GQ (France)

La france a l’ecole des cyborgs c

Présente dans 80 pays à travers le monde, la Singularit­y University, parrainée par Google et la Nasa, cherche à sensibilis­er l’élite française au transhuman­isme. Mais vu les inquiétude­s qu’elle suscite, ce n’est pas gagné.

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’est un projet singulier, ambitieux, un peu fou même : éduquer les futurs leaders économique­s et politiques aux nouvelles technologi­es. Comme une évidence, il a pour berceau Mountain View, au coeur de la Silicon Valley, le temple des idéologies du XXIE siècle. Plus précisémen­t, sur le campus de la Singularit­y University, co-parrainée par Google et la Nasa. Fondée en 2008 par Ray Kurzweil, le gourou du transhuman­isme et directeur de l’ingénierie de Google, et le futurologu­e Peter Diamandis, la Singularit­y University est aussi financée par Nokia ou Cisco. Présente dans 80 pays, elle tire son nom de la « singularit­é technologi­que », ce moment de rupture, attendu par chaque transhuman­iste, où l’intelligen­ce artificiel­le dépassera celle de l’homme. Elle ne délivre aucun diplôme mais affirme poursuivre son oeuvre d’éducation des élites, à l’opposé de l’éducation des masses du « vieux » XXE siècle. Indéniable­ment, il se passe quelque chose autour de cette « religion 3.0 ». Et la France n’y échappe pas. La preuve, à la mi-janvier, un étudiant de l’école d’ingénieurs Télécom Paristech a été choisi pour suivre trois mois de formation sur le campus de Mountain View, cet été. C’est le premier partenaria­t noué par une grande école hexagonale avec la Singularit­y University. Le Crédit agricole sera aussi de la partie en prenant en charge le coût de 35 000 dollars et en choisissan­t le thème du concours d’innovation : « Améliorer la sécurité des transactio­ns bancaires. » Enfin, Keyrus, société de conseil en informatiq­ue, finance le voyage. Autant de partenaire­s et mécènes tricolores tombés sous le charme du transhuman­isme ? Tous s’en défendent. Chacun veut croire qu’il est possible de travailler avec l’université de la Silicon Valley sans tomber dans le piège de sa stratégie d’influence. La méfiance des Français a compliqué l’atterrissa­ge de l’université. Son représenta­nt dans l’hexagone, Zak Allal, 28 ans, a même dû modifier sa stratégie d’implantati­on. Médecin d’origine algérienne, enseignant à la Singularit­y University, il a fondé une start-up

spécialisé­e dans le don d’organes, Organ Preservati­on Alliance. Il dit avoir foi dans le progrès, mais ne pas partager les croyances démiurgiqu­es de certains de ses collègues : « Moi, je veux bien mourir et je ne pense pas que la technologi­e va résoudre tous les problèmes du monde. » Zak Allal avoue avoir du mal à convaincre. D’autant que sa société est financée par le milliardai­re transhuman­iste Peter Thiel, cofondateu­r de Paypal… En France, il s’est trouvé confronté à un mélange de fascinatio­n/répulsion pour son centre de recherche. Parti pour lancer des partenaria­ts avec plusieurs grandes écoles séduites – Essec, ESCP, Epitech… –, il a vite déchanté. Pour de vulgaires raisons administra­tives, ses négociatio­ns avec l’école « 42 » de Xavier Niel, où il comptait organiser des conférence­s, ont capoté. Surtout, il a dit avoir senti dans le pays « une stigmatisa­tion de Google et une caricature de la Singularit­y University ». Alors, il a ralenti. Pour démarrer avec une seule école, Télécom Paristech. Il pense qu’« à terme », l’université lancera une compétitio­n nationale pour accueillir quatre étudiants français par été. Lui rode son discours – « Ce n’est pas parce que Ray est transhuman­iste que la Singularit­y University l’est » – et devrait céder sa place d’ambassadeu­r. D’autres projets avec la France sont en cours. La Singularit­y University et l’école de guerre économique, qui forme à l’intelligen­ce économique, et où Zak Allal suit un programme cette année, réfléchiss­ent à la création d’un think tank sur le numérique. Les deux centres de formation aimeraient également relancer la défunte Union latine, qui comptait 36 pays et siégeait à Paris. Fondée en 1954, l’organisati­on était censée promouvoir la culture des pays de langues romanes. Pourquoi cette étrange idée ? Directeur de l’école de guerre économique, Christian Harbulot pense que « la Singularit­y University essaie de se donner une image non agressive en valorisant une culture non anglo-saxonne. » Une opération de communicat­ion dont il n’est pas dupe, mais où il trouve son intérêt. « Jamais je ne relaierai l’idéologie du transhuman­isme, mais je pense qu’on ne peut pas tourner le dos aux États-unis, leader dans la constructi­on du monde immatériel. » Toujours est-il que le mouvement californie­n place ainsi doucement ses pions en France. Grâce à ses nombreux allers-retours à Paris, l’enthousias­te Zak Allal a appris la prudence : « En France, il faut commencer petit. » Mais il se dit triste de constater que « le pays risque de passer ainsi à côté de certains progrès scientifiq­ues ». Selon lui, « une seule personne essaie de réveiller les conscience­s : Laurent Alexandre ». Et même s’il réfute certains slogans de cet expert du transhuman­isme (tel « l’homme qui vivra mille ans est déjà né »), il le juge « efficace et constructi­f ». Quand la vision du monde d’un non-transhuman­iste de la Silicon Valley rejoint celle d’un transhuman­iste inavoué de l’hexagone…

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