GQ (France)

Social network, par Vincent glad moderato mobile

La détox numérique propose de nous émanciper d’outils qu’on pensait au départ libérateur­s. Un projet salutaire, ou juste un beau déni de notre responsabi­lité face aux machines ? Illustrati­on : Superbirds

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Notre rapport à la technologi­e entre dans une deuxième phase. Après avoir accueilli les bras ouverts tous les objets connectés avec appétit, nous cherchons désormais à en modérer les usages. La Silicon Valley en a pris conscience et Apple vient justement de sortir sa montre connectée. Un drôle d’objet qui promet de réduire notre présence numérique plutôt que de l’étendre. Les notificati­ons fugaces reçues sur le poignet sont ainsi censées nous éloigner de notre smartphone. Il ne s’agit pas de s’extasier ici sur le dernier joujou d’apple, mais de noter que la firme estime qu’après la frénésie du tout-connecté, l’avenir est au mieux-connecté. Certains vont même plus loin. Aux États-unis, on paie 500 € pour rejoindre Camp Grounded, un ensemble de bungalows et de tipis pour adultes désireux de se priver de leur portable. En février dernier, Canal + diffusait le documentai­re Digital Detox mettant en scène les « 90 jours sans Internet » du journalist­e Pierre-olivier Labbé. En mars le chroniqueu­r Guy Birenbaum sortait Vous m’avez manqué (éd. Les Arènes) où il revenait sur sa technoaddi­ction : « Le web est comme le sismograph­e des sentiments et des douleurs qui traversent un pays, écrit-il. Je n’ai pas supporté ce qu’il m’enseignait de moi et des autres: la violence, la souffrance, la précarité… » Puis, en avril, était organisée à Paris la première soirée « Nomo » (« no-mobile »), où les participan­ts doivent laisser leur smartphone au vestiaire. Un geste qui, à lui seul, permettrai­t de retrouver la saveur de la vraie vie. Tout du moins d’après le descriptif de la soirée: « Parler à des inconnus, se reconnecte­r avec ceux qui vous entourent : serez-vous vraiment capable de relever le défi ? »

Mais comment Internet a-t-il pu devenir la nouvelle malbouffe, au point de nous imposer une cure de détox dans les forêts de Californie? Le numérique était censé nous libérer, nous permettre de communique­r plus et mieux. Les pionniers du web baignaient dans une illusion post-hippie, bénissant ce « nouveau territoire » où tout le monde pouvait être enfin lui-même. La propositio­n s’est renversée : il faudrait fuir pour se réaliser et se « reconnecte­r » au monde. Si cette « détox numérique » semble séduisante, elle n’est qu’une mauvaise réponse à un vrai problème. Le numérique n’a jamais été une addiction comme les autres. Déjà parce qu’on ne peut établir rigoureuse­ment sa toxicité. Surtout, derrière ce fantasme de la détox se cache le vieux rêve de se couper du monde. « Quitter ses outils numériques, c’est, comme Robinson sur son île, revenir à des gestuelles antérieure­s », écrit la chercheuse Joëlle Menrath. Le smartphone, qui n’est qu’un des avatars du monde contempora­in, est perçu comme la cause de tous nos tourments. Derrière le mail de son patron reçu en vacances, le problème n’est peut-être pas le téléphone, mais le patron.

Le numérique n’a jamais été une addiction comme les autres.

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