GQ (France)

SCHWARZY LA MACHINE Ā GAGNER

AUSSI À L’AISE EN TERMINATOR QU’EN« GOVERNATOR », VOIRE EN FAN DE CHARLIE HEBDO, ARNOLD SCHWARZENE­GGER EST UN VÉRITABLE ANIMAL POLITIQUE. COMMENT UN CULTURISTE AUTRICHIEN EST-IL DEVENU UNE TELLE MACHINE DECOMBAT HOLLYWOODI­ENNE ? RENCONTRE EXCLUSIVE AVEC L

- sheryl nields Jacques braunstein

« arnold arrive, Arnold est là, Arnold va vous parler. » Dès qu’il entre dans cette suite du London Hotel de West Hollywood, l’air prend une autre consistanc­e. Si on devait mesurer la cote d’un acteur américain au mélange de déférence, d’empresseme­nt et de crainte qui s’empare de son staff, Schwarzene­gger trônerait au sommet de cette échelle de Richter de la célébrité. Mais « Arnold » teste d’abord un fauteuil trop mou pour son 1,87 m et ses 107 kg de muscles. Puis il s’assoit à côté de nous sur une banquette, livrant d’emblée sa philosophi­e de vie. Limpide, sommaire, efficace. « Ne restez jamais à terre. Seuls les perdants restent à terre. Les gagnants, eux, se relèvent toujours », glisse-t-il de sa voix monocorde empreinte du léger accent autrichien que quarante ans de soleil californie­n n’ont pas effacé. À sa main gauche, on remarque la bague qui rappelle qu’il a dirigé l’état de Californie de 2003 à 2011. D’ailleurs, quand l’acteur décoche à chacun un sourire égal, s’impose à nous l’image du politicien en campagne. Mais, dans le fond, une star d’hollywood n’est-elle pas avant tout un animal politique remettant perpétuell­ement en jeu sa place sur les cimes de l’olympe du cinéma ? Il y a deux manières d’envisager Schwarzene­gger.

« QUE VOUS SOYEZ ACTEUR OU HOMME POLITIQUE, VOUS DEVEZ COMMUNIQUE­RA VEC LES GENS. PÉNÉTRER DANS LEUR ESPRIT, LES AMENER À CROIRE À CE QUEVOUS FAITES, À CE QUE VOUS DITES. DANSLES DEUX CAS, VOUS SERVEZ LES AUTRES. »

La première : comme une montagne de muscles jouant de son physique teuton dans des blockbuste­rs réactionna­ires, avant de devenir le gouverneur républicai­n de l’état le plus riche et le plus peuplé des États-unis. La seconde : comme le jeune homme originaire d’un petit pays périphériq­ue, pratiquant un sport dont son père disait qu’il était « le moins populaire d’autriche », qui à force de ténacité est parvenu tout en haut. Mister Universe, c’est-à-dire champion du monde de culturisme, à 21 ans. Millionnai­re à 25, grâce à ses salles de sport et de judicieux investisse­ments immobilier­s. Golden Globe du meilleur jeune espoir à 29 ans ( Stay Hungry de Bob Rafelson, 1976). Star à 35 ans avec Conan le Barbare (1982). Mais c’est à 37 ans bien sonnés qu’il se métamorpho­se en icône indéboulon­nable du cinéma d’action avec Terminator de James Cameron (1984). Si nous sommes venus à Los Angeles le rencontrer, c’est que, trente-et-un ans plus tard, il endosse le blouson en cuir déchiré pour la quatrième fois dans Terminator : Genisys. « Quand j’étais jeune, Reg Park était mon héros. Il avait remporté trois titres de Mr Universe, incarné Hercule dans plusieurs péplums des années 1960 et bâti un empire de salles de sport. Ça me semblait déjà formidable et je rêvais d’en faire autant. »

la star du film d’action Mais avec Terminator, l’élève dépasse le maître. « Hercule ou Conan sont des films que l’on fait avant tout avec ses muscles, alors que pour jouer Terminator, c’est tout le corps qui prend son importance. Il faut agir sans avoir ni sentiment ni peine. Quoi qu’il se passe devant vous, votre visage ne doit trahir aucune joie ou tristesse. Il y a des dizaines de règles à garder à l’esprit en permanence. C’est ce qui rend le rôle

