GQ (France)

Willem Dafoe, l’homme à tête de fou

Christ de Scorsese, Bouffon Vert de Spiderman… L’acteur s’amuse en gangster débile dans Dog Eat Dog. Avant son retour dans Justice League à l’automne, il évoque pour GQ son style, sa carrière… et le yoga.

- Par Toma Clarac

Dans le genre tronche légendaire du cinéma américain, celle de Willem Dafoe envoie du bois. Quand l’acteur a les lèvres fermées, passe encore, mais dès qu’il esquisse le début d’un sourire, il se transforme en personnage de cartoon. Sa bouche élastique s’étire en un rictus infini qui en fait un sosie du Joker, même si c’est un autre vilain qu’il a incarné au début des années 2000 dans la première trilogie Spiderman : le Bouffon Vert. D’ailleurs, de Police Fédérale Los Angeles (William Friedkin, 1985), un de ses premiers grands rôles, à Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, 2014), en passant par Sailor et Lula (David Lynch, 1988), Dafoe a campé à peu près tout ce que le monde compte de joyeux psychopath­es. Mais avec une pareille tête de fou doit-on s’en s’étonner ? « J’ai joué beaucoup de personnage­s pas “normaux”, disons, mais ça ne signifie pas qu’ils sont tous mal intentionn­és », nuançait l’acteur à Cannes, où il présentait au printemps dernier le polar burlesque Dog Eat Dog. « Ce sont des gens qui n’ont pas une vie traditionn­elle... Les plus intéressan­ts, je pense. Parce qu’on ne vend pas une idée morale de ce qu’ils devraient être. On deale avec l’humanité qui les définit. Cette humanité crée de la compassion. »

Le terroriste hystérique du nanar Speed 2 ( Jan de Bont, 1997) entre-t-il aussi dans cette catégorie ? « Je n’ai jamais fait quelque chose uniquement pour l’argent, balaie l’acteur qui a bien vu où on voulait en venir. Je ne suis pas un moine hein, l’argent ça compte, ne vous méprenez pas. Mais quand je joue, je ne me souviens pas de mon cachet, il ne me protège pas. Donc j’ai plutôt intérêt à apprécier ce que je fais ! » En quarante ans d’une carrière protéiform­e, rythmée par des collaborat­ions

au long cours (avec Paul Schrader, Wes Anderson, Abel Ferrara, Lars Von Trier), Dafoe a développé une approche de son métier qui tient du manifeste existentie­l. Et c’est cette vision de la vie que l’acteur a décidé de nous exposer. « Ce n’est pas un accident si je pratique le yoga depuis vingt-cinq ans », indiquet-il quand on lui demande si l’entretien de son corps sec, exposé crûment dans La Dernière tentation du Christ de Martin Scorsese (1988), traduit une manière de voir le monde. « Ce n’est pas de l’exercice, c’est une philosophi­e. La méditation conditionn­e mes journées et la manière dont j’aborde mon travail. »

Là où certains grands acteurs américains se tournent vers la méthode enseignée à l’actor’s Studio pour investir leur personnage, Dafoe, qui a débuté dans le théâtre expériment­al, semble essentiell­ement à l’écoute de luimême : « C’est important pour moi de rester fit même en vieillissa­nt, explique-t-il. Je ne veux pas séparer le corps, l’esprit et le coeur, mais c’est bien au corps que je peux m’adresser le plus facilement. Et il y a une vérité du corps. » Et l’ascète de préciser aussitôt : « Ce n’est pas une question de prouesses athlétique­s, c’est une question de feeling. » Comme le surfeur de « Sur la planche », le tube de La Femme, Willem Dafoe « recherche des sensations » : « J’aime par-dessus tout l’idée de me diluer dans l’action. Mes deux plus grandes forces sont ma capacité de simuler et ma volonté de me perdre en me laissant emporter par la vague », explique l’acteur avec gourmandis­e. Un aveu qui éclaire sa méthode d’un beau paradoxe : le contrôle qu’il exerce sur son corps lui sert avant tout à s’en émanciper. Ces dernières années, cette poursuite de l’abandon s’est intensifié­e aux côtés du réalisateu­r Abel Ferrara, qui s’est comme lui installé à Rome, dans des films aussi différents que New Rose Hotel (1998), Go Go Tales (2007) ou Pasolini (2014). « Dans ce jeu où l’on est coincé entre le business et l’art, la crasse et le divin, Willem a trouvé le moyen de rester ouvert et de canaliser toutes ces énergies diverses au profit de performanc­es positives et captivante­s », confie admiratif à GQ l’auteur de Bad Lieutenant. Pour faire prospérer leur petite entreprise, Ferrara, qui a fait de l’acteur le parrain de sa fille, associe toujours plus étroitemen­t Dafoe à la conception des films eux-mêmes. Comme si, avec son sourire démoniaque, l’acteur avait vampirisé le travail du cinéaste new-yorkais. « Dans notre nouveau film, Siberia, le héros a été modelé d’après la vie de Willem. C’est à l’histoire de se faire une place dans cette vie et non l’inverse », explique d’ailleurs ce dernier. Modeste, Dafoe insiste sur sa volonté de servir les réalisateu­rs et de leur offrir de la « flexibilit­é ». Cette notion plus souvent associée à une théorie libérale du monde du travail décrit assez justement l’étendue de la gamme de jeu de l’acteur. Et elle se matérialis­e précisémen­t dans l’élasticité de son visage, qui lui permet de basculer en un clin d’oeil d’une posture menaçante à une allure comique, à l’image du gangster demeuré qu’il incarne furieuseme­nt dans Dog Eat Dog. Que le dernier film de Paul Schrader, scénariste de Taxi Driver, ne soit qu’une sympathiqu­e pochade n’allait pas empêcher Dafoe de se laisser submerger par les rouleaux !

DOG EAT DOG, de Paul Schrader, avec Willem Dafoe et Nicolas Cage (sortie en DVD et VOD le 21 avril).

« Je ne veux pas séparer le corps, l’esprit et le coeur, mais c’est bien au corps que je peux m’adresser le plus facilement. »

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 ??  ?? Nicolas Cage et Willem Dafoe en duo de gangsters losers dans Dog Eat Dog.
Nicolas Cage et Willem Dafoe en duo de gangsters losers dans Dog Eat Dog.
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