GQ (France)

Comme dans Fitzgerald

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Un destin hors du commun pour un garçon né du mauvais côté du rêve américain. C’est à Los Angeles que Leonardo voit le jour le 11 novembre 1974. Ses parents gentiment hippies ne vivent pas sous les palmiers de Beverly Hills mais dans l’undergroun­d d’echo Park et de Los Feliz. Des quartiers sauvages à l’est de Los Angeles où Leonardo grandit au milieu d’une faune d’artistes dans la dèche qui inventent la contre-culture mais aussi de junkies et de prostituée­s qui hantent les rues à la tombée de la nuit. Ses géniteurs se séparent quand il a un an : ballotté entre son père, George, éditeur de comics d’origine italienne, et sa mère allemande, Irmelin, qui cumule les petits jobs, le jeune Leonardo trouve très vite sa voie, celle du cinéma. Il débute dans des pubs puis fait ses classes dans des séries télé. Avant de connaître le succès que l’on sait. Développan­t, à travers ses films, une certaine vision du monde : « Ces dernières années, avec des films comme Aviator, Le loup de Wall Street et Gatsby, j’ai voulu parler de trois aspects du rêve américain, de ces hommes qui sont allés au bout d’une certaine idée du capitalism­e pour explorer le vide qu’il y avait finalement en eux. Mon obsession pour ces figures tragiques vient de mon enfance à East L. A. où je voyais de l’autre côté de la ville des gens vivre dans l’opulence. Je regardais alors ce monde étrange comme un personnage de Fitzgerald » explique-t-il, démontrant ainsi une culture littéraire crédible en plus d’un engagement solide. The Revenant et ses pionniers d’un nouveau monde continue donc

de tisser le fil de ce que l’on peut considérer comme l’oeuvre d’un auteur, la politique d’un acteur. Avec ce film, c’est d’ailleurs la seconde fois qu’hollywood se penche sur le destin héroïque d’hugh Glass. L’anglais Richard Harris l’avait incarné dans le génial Man in the Wilderness ( Le Convoi sauvage en français), réalisé en 1971 par Richard C. Sarafian. Un film au nihilisme très seventies, alors que Dicaprio et Iñárritu en donnent une lecture plus politique, écologiste, voire carrément marxiste dans la bouche de l’acteur : « Le commerce des fourrures vers l’europe annonce une avancée massive de gens qui vont extraire les ressources naturelles, notamment avec la ruée vers l’or. C’est une première étape dans le braquage du monde naturel pour notre seul profit, un principe très américain selon moi. » Cette idée assez nette de l’histoire qu’il voulait raconter, du destin qu’il voulait se forger, il semble bien que Leonardo Dicaprio l’ai eue dès son adolescenc­e. Son père l’emmène voir À l’est d’eden et Taxi Driver et il est subjugué par les performanc­es de James Dean et Robert De Niro, deux comédiens issus de l’actors Studio qui tirent leur puissance créative, et une certaine incandesce­nce qu’il fera sienne, d’un véritable travail d’introspect­ion. C’est justement Robert De Niro qui repère le jeune Dicaprio au milieu de 400 candidats lors du casting de Blessures secrètes (1993) : il sera son fils adoptif dans ce long métrage. Mais c’est son rôle de handicapé mental dans Gilbert Grape la même année qui lui vaut une première nomination aux Oscars, à seulement 19 ans. Il apparaît dès lors comme le jeune premier qui monte, juste derrière River Phoenix qu’il envisage comme un véritable modèle : « Quand je l’ai vu dans My Own Private Idaho [de Gus Van Sant, 1991], je peux dire qu’il est devenu mon idole », confiait-il à Psychologi­es magazine. « Je l’ai rencontré un soir, à une fête : j’étais devant la porte, il venait d’en sortir, j’ai voulu l’appeler pour faire sa connaissan­ce. Mais des voitures, des gens nous séparaient. Et puis la musique, le vacarme… J’ai pensé : “Bon, j’aurai d’autres occasions.” Il est parti. Plus tard, on a appris que River était directemen­t allé dans un club où il est mort d’overdose. » C’était la nuit d’halloween du 31 octobre 1993. Leonardo Dicaprio fédère alors une bande d’hollywood kids qui, la nuit, écument les fêtes au bord des piscines et, en journée, les castings dans les studios. Parmi eux, Tobey Maguire (Spiderman, Gatsby…) qui restera son meilleur ami. Il garde de ces années d’apprentiss­age une aversion pour la drogue comme un certain goût pour les bourbons millésimés. L’année suivante, il prend logiquemen­t la place de Phoenix dans ses deux derniers projets : l’ado défoncé de The Basketball Diaries et Arthur Rimbaud, autre jeune homme borderline dans Rimbaud, Verlaine qui le mettent en orbite dans le cinéma indépendan­t. Mais ce sont les majors qui vont faire de lui une star planétaire avec Roméo + Juliette (1996) puis Titanic, le film-phénomène qui s’affirme en 1997 comme le plus grand succès de tous les temps en rapportant plus de 2 milliards de dollars. « Leo » devient le fantasme absolu de toutes les jeunes filles en fleurs qui punaisent sa photo sur les murs de leur chambre entre un cheval au galop et un poster des *N Sync. « J’avais l’impression d’entrer dans un monde nouveau où l’on allait littéralem­ent me dévorer », se souvient-il lorsqu’on évoque la « Leomania ». « Cette figure de doux romantique dans laquelle on voulait m’enfermer, c’était la négation de tout ce que je voulais faire et de ce que je faisais déjà. Alors, par réaction, j’ai affiché un côté mauvais garçon, brutal… » L’une des rares propositio­ns qu’il accepte après Titanic est le Celebrity de Woody Allen (1998) qui lui permet de régler ses comptes avec son image en campant une teenage idol dévastant sa chambre d’hôtel, sniffant de la coke et partouzant ivre mort avec ses groupies. C’est un point de rupture : Leonardo ne sera désormais plus jamais là où on l’attend, fuyant les étiquettes comme la peste. Le personnage de Arrête-moi si tu peux de Steven Spielberg en 2002 a d’ailleurs valeur de manifeste : en incarnant cet escroc qui a échappé au FBI durant des années en usurpant de multiples identités, il affirme sa liberté et sa qualité d’acteur tout en anticipant la place unique qu’il va conquérir dans l’industrie.

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