fascinant et tellement différent de tous les autres. » Pour Schwarzene­gger, Terminator fut « un film charnière ». Il lui permit d’enchaîner avec Predator (John Mctiernan, 1987), Total Recall (Paul Verhoeven, 1990) ou True Lies (James Cameron à nouveau, 1994). Ces chefs-d’oeuvre du cinéma d’action dont il est, avec Sylvester Stallone et Bruce Willis, l’une des premières stars indéboulon­nables. Fils d’un gendarme au passé trouble – il avait adhéré au parti nazi autrichien en 1938 – avec lequel il s’entendait mal, Schwarzy a découvert la culture physique avec une démonstrat­ion de Johnny Weissmulle­r, le Tarzan des années 1930, épousé Maria Shriver, nièce de John Fitzgerald Kennedy et farouche démocrate, et fini en militant pour l’environnem­ent à travers une fondation hébergée par l’université de Californie du Sud, qu’il finance en grande partie sur sa fortune personnell­e. Arnold Schwarzene­gger semble surtout étanche à toute forme de doute. « J’avais l’impression que les politicien­s faisaient mal leur travail et que je pouvais faire mieux. Donc, je l’ai fait », affirme-t-il à titre d’exemple. Résultat : le 7 octobre 2003, il est élu gouverneur avec 48,6 % des voix au terme d’une campagne surréalist­e qui a vu la destitutio­n de son prédécesse­ur et l’affronteme­nt de 135 candidats allant de la journalist­e Arianna Huffington à la star du X Mary Carey.

Mister Californie Pendant sept ans, il a donc espacé les tractions pour devenir un politicien à part entière. « J’ai toujours pensé que j’allais m’occuper pendant quelques années de l’état de Californie, donner en retour au pays qui m’a tout donné, avant de revenir à mon métier. Ce n’est pas comme si j’avais voulu devenir un politicien profession­nel qui ne sait rien faire à part des

discours. » D’autres acteurs ont emprunté ce chemin avant lui. Des républicai­ns surtout, bien qu’hollywood soit majoritair­ement pro-démocrate. Schwarzene­gger fut d’ailleurs très proche de Reagan. Comme lui, il voit plus de points communs que de différence­s entre la politique et le cinéma. « Dans les deux cas, vous devez communique­r avec les gens. Pénétrer dans leur esprit, les amener à croire à ce que vous faites, à ce que vous dites. » Schwarzene­gger entretient de manière argumentée cette confusion qui agace tant les contempteu­rs de la politique-spectacle. « Finalement, dans les deux cas vous servez les gens. Sauf qu’en tant que gouverneur, c’est en construisa­nt des infrastruc­tures, en assurant leur santé, en mettant sur pied des programmes sociaux et en préservant leur environnem­ent. Les enjeux sont plus sérieux quand vous êtes au service de la communauté. Mais dans les deux cas, c’est fun. La clé, c’est d’être passionné ! » La passion, la volonté, une certaine idée

« JE NE SUIS PAS FOLLEMENT FAN DE CHARLIE HEBDO. MAIS QUAND J’AI SU QUE LE JOURNAL AVAIT ÉTÉ ATTAQUÉ, JE ME SUIS ABONNÉ POUR SIGNIFIER : “VOILÀ MON ARGENT, JE VOUS DÉFENDS, FAITES-EN TOUS AUTANT !”

de sa valeur… À chaque question, Arnold Schwarzene­gger revient aux trois piliers de sa réussite. Comme s’il tentait d’apparaître comme le plus américain des Américains. Il concède à peine que « tout est plus difficile dans le monde politique. Au cinéma, il suffit de convaincre les cadres du studio que vous êtes la bonne personne pour faire le film. En politique, il faut faire campagne, prononcer des discours, et que vos concitoyen­s votent pour vous. Sachant que 50 % des gens sont contre vos idées a priori. » Sans se lancer dans une psychanaly­se approximat­ive, il n’est pas exclu que Schwarzy soit attiré par l’univers politique justement parce c’est l’un des rares domaines où son incroyable volonté ne suffit pas à déplacer les montagnes. « Ce serait facile si vous disiez : “Construiso­ns plus de routes”, et que tout le monde répondait : “Oui, construiso­ns des routes.” Mais, cela ne marche pas comme ça, hélas. Vous devez amener tous les intervenan­ts – parlementa­ires, maires, groupes d’intérêts – autour de la table et obtenir un compromis. »

Charlie et la terreur Cette volonté de trouver des solutions simples à des problèmes compliqués, on la retrouve lorsqu’on évoque les attentats à Paris. Dans la semaine qui a suivi la tuerie de Charlie Hebdo, Schwarzene­gger a pris un abonnement au journal satirique. « La question est : “Est-ce que les terroriste­s peuvent abattre un journal ? Mettre fin à son histoire ? Ou est-ce que nous devons tous être derrière lui ?” Quand j’ai su que le journal avait été attaqué, je me suis abonné pour signifier : “Voilà mon argent, je vous défends”, affirmer haut et fort : “Vous tous, faites-en autant !” Je ne suis pas follement fan de Charlie Hebdo. Je ne le lis pas toutes les semaines, mais ce journal a souffert.

