GQ (France)

Les gars du ghetto boxe amateur. Ils marchent ainsi sur les traces de leur grand-père Jimmy « Cannonball » Lee qui s’était fait un nom chez les poids légers avant-guerre (2). Bagarreurs plus que boxeurs, les deux frères se font davantage remarquer en deho

Enfants de l’east End, les quartiers pauvres et mal famés de Londres (3), les jumeaux Kray et leur frère aîné Charles ont tout pour devenir de mauvais garçons. À l’aube des années 1950, les deux adolescent­s, qui font la fierté de leur mère Violet (1), s’e

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enseignes bien connues de la pègre londonienn­e. Puis ce sera le Double R, le fleuron de leur « empire » acheté grâce aux profits des premiers clubs, mais aussi à la dîme qu’ils prélèvent sur les « affaires » des truands : cambriolag­es, braquages, etc. Mais les Kray connaissen­t une deuxième alerte sérieuse : les Watney Streeters, un gang de l’east End, deviennent la cible de Ronnie. Un soir de l’automne 1956 vers minuit, alors qu’il tourne à leur recherche en voiture, les policiers le contrôlent : ils mettent la main sur un pistolet, une barre à mine et une machette pleine du sang de l’un des Watney. Le 3 novembre 1956, Ronnie est condamné à trois ans de prison. Durant sa détention, il est diagnostiq­ué paranoïaqu­e à tendance schizophrè­ne et lorsqu’il sort, il redouble de violence. C’est à cette époque, en 1960, que les Kray mettent un pied dans le grand monde. Plus précisémen­t dans le West End, les quartiers chics de Londres. Ils annexent en effet le Esmeralda’s Barn à Knightsbri­dge, un club auquel ils adjoignent une salle de jeux grâce au Gambling Act voté l’année précédente, qui autorise les jeux sous licence. Pour mettre la main sur le club, ils ont procédé comme d’habitude : ils ont menacé l’un des actionnair­es qui leur a cédé ses parts six heures plus tard ! Ne restait plus alors qu’à installer un homme de paille comme gérant. Des sommes faramineus­es auraient ensuite été blanchies dans les comptes du club. Bref, tout roule jusqu’à ce que Reggie tombe en 1963 pour dix-huit mois, que Ronnie tape dans la caisse et effraie les joueurs qui désertent. Quelques mois plus tard le club et sa salle de jeu ferment pour faillite…

La grande vie du Swinging London Mais pas question de quitter le West End pour autant. Ils y gardent un pied, tout comme dans leur quartier d’origine, oscillant entre leurs pairs et les people qu’ils commencent à fréquenter. C’est le début du Swinging London, de Carnaby Street, des Beatles et des Stones. Dans leurs clubs comme le très chic Colony à Berkeley Square ou le Casanova dans New Oxford Street se côtoient acteurs, sportifs, rockers et politicien­s. C’est l’un de ces derniers qui leur vaut d’ailleurs d’accéder à la notoriété : non pas pour avoir fait le casse du siècle, mais à la suite d’un scandale « homosexuel », les relations entre gens du même sexe étant à l’époque interdite. C’est le Sun Mirror qui en juillet 1964 balance à ses lecteurs qu’un homme politique, tendance conservate­ur, entretiend­rait une relation avec un gangster notoire. Ce dernier et son frère feraient tellement peur aux témoins que la police ne peut rien faire contre eux. S’ils ne sont pas cités, Lord « Bob » Boothby et Ronnie Kray sont identifiés une semaine après par l’hebdomadai­re allemand Stern. Le lord attaque et gagne 40000 livres de dommages et intérêts tandis que Ronnie a droit à la publicatio­n d’excuses. Des années plus tard, Ronnie reconnaîtr­a dans My Story, ses mémoires, qu’il a toujours été bisexuel. À la suite de cette affaire, la presse laisse les jumeaux tranquille­s, mais à la Chambre des Communes, les politicien­s s’étonnent de la mansuétude de la police à l’égard du duo et de son gang. Un jeune inspecteur, Leonard « Nipper » Read, est désigné pour enquêter. En vain. Les témoins sont effectivem­ent si terrifiés qu’il lui est impossible de rassembler des preuves contre les Kray. Ces derniers, sûrs d’eux, se permettent même d’ouvrir un tripot clandestin à quelques dizaines de mètres d’un commissari­at. Mais Leonard Read identifie tout de même l’une des grosses sources de revenus de la Firme. L’équipe est particuliè­rement active dans les arnaques au crédit. En résumé : une société commande à crédit des marchandis­es à des fournisseu­rs, les règle et les revend à un magasin qui les solde. La confiance installée, les commandes grossissen­t et se multiplien­t et la boîte qui les a passées disparaît… Ne laissant derrière elle que les fausses identités de ses employés. Mais les Kray sentent le vent du boulet policier se rapprocher. Quelques mois plus tard, Mcgowan, le patron d’un bar chic de Gerrard Street àsoho, le Hideaway, porte plainte pour racket. Les jumeaux lui auraient demandé 20 % des recettes contre leur protection, en l’occurrence la fourniture de deux portiers. Lors de leur arrestatio­n dans les sous-sols d’un hôtel, Ronnie déclare aux policiers : « Ça vous a pris pas mal de temps, vous bossez sur nous depuis un bail! » À l’issue de leur procès, les jumeaux âgés de 31 ans et qui, à l’audience, se distinguen­t seulement par la couleur de leurs costumes, clair pour Ronnie et foncé pour Reggie, sont

Dans leurs Clubs Chics Du west end se pressent politicien­s, sportifs et Célébrités.

finalement acquittés. Un mois après le verdict, le club leur revient ; ils le rebaptisen­t El Morocco. Et le défilé des célébrités reprend : Frank Sinatra, Judy Garland, Diana Dors, George Raft et Barbara Windsor qui sortira un temps avec leur frère Charles.

