GQ (France)

200 000

Exemplaire­s vendus pour le premier roman de Despentes, Baise-moi, sorti en 1994.

- BYE BYE BLONDIE

Si on jouait au jeu des citations, au lieu de poser des questions ? Je vais te citer des phrases de ton nouveau roman, Vernon Subutex, 1. Par exemple : « Vernon Subutex, c’est quoi ce blaze pourri ? »

VD : En fait, ça a été mon pseudo sur Facebook pendant quatre ans, Vernon est le deuxième prénom de Cyril Connolly, un écrivain et critique anglais (décédé en 1974, ndlr) dont je lisais justement Ce qu’il faut faire pour ne plus être écrivain (1938), qui me plaisait beaucoup. Pendant longtemps je ne suis pas allée sur Facebook, un peu par snobisme. Et puis, pour voir comment se passait la sortie de mon film Blondie (2012), j’ai commencé à regarder. Et finalement, je suis devenue accro. Pendant deux ans, j’y étais tous les jours.

« Vernon est resté bloqué au siècle dernier quand on se donnait encore la peine de prétendre qu’être était plus important qu’avoir. »

VD : Oui, avant on faisait plus semblant. C’est peut-être parce que je viens de Nancy, ou que j’étais punk, mais, plus jeune, ça ne me serait pas venu à l’idée de frimer avec un sac. Encore moins d’admirer quelqu’un pour le prix de ses pompes. Les chaussures chères, je n’ai découvert que ça existait qu’à la fin des années 1980. Quand le hip-hop est arrivé et que les baskets hors de prix sont devenues à la mode. Avant, pour moi, il y avait la bonne paire de Dr Martens qui venait d’angleterre, la bonne paire de Converse qui venait de New York. Mais ce n’était pas parce que c’était cher que c’était classe. Du coup, quelqu’un qui frime parce qu’il porte un truc cher, ça reste une énigme pour moi.

À propos des trentenair­es, tu écris : « Éliminer son prochain est la règle d’or du jeu dont on les a gavés au biberon. »

VD : Quand on parle de « Secret Story », de « La Nouvelle Star » ou de « Koh-lanta », on oublie qu’il est toujours question d’éliminer quelqu’un. Il faut être assez malin pour trouver le moyen que les autres dégagent, jusqu’à ce qu’il ne reste que toi. Dans « Secret Story », la voix (qui est une sorte de subconscie­nt fou) te demande de trahir ta meilleure copine, ton fiancé ou ton allié… Et les gamins le font. C’est ça que l’émission apprend à son public : il faut trahir son prochain pour survivre.

« Depuis Zadig & Voltaire, la mouise a perdu son aura poétique. Alors que pendant des décennies, elle venait valider l’artiste, le vrai, celui qui a préféré ne pas vendre son âme. Aujourd’hui, c’est mort aux vaincus, même dans le rock. »

VD : Pour nous, c’était le contraire. Quand des groupes comme Nirvana ou les Bérurier Noir avaient trop de succès, moins de regrets de s’être mal comportées. Elles ont moins cette propension à faire n’importe quoi avec quelqu’un. Ou alors, elles fétichisen­t moins leur culpabilit­é…

« Les femmes évoluent avec l’âge, elles cherchent à comprendre ce qui leur arrive. Les hommes stagnent héroïqueme­nt, puis régressent d’un seul coup. »

VD : Ça, c’est une formule. Je le pense un peu mais j’essaie aussi de faire rire les lecteurs. Mon héros est passif. Autour de moi, je ne connais quasi aucune fille de mon âge qui est encore en train de jouer à la Playstatio­n toute la journée avec ses potes alors que j’ai plein de copains qui le font. C’est comme les pétards, à un moment les filles arrêtent, pourtant, on adore ça.

Arrêtons les citations un instant. Ton héros est un quadra qui se retrouve à la rue dès le début du roman, mais tu n’as pas l’air de le plaindre.

VD : Non. Il a une façon de se retrouver à la rue qui est particuliè­re, liée à une forme de dépression. C’est un branleur comme il y en a tant dans le milieu du rock…

C’est un livre très critique à l’égard de ce début de XXIE siècle et particuliè­rement dur pour la gent masculine.

VD : Il y a un deuxième tome qui est déjà écrit, où il se passe d’autres choses. Et disons que les mecs seront un peu revalorisé­s. Enfin, valoriser les mecs n’est pas mon objectif premier – vous faites ça assez bien vous-mêmes, tout le temps.

Reprenons : « Jusqu’au début des années 2000, un tas de gens se débrouilla­ient plutôt bien. »

VD : La marginalit­é cool, la précarité supportabl­e, c’est terminé. Dans les années 1970-1980, on trouvait encore du boulot, les loyers étaient vraiment moins chers. On pouvait choisir de ne pas trop s’investir profession­nellement et vivre quand même bien. L’école publique fonctionna­it bien, la santé était fiable… le pire qui pouvait arriver, c’était de se faire couper le téléphone. Mais à un moment donné, ça s’est raidi. Aujourd’hui, c’est plus dur, même pour les jeunes. Ils commencent par des stages non payés, et s’estiment heureux

C’est dû à quoi ? À l’âge ? À ta position sociale d’écrivain et de réalisatri­ce ? Au Prix Renaudot en 2010 ?