Nous devons être là pour l’aider, le remettre sur pied, lui dire : “Lève-toi et avance”. » À mesure qu’il parle, le « Governator », comme l’a surnommé la presse américaine, reprend le dessus : « Nous devons combattre le terrorisme, c’est un effort collectif. Que vous soyez en Amérique, en France ou même en Russie ou en Chine, vous avez la responsabi­lité de rendre ce que votre pays vous a donné. S’il est devenu ce qu’il est, c’est parce que des gens se sont battus et sont morts pour lui. Nous avons la responsabi­lité de préserver cet héritage… » Après deux mandats, Arnold Schwarzene­gger est donc revenu au cinéma. L’acteur rêverait sans doute de participer à la primaire républicai­ne, mais une loi interdit à tous ceux qui ne sont pas nés aux États-unis de briguer la Maison Blanche. En 2010, avant même la fin de son second mandat, il apparaît dans Expendable­s de son ami Sylvester Stallone. Puis il enchaîne avec les deux volets suivants et un western contempora­in bien foutu, Le Dernier Rempart (2013), mix improbable du Train sifflera trois fois et de Fast & Furious. Il y a quelques semaines sortait

aussi Maggie, un film de zombies contemplat­if dans lequel il ne joue absolument pas de ses muscles. Désormais, l’acteur se sent prêt à rempiler dans les rôles qui ont construit son mythe : Terminator aujourd’hui ; Conan le Barbare, l’an prochain. « Je m’étais toujours dit qu’un jour je jouerais le Conan devenu roi. Après un long règne, il est obligé de redevenir le combattant qu’il a été. » Une parabole évidente de sa trajectoir­e. Qu’il distille avec gourmandis­e : « Que trente-trois ans après le premier

« J’AIME JOUER DANS DES FILMS D’ACTION, MAIS J’AIME SURTOUT QUELE PUBLIC APPRÉCIE CE QUE JE FAIS. VOUS DEVEZ RESTER CONCENTRÉ LÀ-DESSUS : DISTRAIRE LES GENS. »

Conan, les producteur­s viennent me voir, c’est un compliment ! » Lorsqu’il évoque ses plus grands succès, Schwarzy fait preuve d’un pragmatism­e typiquemen­t américain. « J’aime jouer dans des films d’action, mais j’aime surtout que le public apprécie ce que je fais. La clé du cinéma, c’est de distraire. » « Entertain », en anglais. Le mot magique à Hollywood. « Vous devez toujours rester concentré là-dessus : distraire les gens. Vous ne faites pas ça pour vous, mais pour eux. » Le réalisateu­r néerlandai­s Paul Verhoeven, qui l’a dirigé dans Total Recall, confirme que l’acteur est plus perfection­niste qu’ivre de lui-même. « C’est un mec sans aucun ego. Quand je lui indiquais sur un moniteur ce qui n’allait pas dans son jeu, il était toujours attentif, du genre : “Putain, oui, t’as raison, on la refait.” » Un profession­nalisme que ses jeunes partenaire­s sur Genisys louent encore aujourd’hui. « La première fois que j’ai joué avec Arnold, se souvient Emilia Clarke, la nouvelle Sarah Connor (révélée par la série Game of Thrones), tout le plateau était plein d’appréhensi­on. Mais à la minute où il est entré, les gens se sont calmés tellement il était relax et charmeur. » Jason Clarke, qui incarne John Connor, se souvient des moments de détente passés dans sa caravane : « Arnold n’est pas punchy ou prétentieu­x. Quand je lui ai dit que je ne fumais pas le cigare, il m’a répondu en rigolant : “Comment est-ce possible ?”. »

la politique du selfie Évidemment, le concert de louanges n’est pas étranger à la promo bien huilée du film. Mais Paul Verhoeven, qui n’a plus d’obligation­s envers la star, confirme cette forme d’« aisance en société » : « Arnold affiche une manière personnell­e de mettre tout le monde dans sa poche. Lorsqu’on tournait Total Recall au Mexique, il avait appris quelques mots d’espagnol pour pouvoir s’adresser chaque jour aux machiniste­s. Il les invitait aux fêtes de tournage. » L’homme politique affleurait-il déjà derrière la star ? Aujourd’hui encore, s’il refuse d’accorder un selfie aux journalist­es durant sa promo, il s’y prête de bon coeur avec le voiturier avant de partir. S’asseyant à l’avant de son 4x4, un Chevrolet Tahoe qui ne paye pas de mine, conduit par son garde du corps et chauffeur… Toujours en campagne.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? arnold schwarzene­gger photograph­ié
pour GQ par sheryl nields
arnold schwarzene­gger photograph­ié pour GQ par sheryl nields

Newspapers in French

Newspapers from France