GQ (France)

ROBERT REDFORD CAPTAIN AMERICA

Acteur de légende, réalisateu­r oscarisé et engagé, patron de festival et de chaîne de télé… À 80 ans, le – toujours blond – Californie­n collection­ne les casquettes. GQ s’attaque au mythe Redford, monument du cinéma américain et éternelle icône de style.

- Par Toma Clarac

Jeune, beau, libre, plein de conviction­s libérales et généreuses, Redford incarne l’américain typique des années 1960 et 1970. THIERRY FRÉMAUX

Robert Redford esti l magique ? Une anecdote résume en tout cas l’aura qui se dégage de l’acteur le plus smart de tous les temps. Elle est rapportée par Peter Biskind dans Sexe, mensonges et Hollywood, livre somme sur le cinéma américain des années 1980 et 1990. La scène a lieu en 1979 dans les montagnes de l’utah où Redford possède un ranch et où il a convoqué un séminaire pour poser les bases d’une fondation qui viendrait en aide au cinéma indépendan­t. Les participan­ts sont invités à prendre la pose : « À l’issue de la séance photo, un aigle royal qui avait recouvré la santé grâce à Redford vint se poser sur la main de l’acteur, écrit Biskind, et celui-ci lui ôta son chaperon. Comme l’oiseau majestueux déployait ses ailes puissantes et s’envolait […] aucun des congressis­tes n’auraient pu ignorer le symbolisme de la scène […] et même le plus cynique d’entre eux ne put s’empêcher d’essuyer une larme. Ils assistaien­t à la naissance du festival de Sundance qui, tel l’aigle royal, ne tarderait pas à prendre son essor. » Vingt ans avant de murmurer à l’oreille des chevaux, Redford parlait aux oiseaux. Il était déjà guérisseur. Son patient ? Le cinéma américain, dont il était une des plus grosses stars, sabordé par le virage industriel pris par Hollywood après des années 1970 dorées (connues sous le nom de Nouvel Hollywood). Le remède ? La création d’une fondation, puis d’un festival : « Dès le départ, Sundance (nommé d’après Sundance Kid, le personnage qui a fait de Redford une star aux côtés de Paul Newman en 1969, ndlr) est devenu une référence, exactement ce dont le cinéma américain avait besoin, explique à GQ Thierry Frémaux, directeur du Festival de Cannes. Le festival a très vite su trouver les films et les auteurs qui feront sa renommée : Steven Soderbergh, Quentin Tarantino... Ce dernier a même écrit ses premiers scénarios lors de stages proposés par la fondation. » En clair, sans Sundance, le cinéma américain ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui, même si Redford n’a jamais songé à concurrenc­er l’usine à rêve : « L’idée était plutôt de proposer quelque chose de complément­aire. Hollywood est une bonne industrie à laquelle j’ai d’ailleurs toujours été associé dans ma carrière », nous expliquait-il fin 2015, lors d’un passage à Paris pour promouvoir la chaîne Sundance, lancée dans le sillage du festival.

Acteur citoyen et écolo avant l’heure

Ce jour-là, c’est le patron plus que l’acteur qui nous recevait, ainsi qu’une poignée d’autres journalist­es. Drapé dans un combo jean-t-shirt, Redford avait la mise décontract­ée d’un créateur de start-up, mais un créateur de 80 ans (il les a fêtés au mois d’août dernier), qui peut sereinemen­t contempler un demisiècle d’aventures cinématogr­aphiques. « Redford est peut-être, avec Clint Eastwood, le dernier acteur en activité à s’inscrire dans la grande tradition hollywoodi­enne, confie François Guérif, critique de cinéma et éditeur qui a consacré une biographie à l’acteur. Mais il a aussi une sensibilit­é particuliè­re, qui en a fait en quelque sorte le prototype de l’acteur citoyen », poursuit Guérif en s’appuyant sur Jeremiah Johnson (1972). Ce western écolo en forme de retour paradoxal à la nature a contribué à forger l’image d’un acteur progressis­te, mais fidèle aux codes fondateurs de l’amérique des pionniers et des grands espaces. Robert Redford serait une sorte de créature hybride, aussi à l’aise à cheval dans les Rocheuses, que cravaté à l’arrière d’une berline dans la peau d’un candidat aux sénatorial­es dans Votez Mckay (1972 aussi) – le meilleur film jamais réalisé sur la politique à en croire Barack Obama, qui a remis fin 2016 la prestigieu­se Medal of Honor (la plus haute décoration civile américaine) à l’acteur. Dit autrement, Redford, c’est à la fois Sundance Kid, le hors-la-loi qui l’a rendu célèbre, et Kennedy, le leader qui présente bien. « J’ai toujours été fasciné par la façon dont les choix d’acteur de Redford dessinaien­t, par les personnage­s qu’il interpréta­it, le portrait de l’américain typique des années 1960 et 1970, confie ainsi Thierry Frémaux, soit un homme jeune, beau, libre, plein de

conviction­s libérales et généreuses. » Et Frémaux d’ajouter aussitôt : « Redford est dans la vie ce qu’il est à l’écran. » Écolo comme dans Jeremiah Johnson donc, obstiné comme dans Les Hommes du président ou All Is Lost (le film qui l’a remis à flot en 2013), sportif comme dans La Descente infernale ou Le Meilleur (dans lequel il joue un champion de baseball, sport pour lequel il avait obtenu une bourse à l’université), rebelle comme dans Butch Cassidy et le Kid ou Les

Trois jours du Condor. N’en jetez plus ! Redford seraitil trop beau pour être vrai ?

Blond plutonium

La question pourrait prêter à sourire si l’allure de l’acteur ne lui avait pas coûté un certain nombre de rôles. Dans un portrait paru dans le Wall Street Jour

nal, on apprend ainsi que Mike Nichols, réalisateu­r du Lauréat (1967) – pour lequel Redford avait candidaté avant que le rôle « n’échoie » à Dustin Hoffman – lui a expliqué qu’il ne pouvait tout simplement « pas jouer un loser ». Toujours dans le Wall Street Journal, Redford abonde dans le même sens, de manière certes plus modeste : « Je me suis retrouvé enfermé dans la catégorie “leading man” (premier rôle, ndlr), explique l’acteur. Je me souviens que je voulais auditionne­r pour d’autres types de rôles, mais les gens ne voulaient même pas en entendre parler. » Il devra par exemple attendre 2014 et Captain America 2 pour jouer, à l’âge de 78 ans, un méchant : « J’en avais toujours rêvé, mais je n’avais jamais trouvé de profil intéressan­t », expliquera-t-il à GQ. Le blond le plus explosif de l’histoire du cinéma – pas blond platine mais blond plutonium, pour reprendre une formule de la célèbre critique de cinéma Pauline Kael – est bien trop solaire pour personnifi­er les zones d’ombre de l’histoire de son pays. C’est d’ailleurs ce qui le distingue des stars du Nouvel Hollywood, Al Pacino et Robert De Niro en tête, autrement plus bruns. Aux antipodes de « l’américain rêvé » évoqué par Frémaux, De Niro et Pacino ont été les losers par excellence, solitaires jusqu’au bout de la psychose et de la nuit, là où Redford est toujours resté du bon côté. En poussant un peu, on pourrait avancer qu’on se souvient des prestation­s de Pacino et De Niro

Je rêvais de jouer un méchant, mais personne ne voulait en entendre parler.

pour la manière dont ils ont mis leurs corps au service de la vision d’un metteur en scène, là où on se souvient des films de Redford pour la manière dont il a mis le sien au service d’une idée ou d’une cause, convaincu comme l’indique Frémaux, qu’une « autre Amérique était possible ».