VD : À la pratique aussi. Il y a vingt ans, j’aurais paniqué en arrivant dans un grand restaurant comme celui-ci. Je me serais sentie agressée. Déplacée. Hostile. Aujourd’hui, je suis rentrée tellement de fois dans des endroits qu’on peut appeler select, que ça ne me fait plus rien, physiqueme­nt. Ça ne veut pas dire que c’est devenu « chez moi ». Et le fait d’avoir arrêté de boire depuis quinze ans a également fait évoluer énormément les choses. Désormais,

VD : C’est vrai. Si Michel Houellebec­q affirmait un truc comme ça, ce serait plus bizarre. La grande différence c’est sans doute qu’il existe vraiment un tabou absolu sur l’anus des mecs. Il faut que ça reste fermé. Alors que tout le monde à l’impression que quand une femme devient lesbienne, il n’y a pas grand-chose qui change d’un point de vue technique. Tous les organes fonctionne­nt déjà dans l’hétérosexu­alité.

Un homme peut parfaiteme­nt se faire pénétrer par sa femme. En revanche, il ne peut pas sucer la bite de sa femme. La vraie différence, tu ne crois pas que c’est la fellation ?

VD : C’est possible. D’ailleurs, d’après les gens qui s’intéressen­t à l’histoire du porno, la fellation serait arrivée dans le porno hétéro via le porno homo. La fellation apparaît par Buzz in the Sun, un classique du porno homo sublime, d’ailleurs. Et juste après sort Gorge profonde. Donc, tu as sans doute raison, le grand tabou des hommes hétéros ce serait de sucer un autre homme. D’ailleurs quand j’ai réalisé Baise-moi avec Coralie Trinh Thi, je voyais bien que les mecs dans la salle, quand ils voyaient une bite en érection sur grand écran, ça leur faisait un choc.

Toi, tu y vois du désir refoulé. C’est peut-être une répulsion sincère…

VD : Vous êtes tous équipés de ce truc, alors pourquoi en avoir peur sur grand écran ?

Je crois que la femme est le sexe qui se préfère. Pour un homme, l’idée de coucher avec le même pose davantage de problème…

VD : Pourtant, dans la vie sociale, vous vous aimez beaucoup plus que les femmes ne s’apprécient entre elles. Vous adorez la compagnie les uns des autres, vous vous trouvez brillants, vous vous montrez sous votre meilleur jour. C’est peut- être moins érotisé, mais vous vous aimez beaucoup plus.

Revenons à ton livre. À propos des gens de cinéma, tu écris : « Maintenant qu’ils comprennen­t que bientôt les subvention­s viendront de l’extrême droite, je te parie tout ce que tu veux qu’ils vont changer de ton. Ça retourne sa veste avec souplesse tout ça. »

VD : Bien sûr, certains refuseront de prendre les subvention­s d’un ministre de la Culture FN. Mais la plupart s’adapteront très bien. Le cinéma français c’est un peu particulie­r comme milieu. Il est composé de gens qui évitent toujours les problèmes. Par exemple, après Baise-moi, Et en fait, tu entends ce genre de conseil : « Si tu veux refaire un film, fais attention… » Ce qui s’avère une vraie différence avec le milieu littéraire. Quand tu es interviewé pour un roman ça ne viendrait jamais à l’idée de ton éditeur, de ton attachée de presse d’essayer de te freiner, ou de t’en reparler après coup. C’est comme si personne n’écoutait ce que tu dis, tu es parfaiteme­nt tranquille. C’est que la polémique fait partie de l’activité : on ne finance pas un roman, ça change tout.

Ça a des conséquenc­es sur les films qu’on produit ?

VD : J’ai passé trois ans dans une commission du CNC à lire des scénarios et j’ai adoré ça, d’autant que c’était Paul Otchakovsk­y-laurens, un éditeur que j’aime beaucoup, qui en était le président. J’ai rencontré plein de gens, c’était très intéressan­t. Mais je n’ai jamais participé à une discussion politique, à une engueulade sur le fond. J’ai lu 25 scénarios chaque mois pendant trois ans et il n’y a pas eu un seul film qui nous ait posé un vrai problème, qui ait provoqué chez nous de vrais désaccords. Là, tu te dis, putain…

Et ça fait combien de temps qu’on ne fait plus en France de films qui posent problème, qu’on arrondit les angles ?

VD : Je dirais depuis les années 1990. Depuis Pialat ou Romance X de Catherine Breillat, qui a fait scandale ? J’ai l’impression qu’on ne se dispute plus jamais sur un film, nulle part. On aime ou on n’aime pas, mais on ne peut pas s’engueuler sur un film. Prends L’apollonide : Souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello, on ne va pas se disputer là-dessus, on dirait un film des années 1960.

Baise-moi, c’était les cathos traditiona­listes qui pensaient que ça ne devait pas sortir au cinéma, non ?

VD : Détrompe-toi, le film a fait la couverture de L’obs et Laurent Joffrin parlait de « fascisme à derrière humain », il soutenait sans complexe l’extrême droite dans sa demande de censure. Il était décomplexé avant l’heure, lui… mais on n’a pas été soutenus par la presse de gauche en général. Le sexe, il fallait arrêter avec ça. Et en fait…

tu deviens lesbienne, au bout d’un moment, t’as envie de voir des filles s’embrasser. Ça te change un peu.

Tu voulais que ça s’arrête là ? Beaucoup ont été déçus que ça n’aille pas plus loin.

VD : Je voulais vraiment que ça s’arrête là, justement pour ne pas faire un film lesbien et que les mecs viennent se rincer l’oeil. Ceci dit, c’est con parce que quand je vois La Vie d’adèle, le seul truc qui m’intéresse et me plaise, c’est les scènes de sexe. a été interdit aux moins de 12 ans, donc pas de projection télé avant 23 heures. Un petit

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