Décryptage. La ruée vers le bronze.
La matière, longtemps réputée pour sa seule robustesse, voit aujourd’hui sa couleur et sa patine caractéristiques célébrées par les marques horlogères. Après s’être parées d’or, d’acier, de titane et de carbone, les montres jouent le bronze. Par Nicolas S
Un vent doré souffle sur l’horlogerie ces derniers temps. Mais il ne vient pas du roi des métaux. Il provient d’un alliage cousin, beaucoup moins noble : le bronze. À l’instar des grands vins, les montres en bronze ne vieillissent pas, elles s’améliorent. Plus elles vieillissent, plus elles se bonifient. Facile à usiner, la matière coûte naturellement beaucoup moins cher que l’or. Elle permet d’installer ainsi une gamme de modèles à des prix intermédiaires, entre l’acier, le plus répandu, et l’or, le plus dispendieux. On date son invention à 2 000 av. J.-C. Depuis cette date, on a loué toutes ses vertus, notamment sa robustesse. Mais, de façon récurrente, on a aussi maudit sa fâcheuse tendance à verdir. Jusqu’à ce que l’horlogerie s’en empare, et renverse le principe : au poi- gnet, plus le bronze est vert, plus la montre est d’or. Précieuse. L’explication de ce curieux phénomène figure dans votre manuel de chimie de 4e. L’oxydation se produit au contact de l’oxygène. Une réaction lente lie les atomes du métal à l’oxygène qui lui « emprunte » des électrons. La couleur que prend le métal dans sa forme oxydée est une propriété de l’élément en question. Le fer devient rouge (la rouille) et le cuivre vert… Et de quoi le bronze est-il essentiellement constitué ? De cuivre. Naturellement, la tentation est grande d’entretenir sa couleur d’origine. Seulement voilà, les montres marquées d’une patine du temps bénéficient ces dernières années d’un engouement considérable. Ce qui n’a pas toujours été le cas. Le grand horloger Gerald Genta, qui a eu souvent le tort d’avoir raison
trop tôt, avait proposé une montre en bronze au début des années 1990, la Gefica, qui reste célèbre pour son four commercial. Mais depuis quelques années, la cote a explosé et cette mode d’une montre portant les stigmates du temps, comprenez des rayures, s’est emparée de tous les matériaux. Y compris à l’intérieur des cadrans ! Un noir qui vire au brun à cause d’un excès de soleil : +50 %. Des aiguilles blanches qui jaunissent : +30 %. Alors une boîte en bronze qui verdit : +200 %. Un exemple : lorsque l’italien Panerai édite sa Luminor submersible 1950 en version bronze, son prix de départ est de 9 300 €. Aujourd’hui, la même, couverte de vert-de-gris, vaut le double ! Pourquoi sommes-nous si sensibles à ces marques du temps ? Curieusement, la première raison est à chercher dans l’histoire de la marine égyptienne ! Derrière cette inattendue référence, se cache l’histoire du succès des Panerai anciennes. Dans les années 1940, l’armée égyptienne demanda à Panerai de lui fournir des boîtiers étanches en bronze pour ses plongeurs. Cette série spéciale étant l’une des plus convoitées en collection, sa déclinaison moderne, référence PAM 382, a permis à des « primo-accédants » de toucher au mythe. Un peu comme la nouvelle Rolex Daytona, qui ressemble à la ref. 6263 de Paul Newman, mais dont le prix est bien moins exorbitant. La seconde raison, c’est la tendance. Les matériaux ont leur moment. Les années 1980 furent celle du couple or jaune/acier, un rien clinquant. Les années 1990, celles de l’acier, faisant du gris la teinte de la décennie. Les années 2000, celles du titane et du carbone, marquant l’avènement de la high-tech. Les années 2010, celles de l’or rose, cette teinte vintage au charme suranné… Désormais, tout le monde en pince pour le bronze. À la foire de Bâle, cette année, l’un des plus gros lancements fut la version bronze de la Tudor Heritage Black Bay. Suivie de près par la Zenith Pilot Type 20 Bronze, la Oris Bronze Carl Brashear, ou la dernière venue, la Nautilo d’anonimo. Ultime source de l’engouement : le snobisme ! Marqueur d’une connaissance du marché, la montre en bronze « sortie de baignade » prouve à votre entourage que vous faites partie du sérail des collectionneurs. Non, il ne s’agit pas d’une vieille montre qui aurait besoin d’un sérieux nettoyage, mais d’un gardetemps qui en a subi les outrages. Nuance ! De la même façon que le « rusty style » fait fureur chez certains préparateurs de voitures de collection (la tendance « derelict », voir notre supplément Mondial de l’automobile n° 103), le « dans son jus » devient l’une des conditions du succès des montres de collection. Ce qui est vrai pour l’acier et l’or l’est aussi, mais dans leur version la plus extrême, pour les modèles en bronze. Que pense-t-on des montres en bronze à la rédaction de votre magazine préféré ? On adhère. Mais surtout au profit des montres de plongée. Cohérence d’une matière historiquement employée dans la marine, et tendance à verdir au retour des vacances expliquent ce choix. Et, croyez-nous, faire dépasser de votre costume une montre qui semble avoir passé vingt ans au fond de l’eau à bavarder avec une amphore grecque pourrait bien être le combo gagnant de l’année. Une seule chose nous chagrine : le diamètre aujourd’hui clairement excessif de ces montres, dont le poids devient presque gênant à la longue.