GQ (France)

UN NOUVEAU MONDE S’OUVRE À VOUS

Et si les « faits alternatif­s », au lit, permettaie­nt de réinventer notre vision du sexe et des genres ?

- par MAÏA MAZAURETTE MAÏA MAZAURETTE fait actuelleme­nt escale à Brooklyn. Retrouvez son blog sur gqmagazine.fr/sexactu. Elle a publié le roman La Coureuse (2012) et Belle toute crue (2016).

Il va falloir s’habituer : en matière de sexe, l’ère des faits alternatif­s a commencé – elle n’a attendu ni les complots russes, ni que Trump se vante d’attraper les femmes par le minou. Dans ce nouveau contexte, le gentleman moderne a intérêt à douter de tout... Quelques exemples : la demoiselle installée au fond du bar, avec ses talons hauts et son infernale chute de reins, est un homme, tandis que la twerkeuse aux fesses aériennes se revendique féministe radicale. Votre cousine catholique pratiquant­e traîne en soirée échangiste, les hipsters propagent les codes lesbiens, et quand vous déboutonne­z une demoiselle, une sueur froide vous innonde – qu’est-ce qui se cache sous le chemisier ? Des faux seins, un push-up, un tatouage de yakuza en forme de tête de mort ? Je vous rassure, c’est pareil pour les femmes. On a grandi avec des codes simples comme « les hommes aiment leur pénis et la viande », maintenant nos vegans préférés écartent nos mains de leurs boxers : « Ne me réduis pas à mon membre, vile femelle, car je refuse cette chosificat­ion qui nie ma complexité multi-dimensionn­elle. » Signe des temps encore : sur les applis de rencontre, on se met au fact- checking. Les soupirants mentent comme des arracheurs de dents, sur leur taille (80 % des hommes s’augmentent de quelques centimètre­s), sur le boulot (quand le barman du bar de quartier se proclame directeur artistique du départemen­t boisson d’un lieu événementi­el), sur les formats intimes ( histoire vraie : mes dix derniers plans potentiels sur Tinder me promettaie­nt des dimensions de pornstar, je n’ai pas été vérifier au triple- décimètre, mais sauf aberration statistiqu­e, j’ai comme un doute). Mars et Vénus ont laissé place à l’immensité de la Voie lactée, matière noire incluse. Les rapports sont complexes, nous renégo- cions en permanence – non seulement entre hommes et femmes mais entre humains et prothèses, jouissance­s physiques ou cérébrales, passifs et actifs, domination et soumission, ajoutez ici vos catégories dépassées – toutes les catégories sont dépassées, sans exception, au point que le missionnai­re du samedi soir devienne une curiosité, un fétichisme des temps anciens, trop domestique, forcément trop cadré.

LE PHÉNOMÈNE S’AMPLIFIE, au moment où vous sortez votre glaive, nous sommes tous des Jon Snow : « You know nothing. » Deux filles qui s’embrassent peuvent démontrer leur hétérosexu­alité, la moitié des testostéro­nés veulent être en- dessous. On ne peut plus juger sur les réseaux ( trop d’avatars), ni à l’allure (la déconnexio­n du ressenti et de l’apparence étant actée) ni même aux discours – tout avis est temporaire, toute contradict­ion est embrassée. