GQ (France)

Cover story

Qui se cache (vraiment) derrière la belle gueule de Jude Law ? À 43 ans, l’acteur britanniqu­e semble enfin quitter ses habits d’irrésistib­le play-boy pour embrasser des personnage­s plus matures, à l’image de son dernier rôle, celui d’un pape dans la série

- PAR CAROLINE VEUNAC_PHOTOGRAPH­E MARCO GROB

Jude Law : « Je crois que j’énerve un peu ». Plus serein, plus brut, le nouveau visage d’un séducteur.

Dans The Young Pope, Jude Law joue un pape rigoriste. Rides et cheveux gris. Même si le maquillage force le trait, et même s’il nous avait préparés avec le mari cocu d’anna Karenine et le papa gâteau d’hugo Cabret, l’évidence est désormais là : Jude Law n’est plus jeune. Et c’est une surprise, venant d’un type qui a incarné la jeunesse avec une telle intensité. C’était au printemps 1998. Le dernier Clint Eastwood, Minuit dans le jardin du bien et du mal, sortait en salles. Face à Kevin Spacey, un inconnu de 26 ans crevait l’écran dans le rôle d’une petite frappe électrique et violente. Il avait un prénom cool (la légende dit qu’il le doit à la fois à la chanson des Beatles et au roman de Thomas Hardy Jude l’obscur). Il était beau comme un ange, sexy comme un diable. Et surtout, on n’avait pas vu quelqu’un d’aussi jeune, au sens canonique du terme, depuis Alain Delon dans Plein Soleil. Par un renverseme­nt bizarre, c’est le rôle de Maurice Ronet que Jude Law reprendra en 1999 dans le remake du film de René Clément, mais c’est bien toujours à Delon qu’il nous fera penser, avec ce sourire un peu veule qui rend sa beauté insolente presque inquiétant­e. De Bienvenue à Gattaca au Talentueux Mr. Ripley, d’irrésistib­le Alflie à Aviator, l’acteur anglais rayonnera d’arrogance ou d’ambiguïté. On l’aimera dans les emplois de gigolo, d’amant, de play-boy androgyne, de jouisseur… Toujours séduisant, jamais vraiment sympathiqu­e. Éternellem­ent juvénile. L’éternité prend fin avec The Young Pope : alors même qu’elle lui offre ce qui pourrait être son plus grand rôle à ce jour, la prestigieu­se série coproduite par Canal+, HBO et Sky Atlantic, et créée par l’enfant terrible du cinéma italien Paolo Sorrentino (Youth, La Grande Bellezza), le fait entrer de plain-pied dans l’âge de la maturité. « Quand j’avais vingt ans, j’étais impatient d’arriver au chapitre suivant de mon existence et de ma carrière », nous confie l’intéressé sur la terrasse de The Flask, un pub caché dans la verdure d’un quartier chic du nord de Londres. Aussi sympathiqu­e que ses personnage­s sont vénéneux, l’homme ne semble pas souffrir du temps qui passe. Bronzage caramel, pieds nus dans ses derbys souples, le pantalon en lin retroussé sur la cheville, l’exégérie Dior Homme est visiblemen­t très à l’aise avec ses 43 ans. Aidé par son capital génétique pas dégueu et sa joie de vivre autoprocla­mée (« j’ai toujours été bien dans mes baskets »), Jude le radieux s’est laissé bien vieillir, refusant le ridicule du jeunisme sans pour autant renoncer à un look dolce vita, qui lui donne perpétuell­ement l’air de revenir de Capri. Du yoga, du Botox, des implants ? L’acteur élude élégamment nos questions sur sa routine beauté et ses supposés problèmes capillaire­s (à vue de nez, pas flagrants). Le secret est ailleurs : s’il vieillit si bien, c’est qu’il n’attendait que ça. « Vous êtes jeune, alors on vous cantonne à des choses légères. C’est frustrant. Moi, ce que je voulais depuis toujours, c’était jouer des rôles comme celui de The Young Pope », conclut-il, mi-trémolo mi-promo. À la fin des années 1980, Jude Law est encore un petit lad anglais plein de grandes espérances. À 17 ans, il a joué dans une série tournée à Manchester, il dispose de son propre appartemen­t, gagne déjà bien sa vie et traîne à l’hacienda, le club le plus cool d’europe ou il croise New Order, Primal Scream où les Stone Roses sans pour autant oublier d’être sur le plateau tous les matins à 6 heures. « Je débordais de désir et d’ambition. » Quelques années plus tard, tout juste sorti de l’école de théâtre, il change de genre dans des films de potes tournés à l’arrache. Dans Shopping, en 1994, il joue un caïd amoureux de la piquante Sadie Frost (sa girlfriend d’alors, qui deviendra la mère de ses trois premiers enfants), mais on ne voit que lui. Dans Final Cut, en 1998, il est un apprenti cinéaste dont la mort sème la zizanie dans sa bande de meilleurs amis. Prémonitoi­re.

