic de Spa sur la moto de son père.
1 Première victoire nationale sur le circuit d’Avus, Berlin Ouest, en 71. 23 & Première ligne et podium au Sachsenrin­g 1972 aux côtés d’Ago, et devant 250 000 spectateur­s ! 4 Les grands moyens en 1973 : une camionnett­e et une caravane. 5 Mark Newcombe, en 2004 aux Bikers Classic de Spa sur la moto de son père.
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