GQ (France)

LA PORTE D’ACCÈS DU PARADIS

Invité en Jamaïque, le voyageur découvre les hôtels tout inclus de la firme Sandals.

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Je finis ma coupe de Moët & Chandon rosé au Pier, le salon de Cathay Pacific, quand mon regard est attiré par une Asiatique sautant de joie sur l’écran d’un téléviseur : elle vient de gagner un séjour dans un club Sandals, la chaîne d’hôtels tout inclus réservés aux couples. Vingt heures plus tard, je rappelle Elena depuis la Lexus LS me ramenant à Manhattan : « J’arrive de Hong Kong, c’est quoi ce voyage en Jamaïque ? Ah… sans ton mari. Dans ce cas, pourquoi pas… » Trois jours passent, puis elle me présente à Wan-ting devant le guichet Delta Airlines, de l’aéroport JFK, où je manque de défaillir : « Vous n’étiez pas dans le “Juste Prix” ? » L’exquise Taïwanaise acquiesce. Une fois dans l’avion, je demande des explicatio­ns à Elena qui rétorque : « Attache ta ceinture et détends-toi. On a une villa sur pilotis à 3 000 dollars la nuit, ce sont les premières des Caraïbes ! » Une voiture nous attend à Sangster Internatio­nal, l’aéroport de Montego Bay, puis on rallie l’îlot attenant au Sandals Royal Caribbean en bateau électrique. La villa n’offre qu’un mini-bassin extérieur quand l’heure est aux piscines de douze mètres. Mais le mobilier façon Charlotte Perriand, la baignoire Victoria + Albert en Quarrycast, la douche Kohler, les produits Molton Brown – shampoing et soin Indian Cress, gel douche et lait hydratant Japanese Orange – ont finalement raison de ma méfiance et, après un petit room-service, je sombre.

AU BEAU MILIEU DE LA NUIT, le cri d’un animal me réveille brutalemen­t. Voyant Elena accroupie entre les cuisses de Wan-ting, mon sexe se dresse aussitôt mais elle me fait comprendre que son amie n’aime pas les hommes et je me rendors. Le lendemain, je prétexte une visite de Goldeneye, la maison où Ian Fleming a écrit tous ses James Bond, pour aller espionner le San- dals Montego Bay voisin. Plus de cinq sources sonores se disputent l’ouïe des vacanciers. Dino’s, le kiosque à pizzas, vibre des hurlements de Bonnie Tyler, en pleine éclipse totale de son coeur, tandis que des sexagénair­es tatouées sautillent en rythme dans la piscine, sur « Move Like Jagger », avant de laper un Dirty Banana – cocktail maison dont une gorgée suffirait à plonger un éléphant dans un coma hyperglycé­mique. Le plus assourdiss­ant restant les Boeing décollant toutes les trois minutes, de la piste mitoyenne. Autour de 16 heures, le programme re-tox à base de burgers-frites bat son plein, les Cendrillon­s à voix de cendriers enchaînent les paniers de basket, leurs époux se livrent à des courses d’obstacles comprenant des séries de pompes et d’ingestions record de bières, et je comprends que tous ces gens ne sont pas venus ici pour se livrer à l’échangisme mais pour revivre les springbrea­ks de leur jeunesse. Puis, la nuit tombe. Certains dînent dans l’un des restaurant­s à thème. D’autres, tout de blanc vêtus, dansent le slow dans le lobby, accompagné­s au synthétise­ur, et je rentre au Royal Caribbean, en plein spectacle chorégraph­ique sur « L’italiano (Lasciatemi Cantare) » de Toto Cutugno. Apercevant le directeur, une dame du Minnesota se jette sur lui, yeux révulsés : « C’était ma cinquième fois et je reviendrai une sixième ; c’est sûr ! » Je me dis alors que j’ai dû mourir, retourne la clé magnétique de ma villa et lis « Sandals, VIP Access to Paradise » tandis qu’une force prodigieus­e m’arrache du sol et me propulse à une vitesse supersoniq­ue en direction du ciel.

ÉRIC DAHAN. Journalist­e, photograph­e, réalisateu­r, il a filmé des légendes du rock (Bowie, Lou Reed), du cinéma indépendan­t (Paul Morrissey, Larry Clark) ou de la littératur­e (Tom Wolfe). Il a aussi tenu la rubrique culte « Nuits Blanches » dans Libération de 1994 à 2006.

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 ??  ?? LAST CALL pa r ÉRIC DAHAN Chaque mois, notre dandy chroniqueu­r traverse les univers feutrés des hôtels, clubs et spas les plus exclusifs de la planète. Plus loin, plus haut que George Clooney dans « In the Air » .
LAST CALL pa r ÉRIC DAHAN Chaque mois, notre dandy chroniqueu­r traverse les univers feutrés des hôtels, clubs et spas les plus exclusifs de la planète. Plus loin, plus haut que George Clooney dans « In the Air » .

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