au sein u brit pa cette nouvelle génération d’acteurs anglais désirables qui se constitue dans les années Trainspott­ing, Jude, comme ses vieux copains Ewan (Mcgregor) ou Daniel (Craig), fera partie de ceux qui partiront tôt vivre l’aventure américaine, alors que d’autres louperont le coche de la célébrité. « J’étais très sûr de moi, reconnaît-il. C’est nécessaire pour y arriver. » S’il avoue aujourd’hui ne plus être en contact avec ses

« EN ARRIVANT À HOLLYWOOD, J’ÉTAIS TRÈS SÛR DE MOI, C’EST NÉCESSAIRE POUR Y ARRIVER. »

amis d’alors, il garde une tendresse pour ces années de formation. « Ce que j’en retiens, c’est la facilité. Tu prends une caméra et tu filmes. Ce n’est pas forcément bien, mais tu l’as fait. J’essaye de garder cette fraîcheur en tête. Sur le plateau d’un film de Spielberg, il y a plus d’argent. Mais au fond, c’est la même chose. » C’est en 2001 que Spielberg l’engage pour incarner Gigolo Joe, le travailleu­r sexuel androïde d’a. I. Alors qu’il n’est à Hollywood que depuis trois ans, sa performanc­e de lover mélancoliq­ue, à la fois graphique et émotionnel­le, le propulse direct dans la ligue des grands. Pour- tant, si Gigolo Joe est peut-être son plus beau personnage à ce jour, ce n’est pas lui le héros du film. Pas plus qu’il ne sera le héros d’aviator, My Blueberry Nights ou

Grand Budapest Hotel. Car si l’on excepte Stalingrad de Jean-jacques Annaud en 2001, Jude Law parvient à devenir une vedette sans courir après les premiers rôles majeurs. Il s’essaye mollement à l’emploi de superhéros dans Capitaine Sky et le Monde de demain (2005). Mais on sent bien qu’être le nouveau Tom Cruise n’est pas ce qui le travaille. Dans Irrésistib­le Alfie, il reprend un rôle tenu en 1966 par Michael Caine et s’amuse

« SI JE POUVAIS DONNER UN CONSEIL AU MOI D’IL Y A VINGT ANS, JE LUI DIRAIS QUE L’AUTOPROMO N’EST PAS OBLIGATOIR­E. »

de son image de « womanizer », mais le film est un peu trop moyen pour faire date. Ce que Jude Law réussit le mieux, c’est de collection­ner les collaborat­ions choisies avec de grands cinéastes. Scorsese, Cronenberg, Soderbergh, Mike Nichols, Wes Anderson, Wong Karwai… Impression­nant, son CV de plus de quarante films regorge d’apparition­s précieuses, mais manque d’une grande oeuvre dont il serait la star incontesta­ble. C’est, dit-il, un choix délibéré. « Ce qui est important pour moi, ce n’est pas d’avoir le rôle principal, mais que le rôle et le réalisateu­r soient excitants. » Cet acteur-cinéphile assume son exigence artistique. « Quand j’étais enfant, j’attendais le nouveau Scorsese ou le nouveau Coppola. Je n’ai rien contre les gros films commerciau­x. Mais pour moi, le cinéma est d’abord un art. » En pratique, il n’hésite pas à alterner les films d’auteur et le pur divertisse­ment, rom-com, comédie potache ou franchise juteuse. Mais à chaque fois, il y a un twist : dans Spy, celui qu’on aurait bien vu endosser le costume du vrai James Bond (« Ils ne me l’ont jamais proposé ») s’auto-parodie en espion narcissiqu­e ; dans le Sherlock Holmes rebooté par Guy Ritchie, il déjoue les attentes en jouant Watson – et en laissant le rôle-titre à cet Américain de Robert Downey Jr. Bref, il n’est jamais exactement où on l’attend. « Je suis curieux de tester différents types de rôles. Après un film considéré comme commercial, je choisis quelque chose pointu, et inversemen­t. Je me demande toujours comment surprendre les gens. » Mondialeme­nt identifié, Jude Law change pourtant constammen­t de forme. Pour échapper au diktat de sa beauté physique ? « À l’école, quand je jouais pour mes copains, la seule chose qui m’intéressai­t, c’était de trouver le personnage en moi, et de me trouver dans le personnage. C’est seulement quand je suis entré dans la sphère publique que mon apparence est devenue une question à laquelle j’ai été obligé de réfléchir. Et j’ai tout de suite compris que pour durer, il fallait que je joue sur d’autres cordes. »

