Social network, par vincent glad
zéro pub, le nouveau mythe 3.0
J’ai, un jour, fait l’expérience étrange de tracer l’argent qui tombe tous les mois sur mon compte bancaire. Travaillant principalement comme journaliste pour des sites d’information gratuits, la seule activité économique que je génère est l’impression de bannières publicitaires. C’est pour moi un grand mystère. À quoi ressemblent-elles ? Sont-elles si envahissantes qu’on le dit ? Je n’en sais rien car cela doit faire cinq ans que j’ai installé l’extension Adblock sur mon navigateur, et elle enlève automatiquement toutes les publicités d’internet. J’ai désactivé le panneau rouge « stop » d’adblock qui est passé au vert et m’a fait pousser un grand «wow ! » C’est donc ça la publicité sur Internet ? Ce truc qui clignote comme un Times Square d’aire d’autoroute, cherchant piteusement à grappiller les derniers restes de mon attention, déjà bien morcelée entre Gmail, Facebook, Skype et Twitter. J’ai honte. Honte d’infliger ça tous les jours à mes lecteurs pour pouvoir payer mon loyer. Honte d’avoir installé Adblock, ma carte VIP pour échapper à l’internet ordinaire, et d’être un passager clandestin sur un site financé par les autres. Honte comme un journaliste de France Télévisions qui ne payerait pas sa redevance. Mais les choses changent. Adblock est utilisé par près de 150 millions de personnes dans le monde. On estime qu’entre 15 % et 20 % des bannières publicitaires s’affichant sur les sites d’info sont suspendues. Bloquer les pubs sur Internet n’est plus un privilège de geeks mais un phénomène de masse. C’est quand l’industrie musicale a fait ce même constat avec le téléchargement illégal, début des années 2000, qu’elle a senti que les choses allaient mal tourner.
La presse en ligne ne rigole plus avec Adblock. Depuis quelques mois, les vidéos de L’équipe.fr ne se lancent plus sur les navigateurs qui hébergent le logiciel. À la place, ce message : « Lecture non autorisée. L’équipe. fr est financé par la publicité, ce qui nous permet de vous proposer nos contenus gratuitement. » Même les sites illégaux ont déclaré la guerre à Adblock. Sur certains sites de streaming de foot, de la musique couvre le son de la Ligue 1 tant qu’on n’a pas désactivé le logiciel. Sa progression semble tellement inévitable qu’adblock entend désormais travailler en bonne intelligence avec les éditeurs web pour ne pas briser complètement leur modèle économique. Une liste blanche de publicités jugées « non intrusives », qui s’affichent même si le logiciel est activé, a été dressée. La start-up, créée en 2004 dans la mouvance du logiciel libre, se transforme ainsi en un CSA de la publicité en ligne, décidant des « bonnes » et « mauvaises » pubs. Ce juge de paix est facile à corrompre : tous les éditeurs de sites peuvent obtenir un passe-droit pour leurs annonces en reversant de l’argent à Adblock. Google a signé en 2013 un accord financier afin que ses publicités puissent s’afficher. Et là je comprends que mes scrupules moraux (« Est-ce bien éthique d’installer Adblock ? ») sont caducs. Car dans ce jeu de dupes, la seule morale, c’est de ne pas en avoir.
Adblock est utilisé par près de 150 millions de personnes dans le monde.