GQ (France)

Tendance. Le grand retour des seventies.

C’était le temps du pop art, des premiers microproce­sseurs et du design. En horlogerie, de nouveaux acteurs se faisaient remarquer avec des créations qui bouleversa­ient les codes et annonçaien­t une nouvelle postérité. Par Nicolas Salomon_illustrati­on Dami

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Dans les années 1970, le mobilier stylé est signé Paulin, les voitures Pininfarin­a, la mode Saint Laurent, et l’horlogerie, Gérald Genta ! Ayant contribué au succès des plus grandes marques, à l’exception notable de Rolex, ce designer de génie disparu en 2008 a révolution­né l’horlogerie. Comment ? En créant un nouveau segment : la montre de sport de luxe. Au début des seventies, il traîne ses moustaches de manufactur­e en manufactur­e, proposant ses services aux différents opérateurs du secteur. Avec déjà quelques succès à son actif, dont l’omega Constellat­ion et son célèbre cadran à pans coupés, Genta est missionné par Audemars Piguet pour concevoir une nouvelle montre. L’idée est de marier deux secteurs que jusqu’ici tout oppose : les montres de sport en acier, et le luxe. À cette époque, les grands chronograp­hes en acier, tel le mythique Daytona, ne valent que quelques centaines de francs suisses. Alors, lorsqu’en 1971, Genta propose à Audemars de créer une montre en acier de haute horlogerie dont le prix sera supérieur à l’or, le projet divise. Finalement validé, il donne naissance l’année suivante à un ovni : mêlant allure sportive, alternance de poli et de satiné et guillochag­e en relief, la Royal Oak crée la rupture. Pour la commercial­iser, la manufactur­e parie sur un autre personnage fort, totalement inconnu à l’époque mais légendaire aujourd’hui : Jean-claude Biver, le patron de la branche horlogerie de LVMH. « À l’époque, j’avais découvert l’horlogerie au contact d’un de mes amis, et je cherchais un premier job. À la faveur d’une heureuse rencontre, j’ai décroché l’entretien qui allait changer ma vie. » Intuitif et hâbleur, Biver convainc son interlocut­eur et se retrouve chargé de défricher un territoire commercial inconnu. Et sous son impulsion, les ventes, au départ difficile, finissent par s’enflammer. Avec ce succès, la Royal Oak va permettre à Genta d’installer sa légende, et surtout de préparer son second coup de maître. Trois ans plus tard, Philippe Stern, qui officie aux commandes de Patek Philippe, régate sur le lac de Genève et, en remisant son voilier, s’arrête sur la forme d’un de ses hublots : « Un carré aux coins arrondis. Il ne manquait que deux aiguilles. » Il tient son idée et convoque Genta. Stern, dont la manufactur­e domine la haute horlogerie, reste pour ainsi dire absent du secteur sportif. Sur cette base de hublot, il demande au designer de concevoir une boîte inspirée par le nautisme. Reprenant les recettes de son précédent succès – liaison boîte bracelet parfaite, alternance de poli satiné, guillochag­e en relief – Genta, présente son chef-d’oeuvre : la Nautilus. Un faux air de télévision de l’époque, une apparente simplicité, la montre réussit le double pari d’être marquée par son moment, et d’une sidérante modernité. Les années se suivent et se ressemblen­t. En vingt ans de carrière Genta va signer les plus grandes montres de l’histoire : Vacheron Constantin 222, IWC Ingenieur, Cartier Pasha, Bulgari Octo… Que reste-t-il aujourd’hui de cet héritage ? Tout ou presque. Exception faite de la Pasha qui date de 1997 et qui traverse une fin de cycle, toutes les autres montres de Genta sont désirées. Cette année encore, l’un des plus grands lancements de l’année

Le brief de la nouvelle montre Vuitton : s’inspirer de l’âge d’or de l’horlogerie, il y a quarante ans.

La dernière arrivée cette année sur ce thème est la Piaget Polo S. Franck Touzeau, qui en fut l’artisan, nous détaille le processus : « Nous savions que les grands succès de ce segment sont des montres dont le bracelet est la prolongati­on naturelle de la montre. Nous avons donc commencé par cela. » Ensuite, le guillochag­e. Il est souvent ensoleillé chez Piaget. Or ici, il fallait qu’il offre une symétrie. Il a donc fallu en créer une spécifique. Puis le moteur. Les montres iconiques des années 1970 ont toutes un calibre manufactur­e maison de référence. Piaget fabriquant les siens, la marque n’a eu qu’à piocher dans la gamme maison. La Polo S est une donc synthèse de l’imperador, pour la forme coussin, assez peu répandue mais tellement seventies, et de la ligne Polo qui se destine au sport. Toutes ces montres que nous adorons aujourd’hui ont mal vécu les années 1980 qui ont suivi. Mais ces dernières années, les amateurs ont eu tendance à bouder les modèles du début des années 2000, aux larges diamètres, très architectu­rées, qui furent pourtant créatives. Gageons que, dans trente ans, elles deviennent les icônes de nos enfants. fut la Vacheron Constantin Overseas dont la 222 fut la matrice. Jean-yves Di Martino, le patron France n’en revient pas : « Nous avions déjà en collection une Overseas, mais qui était moins proche du dessin d’origine que celle-ci. Or, c’est la première fois qu’un nouveau modèle draine autant de newco

mers chez Vacheron. » Même son de cloche chez l’empereur romain, Bulgari. Fabrizio Buonamassa, le designer maison : « L’octo nous a fait gagner de nouveaux clients chez les amateurs. La filiation joue forcément. » Et quel succès : la montre constitue à elle seule l’un des grands piliers du résultat de la marque, dont le chiffre d’affaires dépasse largement le milliard d’euros. Chez Louis Vuitton, où l’on a lancé récemment un sublime tourbillon volant, le patron de la branche, Hamdi Chatti, dévoile son brief : « J’ai dit aux équipes que le thème était l’âge d’or de l’horlogerie. C’est-à-dire ces montres qui, quarante ans après, nous font toujours envie. »

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