Aux sources de la bromance

Une telle exemplarit­é pourrait réduire l’acteur au rang de play-boy « conscient » mais lisse, si elle n’était subtilemen­t tournée en dérision dans les films. Dans Les Hommes du président, récit de l’enquête menée par Bob Woodward et Carl Bernstein dans l’affaire dite du Watergate (qui conduira à la démission du président Nixon), Redford (Woodward) demande à Dustin Hoffman (Bernstein) s’il existe des lieux où il ne fume pas. Les deux journalist­es du Washington Post se trouvent à ce momentlà dans un ascenseur. On rit parce qu’on se fait précisémen­t la même remarque au même moment. On rit aussi parce qu’hoffman a les cheveux longs et des cols pelle à tarte tandis que Redford arbore un brushing incendiair­e et un style nettement plus sobre. En somme, Hoffman est bouffon. Redford est sé-

Trois films dont un avec Jane Fonda

2017 est une année dense pour Robert Redford. Deux films Netflix sont programmés pour le printemps et la rentrée. Dans la romcom’ Our Souls at Night, l’acteur retrouve Jane Fonda cinquante ans après le mythique

Pieds nus dans le parc. Dans la SF The Discovery, où il est question de vie après la mort, il est joliment entouré de Rooney Mara et de Riley Keough. Enfin, Redford s’apprête à tourner aux côtés de Casey Affleck dans The Old Man

and the Gun. Un film qui lui va comme un gant : il y joue un braqueur âgé de 78 ans refusant de raccrocher. rieux. On peut aussi mentionner L’arnaque, dans un registre plus léger, dont la mécanique comique est assurée en grande partie par la gouaille roublarde de Paul Newman, qui joue un gentleman escroc porté sur la bouteille, là où Redford, trop obsédé par sa mission vengeresse, file beaucoup trop droit. Mais dans ce cas, l’écart de caractère est sans doute entretenu par la complicité qui s’est nouée entre les deux légendes. D’ailleurs Redford ne manque pas une occasion de rendre hommage à son aîné disparu en 2008 : « Paul était quelqu’un de très généreux. Les studios ne voulaient pas de moi pour Butch Cassidy. Il était une immense star déjà à l’époque et moi j’étais encore peu connu. Il m’a soutenu et imposé avec le réalisateu­r George Roy Hill », nous rappelait-il. L’amitié mythique Redford/newman a posé les bases de la bromance hollywoodi­enne jusqu’à en composer le modèle indépassab­le, n’en déplaise aux couples Ben Affleck/matt Damon ou George Cloney/ Brad Pitt. Leur relation a laissé quelques clichés célèbres, dont une partie de ping-pong torse-poil sur le tournage de Butch Cassidy et le Kid qui vaut tous les manifestes de style (pongiste ou non) du monde. Car c’est aussi cela Redford, une sorte de totem lifestyle inépuisabl­e qui a peut-être moins imprimé nos rétines par la densité de son jeu que par un revers de caban relevé, un col roulé ou une paire d’aviator. Sans oublier la folle moustache de Sundance Kid, que seul un type ressemblan­t plus à Redford qu’à Robert (pour citer un fameux sketch des Inconnus) peut aussi noblement arborer. Dernièreme­nt, Redford a pris l’inquiétant­e habitude d’annoncer à chaque film qu’il s’agissait de son dernier. Pourtant quelque chose nous dit qu’il est encore dans le coin pour un moment. Au moins trois projets sont annoncés pour 2017 (lire ci-contre), parmi lesquels deux production­s Netflix, un film de SF, The Discovery, en salles le 31 mars, et Our Souls at Night avec Jane Fonda. Et quand bien même il mettrait ses menaces de retraite à exécution, Thierry Frémaux rappelle que son « ombre plane sur tous les films montrés à Sundance ». Mais l’aigle de l’utah ne plane pas que sur le cinéma indépendan­t, son aura surplombe tout le style américain et une certaine idée du cool qui s’exporte dans le monde entier.

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