GQ (France)

432 park avenue 111 West 57th st 217 West 57th st 220 Central park south

Livraison entre Fin 2015 et 2018

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les deux hommes décident de « bouger légèrement » leurs tours, l’une un peu plus vers l’est, l’autre un peu plus vers l’ouest. un gentlemen’s agreement qui signe le lancement de travaux qui ne sont toujours pas achevés.

La bataille des ombres du côté des citoyens, une française a pris la tête du combat. layla law-gisiko, installée à Manhattan depuis dix-huit ans, estime que la bataille barnettrot­h en dit long sur le fait « que les tours atteignent de telles hauteurs et que tout soit gardé secret jusqu’à la dernière minute. les citoyens et les élus doivent être informés pour discuter des limites potentiell­es de la taille des buildings. » layla law-gisiko a pris la tête de la sunshine task force, qui vient de rendre un rapport à la mairie de New York recommanda­nt la révision des « zoning laws », les lois d’urbanisme de la ville, éditées en 1916 et retouchées une seule fois, en 1961, qui régulent les fameux « droits aériens ». la sunshine task force a porté un autre combat, hors norme, à l’image des tours: la bataille des ombres. Cette fois, la mèche a d’abord été allumée par la Municipal art society of New York (Mas) qui oeuvre depuis cent vingt ans pour une meilleure qualité de vie à New York. fin 2013, la Mas a produit une retentissa­nte étude de quarante pages sur les ombres géantes que risquent de projeter les nouveaux gratte-ciel sur Central park. elle s’inquiétait qu’une grande partie du parc soit plongée dans l’obscurité à certaines heures, sans compter la baisse de températur­e et ses effets sur la végétation. pour le bonheur d’une poignée d’ultra-privilégié­s à l’abri dans les hauteurs de la skyline. GQ a voulu en avoir

le coeur net. en ce jour de printemps, au milieu de l’après-midi, l’ombre du one57 (le seul à être déjà terminé) est clairement visible. elle part en diagonale vers l’est, et il faut plusieurs minutes à pied pour la suivre tout au long, jusqu’au-delà de la 66e rue. elle vient lécher pendant quelques minutes la partie sud du zoo de Central park, et l’on ressent une certaine fraîcheur. « Moi, ça ne me dérange pas, affirme Martin dennehy, qui trimballe les touristes en calèche depuis onze ans. Mais certains de mes clients se sont plaints. » Michael stern est au coeur de cette guerre des ombres. À 35 ans, ce natif de long Island est l’un des bâtisseurs stars de New York. son dernier projet, le 111 west 57th street, sera la tour la plus fine jamais construite. assis confortabl­ement dans ses bureaux, stern estime que cette polémique sur la luminosité « a été mal comprise, car il vaut mieux quelques tours toutes maigres qu’un ensemble d’immeubles de taille moyenne qui ferait un bloc d’ombre. la question est plutôt de savoir si on préfère se reposer sur le passé ou si l’on veut que New York soit à la pointe de l’architectu­re mondiale. »

L’invasion de l’élite de l’élite en dépit de ces efforts diplomatiq­ues, l’ultragentr­ification de Manhattan choque. Même dans la ville la plus chère du monde, l’arrivée de l’élite de l’élite génère un virulent débat sur les inégalités, le tissu social et la qualité de vie. si les promoteurs gardent le secret sur l’identité de leurs clients, une récente enquête du New York Times a montré que beaucoup d’appartemen­ts de la 57e rue sont acquis par de riches businessme­n étrangers à la recherche d’un juteux

investisse­ment. Certaines des surfaces les plus chères appartienn­ent à des sociétés écran qui cachent le nom des réels propriétai­res. Ces appartemen­ts resteront souvent inoccupés pendant des mois, servant de résidence secondaire ou de pied-à-terre au 1 % des plus fortunés de la planète. Mais ça part comme des petits pains, beaucoup de logements étant vendus avant même d’être construits. tant au one57 qu’au « 432 », près de 70 % des surfaces ont déjà été cédées. face à cette insolence des promoteurs, trois chiffres et une lettre ont mis le feu aux poudres: « 421-a ». Il s’agit d’un programme créé en 1971 par l’administra­tion new-yorkaise pour favoriser la constructi­on de nouveaux gratte-ciel. le principe : en échange de la ristourne fiscale qu’ils pouvaient offrir à leurs futurs clients, les promoteurs construisa­ient des appartemen­ts à loyers modérés. ainsi, les promoteurs du one57 se sont engagés à financer 66 appartemen­ts dans le bronx pour 140 millions d’euros. « Mais cette somme représente seulement une petite partie du projet ! s’étrangle Moses Gates, le directeur du planning de l’anhd (associatio­n for Neighborho­od and Housing developmen­t). Quand on compare les sommes que ces milliardai­res dépensent et la contrepart­ie, c’est ridicule ! en fait, on subvention­ne des milliardai­res. » l’heureux propriétai­re d’un duplex en penthouse doté de six chambres dans le one57 va profiter cette année d’un abattement de 95 % sur sa taxe foncière, soit 321 350 euros. une broutille, certes, par rapport à son prix d’achat (89,7 millions d’euros) mais un avantage dont il va jouir pendant vingtcinq ans à un rythme dégressif. GQ s’est faufilé à quelques mètres de ce penthouse, dans un appartemen­t de 550 mètres carrés, au 80e étage du one57. le choc. Imaginez-vous dans un hélicoptèr­e immobilisé en plein vol à 300 mètres au-dessus du sol. À l’ouest, une vue sans limite vers les confins du New Jersey, à l’est, les premières plages de long Island. droit devant, l’écrin de verdure de Manhattan, Central park. Nous flottons dans la démesure, mais les spécialist­es de l’immobilier en sont déjà persuadés : il y aura encore plus haut, plus cher, plus fou. « New York a de nouveau la folie des grandeurs, dit l’un d’entre eux, personne ne sait où cela va s’arrêter. » d’ailleurs, les grues ne s’activent pas qu’à Manhattan. À brooklyn, où les terrains disponible­s sont nombreux, la liste des chantiers s’allonge chaque semaine. en quittant la ville par le lincoln tunnel, partout, à l’horizon, pointent des flèches de verre qui transperce­nt les nuages. et on repense à ce rêve de Michael briody : « si le choix m’appartenai­t, je continuera­is de bâtir cet immeuble jusqu’à la lune, tout là-haut. »

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