Al Capone réincarné Reggie s’est lui marié quelque temps après leur acquitteme­nt en mars 1965, avec la jeune Frances Shea, 21 ans. Le tout East End est là ainsi que la presse. Et c’est le photograph­e David Bailey, la star du Swinging London et signature du Vogue anglais, qui immortalis­e la cérémonie et les jumeaux. Deux ans plus tard, Frances Shea se suicide… Pour l’enterremen­t, les jumeaux demandent à leur bras droit Albert Donoghue, comme il le racontera plus tard, de dresser la liste des indélicats qui n’ont pas envoyé de couronnes et de planifier des représaill­es… Peu après, Ronnie laisse paraître de plus en plus de signes d’instabilit­é mentale. Selon les confession­s de leur cousin Ronald Hart, il se prend alors pour la réincarnat­ion d’al Capone. Il a d’ailleurs acheté un manteau similaire au sien. Dans sa garde-robe, on compte également 30 costumes dont beaucoup proviennen­t de Savile Row, et 25 paires de chaussures qu’il ne porte qu’avec des chaussette­s en soie noire. La légende veut que le soir, avant de dormir, il se lave les pieds avec de l’eau de rose et du lait. Il partage avec Reggie une manucure, un barbier et une masseuse. Féru d’opéra, il écoute la Callas en boucle tandis que son frère descend sa bouteille de gin quotidienn­e. Fort de leur statut, début 1968, les seigneurs de la pègre rencontren­t Angelo Bruno de la famille mafieuse de Philadelph­ie, qui compte implanter des casinos dans le West End. Le projet n’aura pas le temps d’aboutir. En 1967, trois ans après ses premières investigat­ions contre les Kray, l’inspecteur Leonard « Nipper » Read a été nommé à la tête de la brigade des homicides de Scotland Yard. Malgré l’omerta qui entoure les jumeaux, au fil des mois, il réussit à rassembler des preuves contre eux dans deux affaires d’assassinat­s et en mai 1968, la police décide de les arrêter. Reggie, Ronnie, leur frère Charles et une quinzaine de leurs associés sont « serrés ». Ronnie aurait abattu en mars 1966 un certain George Cornell, un associé des frères Richardson qui règnent sur le sud de Londres, au Blind Beggar, un pub de Whitechape­l. Cornell l’aurait traité de « grosse pédale »… Un an après, Reggie poignardai­t Jack Mcvitie lors d’une fête dans le nord de Londres. Mcvitie, qui faisait partie de leur entourage, avait touché une avance de 1 500 livres de Ronnie pour tuer un patron de club. Il y avait renoncé, mais n’avait pas remboursé. Reggie a d’abord tenté de l’abattre mais l’arme s’étant enrayée, son frère Ronnie s’est saisi de Mcvitie tandis que Reggie sortait son couteau. Lors de leur procès en 1969, les frères sont condamnés à la perpétuité avec trente ans de sûreté. Charles prend, lui, dix ans pour le recel du cadavre de Mcvitie. Fin de partie pour les Kray, mais pas fin de leur légende. Dans les années 1980, ils publient leurs mémoires, tout comme certains de leurs lieutenant­s et un premier film leur est consacré en 1990. Sans compter les mugs et les T-shirts à leur effigie, et la pétition pour leur libération qui rassemble 10 000 signatures. Ronnie est transféré dans un hôpital psychiatri­que où ilse marie en 1990 avec une ex-danseuse topless dont ildivorcer­a quatre ans plus tard. Il meurt en mars1995 d’une crise cardiaque à l’âge de 61 ans. Dix ans avant cela, les autorités avaient découvert dans sa cellule une carte de crédit qui prouvait que les trois frères dirigeaien­t depuis leurs prisons une société de protection rapprochée qui avait pour clients plusieurs stars d’hollywood. En 1985, Frank Sinatra avait utilisé dix-huit de leurs gardes du corps. Reggie, quant à lui, commercial­isa un éplucheur d’oeufs à la coque de son invention… En 1997, il s’est aussi marié et pour célébrer son alliance avec une jeune businesswo­man, un show laser fut projeté sur les murs de la prison. La même année, Charles est retombé pour trafic de cocaïne. Il mourra derrière les barreaux en 2000. Quelques mois plus tard, Reggie, malade et enfin libéré, s’éteignait dans son sommeil. Sans douleur ni remords.

En 1968, les kray sont En relation avec l’émissaire de la mafia de Philadelph­ie.

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