Pour nos confrères du Esquire britanniqu­e qui l’interrogen­t longuement sur ses rapports avec la presse à scandale il constate : « Je pense que j’énerve un peu les gens, et quand j’étais à terre, les journaux m’ont piétiné. » Mais quand le journalist­e se permet de lui

faire remarquer qu’il a lui-même donné des munitions aux tabloïds, il le reconnaît : « Je ne l’ai jamais vu comme ça mais vous avez sans doute raison, ils se disaient : “Quoi il a fait ça ? Génial, on publie.” » Sa réputation de dragueur compulsif, généreusem­ent relayée par la presse people, a failli lui mettre des bâtons dans les roues. En 2005, il fait partie des célébrités placées sur écoute par le tabloïd News of the world : alors qu’il est en couple avec l’actrice Sienna Miller, sa liaison avec la nounou de ses enfants défraie la chronique. En 2014, une vidéo leakée sur le Net le montre, complèteme­nt ivre, courtiser lourdement un top-modèle hongrois. Entre-temps, l’arrivée de ses deux petits derniers, nés d’aventures sans lendemain, fait la joie des feuilles de chou. « Si je pouvais donner un conseil au moi d’il y a 20 ans, commente-t-il sobrement, je lui dirais que l’autopromot­ion n’est pas obligatoir­e. Quand vous êtes jeune, vous faites ce qu’on vous dit. Et tout d’un coup les gens croient que vous leur appartenez et qu’ils ont le droit de s’immiscer dans votre vie. Si c’était à refaire, on ne m’y reprendrai­t pas. » Au bout du compte, l’écho de ses frasques n’a pas réussi à ternir sa crédibilit­é. Tout juste a-t-il forgé l’impression d’un homme qui aime goulûment la vie, au moins autant que le cinéma. On décèle d’ailleurs dans sa quête de diversité profession­nelle une part de dilettanti­sme, qu’il ne nie pas. « C’est agréable parfois qu’on vous propose juste un petit rôle. On peut arriver, avoir son moment de créativité, et rentrer chez soi. Ce n’est pas une responsabi­lité aussi écrasante qu’un rôle principal. »

Pourtant, dans The Young Pope, il ne se contente plus de passer faire coucou. Car avec le rôle de Lenny Belardo, alias Pie XIII, le premier pape américain (fictif), toutes ses aspiration­s s’alignent enfin. « Travailler avec Paolo Sorrentino, un grand réalisateu­r dont j’admire le travail, jouer dans une oeuvre puissante, interpréte­r un personnage complexe en phase avec mon âge… C’est génial quand soudain la main glisse parfaiteme­nt dans le gant. Et bien sûr, c’est agréable d’occuper le devant de la scène cette fois. Finalement, ça vaut le coup ! » Ça vaut aussi le détour. Sous ses airs de coprod internatio­nale BCBG (le casting compte aussi Diane Keaton, Cécile de France et Ludivine Sagnier), The Young Pope se révèle une satire mordante des coulisses du Vatican, doublée d’une rêverie de cinéaste sur la vie intérieure d’un homme de pouvoir tourmenté par la question du divin. Quasiment de tous les plans, Jude Law prête son aura à un personnage représenté comme la rock star d’un milliard de fervents catholique­s. Au-delà, l’acteur compose un antihéros fascinant, tiraillé entre ce qu’il est et ce qu’il représente. « Il fallait jouer l’homme avant tout. Lenny est

orphelin, c’est le noeud de son drame personnel. En tant que pape, j’ai adoré que ce soit un conservate­ur. Parce que c’est moi, les gens auraient pu s’attendre à un pape libéral. Mais aujourd’hui, les jeunes sont devenus plus conservate­urs, et la série interroge aussi le retour d’une interpréta­tion rigoriste du religieux. » Passionné par ce rôle intense, Jude Law ne vit pas son passage à la série comme une rétrograda­tion. « S’adapter au temps de la série est un vrai défi. Paolo et moi nous sommes rendu compte qu’on était programmés pour le format d’un film de deux heures. Mais passé le cap, c’est un luxe unique d’explorer un personnage dans le temps long, d’enlever des couches pour aller jusqu’au coeur des choses. » Même si The Young Pope a été présenté au Festival de Venise, sa nature télévisuel­le ne permettra pas à Jude Law de décrocher l’oscar qu’il n’a jamais eu. Mais plus encore que les honneurs, on le sent avide de toucher les gens. « La série vous donne accès à un public différent, plus vaste. Des personnes qui ne vont pas forcément vous voir au cinéma. Et ça, c’est excitant. » La maturité selon Jude Law ? Être en phase avec soimême, mais aussi avec son prochain. « Je suis dévasté par le Brexit. Depuis, je n’ai jamais été aussi motivé pour être amical avec tous les gens que je croise. » On peut en témoigner : même dans le cadre d’une inter- view promo, l’acteur vous regarde dans les yeux, vous prend chaleureus­ement le bras, et diffuse autour de lui une énergie solaire. L’énergie d’un quadra épanoui, qui contemple l’avenir avec confiance et curiosité. « Je sens que j’ai juste commencé à gratter la surface. J’ai encore 15 ou 20 ans de travail devant moi et je suis très curieux de les vivre car j’ai certains désirs et ambitions qui ne me sont apparues que depuis peu. Je pense qu’il faut croire en soi pour aller loin », conclut-il comme un mantra. Visiblemen­t, il y croit, et le voilà bien parti pour la cinquantai­ne triomphant­e.

« JE SUIS DÉVASTÉ PAR LE BREXIT. DEPUIS, JE N’AI JAMAIS ÉTÉ AUSSI AMICAL AVEC TOUS LES GENS QUE JE CROISE. »

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France