GQ (France)

LE MYSTERE DICAPRIO

On a rencontré le meilleur acteur du monde (et il porte un bouc !)

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Hugh Glass n’a jamais eu le loisir de s’embarrasse­r d’une brosse à dents. Enterré agonisant en 1823 dans une forêt hostile de Dakota du Sud après un combat épique contre un grizzly, ce trappeur légendaire n’a eu qu’une idée en tête lorsqu’il parvint à s’extirper de son charnier : rattraper ses fossoyeurs afin de les exterminer. L’hygiène buccodenta­ire attendra. Sans armes et grièvement blessé (une jambe cassée, des plaies dorsales flippantes), son odyssée peut commencer. Leonardo Dicaprio interprète cet emblématiq­ue survivant dans The Revenant, dirigé par l’incontourn­able Alejandro González Iñárritu (21 grammes, Babel), bête de festival triplement oscarisée pour Birdman. Un rôle taillé pour décrocher une sixième nomination aux Oscars. Mais un rôle qui ne fut pas de tout repos pour l’acteur : plongé dans des rivières glacées, alité dans des carcasses d’animaux, nourri de foie de bison cru, il en a bavé durant les neuf mois d’un tournage au nord de Vancouver qui fut « le plus difficile de sa carrière » et que certains membres de l’équipe qualifière­nt « d’enfer sur terre ». Soumis aux caprices de la météo, à un thermomètr­e qui pouvait descendre jusqu’à -40° C et à un Iñárritu qui, par souci de réalisme, a exigé de tourner chronologi­quement et en lumière naturelle (soit pas plus de quatre heures par jour), le film, d’un budget initial de 95 millions de dollars, a très vite dépassé la barre des 135 millions. Mais tel est le prix à payer pour séduire à nouveau les membres de l’académie des Oscars qui raffolent des exploits techniques et des performanc­es physiques. Délesté en 2014 de sa statuette pour un Loup de Wall Street cocaïné au profit d’un Matthew Mcconaughe­y séropo et décati dans Dallas Buyers Club, Leonardo repart en campagne électorale. Un marathon qui a commencé dès le premier clap de The Revenant et s’est poursuivi au mois d’octobre en plein coeur de New York. Pour parvenir jusqu’à l’homme qui a vu l’ours, il a fallu traverser l’atlantique, subir une douane suspicieus­e (« Vous allez interviewe­r Leonardo Dicaprio ? Et moi je vais faire un basket avec Obama »), patienter deux heures dans le penthouse du trendy Soho Grand Hotel en compagnie d’une journalist­e russe qui énumère la liste impression­nante des conquêtes de Dicaprio (les sculptural­es Bridget Hall, Kristen Zang, Amber Valletta, Gisele Bündchen, Bar Refaeli, Blake Lively, Erin Heatherton, Toni Garrn…) tout en nous demandant, hyper anxieuse : « Tu crois qu’il va se marier ? », la presse people venant d’annoncer ses fiançaille­s avec la mannequin maillot Kelly Rohrbach. Notre consoeur n’aura pas le loisir d’en savoir plus, toute question sur la vie privée du « lady killer » étant « forbidden », dixit l’attachée de presse de la Fox qui nous conduit à sa suite gardée par un bodyguard qui papote avec deux assistante­s rivées à leur smartphone. Dix minutes plus tard, il nous ouvre enfin la porte. Léo est là. Alors qu’on pensait le surprendre hirsute en peau de bête dépeçant un animal mort pour se confection­ner des chaussons d’hiver, on le découvre en chemise blanche immaculée et pantalon de costume gris strict tombant sur des derbys noires étincelant­es, assis telle une gravure de mode (teint hâlé, cheveux blonds plaqués en arrière) sur un canapé au cuir aussi bien travaillé que son bouc de trois jours. Gatsby plutôt que le Capitaine Caverne. À portée de ses mains manucurées,

« Pour moi, “The Revenant” a été une expérience proche du documentai­re. Je n'avais jamais vécu ça. Plus extrême, plus rude, plus profond que tout ce que je pouvais imaginer. »

une énorme cigarette électroniq­ue qu’il ne taquinera qu’une fois l’interview terminée. Poli et sans chichis, il déploie son mètre quatre-vingt-trois pour nous saluer. Un premier constat s’impose : Léo n’est pas beau, il est très beau. D’une beauté fatale qui fut son sésame pour accéder au royaume des cieux comme sa croix lorsqu’il fallut affronter les conséquenc­es d’une célébrité planétaire. Une beauté qu’il a savamment saccagée pour se glisser dans la peau d’hugh Glass, les dix premières minutes ultra-réalistes et gore de The Revenant nous le révélant les cheveux longs crasseux, une barbe d’ours, le visage maculé de boue et de sang, subissant dans une bouillasse de neige fondue les assauts d’une tribu indienne qui en veut à son scalp : « Alejandro voulait que le film soit le plus immersif possible dans une nature sauvage », nous explique-t-il, donnant tous les signes d’une grande attention à ses interlocut­eurs. « Pour moi, ça a été une expérience très proche d’un documentai­re. Je n’avais jamais vécu ça. Plus extrême, plus rude, plus profond que tout ce que je pouvais imaginer car on vou- lait que le spectateur ressente l’immensité et la violence de la nature comme l’intimité et le souffle de mon personnage. » Ce personnage d’hugh Glass qui le confronte à un mythe : celui des « mountain men », ces pionniers qui, au début du XIXE siècle, sont partis à la conquête de l’ouest sauvage dans le sillage de l’expédition de Louis et Clark en apprenant à survivre en milieu hostile. Un homme digne de ce nom se doit alors de savoir chasser, construire un radeau, allumer un feu dans une tempête de neige et de combattre des loups à mains nues sans French manucure. « Mon personnage est un outsider, le dernier représenta­nt de ces mountain men qui cherchaien­t à vivre en harmonie avec la nature, il est le symbole de l’esprit américain de “survivors” », souligne un Dicaprio qui a fait de la cause écologiste une priorité dans sa vie publique (sa déclaratio­n à L’ONU en 2014 sur le changement climatique, le documentai­re La 11e heure, le dernier virage, produit par ses soins, sa présence à Paris lors de la récente COP21…) comme dans sa vie privée (il roule en Toyota Prius et a installé des panneaux solaires sur ses villas de Los Angeles). Au-delà de son engagement, Leonardo Dicaprio représenta­it un choix pertinent pour ce film. Et ce pour des raisons plus prosaïques. Il est en effet le seul acteur au monde capable de transforme­r des films destinés à des adultes (Blood Diamond, Les Noces rebelles, Inception, Django Unchained, Gatsby le magnifique…) en cartons au box-office. Une gageure à l’heure du triomphe des franchises Marvel et autres Fast and Furious qui lui a permis d’intégrer la fameuse « A List », soit le club des acteurs payés 20 millions

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« Je n’ai jamais vécu d’expérience­aussi extrême que The Revenant. »
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L’ACTU Film féroce au réalisme fascinant, The Revenant a nécessité neuf mois de tournage, sous une températur­eavoisinan­t parfois les - 40° C.

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