GQ (France)

912 € LE PRIX DE LA SCOLARITÉ PAR TRIMESTRE

Claudia Senik, économiste

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« Pierre de Panafieu m’a dit : “Ce qui compte dans la vie ce n’est pas d’essayer de s’ouvrir le plus de portes possible, mais d’ouvrir la porte qui est la sienne.” Cette phrase reste gravée dans ma mémoire, et m’a guidé dans mon parcours scolaire et profession­nel. J’ai trouvé ma porte. » Loin de son père et du réseau parental, Gabriel Roberts a suivi les cours d’économie mathématiq­ue de Nicole El-karoui à Dauphine. Il est aujourd’hui financier à New York, mais il prend quand même soin de recruter d’anciens élèves de l’« école » en stage. Claudia Senik, économiste et professeur à la Sorbonne, auteur de L’économie du bonheur et fille d’andré Senik, philosophe et ancien militant de 1968, réfute aussi l’idée d’avoir été aidée dans sa carrière par des anciens ou des parents de l’« école ». « Mais quand, par hasard, dans un colloque, je me rends compte qu’un intervenan­t est un ancien élève, il y a toujours un truc, une forme d’émotion d’avoir cela en commun. » Ce petit lien entretenu par le souvenir de l’« école ».

Gosses de riches Même les souvenirs forts, qui existent comme dans n’importe quel collège ou lycée, sont souvent empreints d’un caractère exceptionn­el. Ici, un séjour d’un mois à New York avec, au passage, l’invitation à l’anniversai­re d’amy Lumet, la fille du réalisateu­r Sidney Lumet. Là, un inoubliabl­e voyage scolaire à Rome en 5e. L’écrivain Alexandre Jardin se souvient aussi d’un voyage qu’il a organisé lui-même en seconde. Le directeur de l’époque l’avait accepté à la condition qu’il s’occupe de tout (tarifs, assurances, et même argent pour ceux dont les parents n’avaient pas les moyens de payer) : « Avec l’école, j’ai appris à faire les choses. L’alsacienne, ce n’est pas les anciens D’HEC, on n’est pas une mafia. Mais on a grandi ensemble. Sans eux, je ne serais pas capable de faire le quart de ce que je fais aujourd’hui. » Malgré son statut d’institutio­n, l’alsacienne évolue un peu. Par exemple dans sa compositio­n sociale. Certains s’en inquiètent. « C’est une école d’arrondisse­ment, le VIE, qui était un quartier d’intellectu­els et s’est incontesta­blement embourgeoi­sé », relève Pierre de Panafieu. Le souvenir des enfants de la famille Picasso semble lointain. Désormais court la rumeur tenace d’un « club des élèves qui vivent dans plus de 350 mètres carrés ». Ou aussi le souvenir de cette gamine qui, devant raconter son voyage au Brésil, n’en avait retenu que le voyage en première classe. « L’école de sales gosses de riches » est une formule qui circule désormais dans bien des appartemen­ts le soir. Pour la femme d’affaires Agnès Touraine, c’est en effet ce manque de mixité sociale qui gangrène l’établissem­ent. « Mon époque était très peace and love. La plupart des anciens que je retrouve sont dans des ONG, pas dans le monde des affaires. J’ai vu la différence avec mes enfants et la surenchère des anniversai­res, avec week-end à Marrakech. L’absence de diversité sociale est le problème de l’école ». Même Pierre de Panafieu le concède. La réponse, qui était la création d’une succursale en banlieue, à Argenteuil, a échoué, faute d’investisse­ments publics. Le nombre de bourses est par ailleurs insuffisan­t, puisque seules soixante à soixante-dix familles en bénéficien­t chaque année. L’« école » n’a pas encore trouvé son « Richie », surnom de Richard Descoings, qui a réussi à ouvrir Sciences Po à quelques élèves issus de Zones d’éducation prioritair­e. L’alsacienne continue à veiller à son entre-soi. Discrèteme­nt, sans le revendique­r. Alexandre Jardin préfère ainsi se souvenir « [qu’il] a gardé des amis pour la vie. C’est ce qu’il y a de plus important, non ? ». C’est joliment dit.

« Quand, dans un colloque, je me

rends compte qu’un intervenan­t est

un ancien élève de l’école, il y a toujours une forme d’émotion

d’avoir cela en commun. »

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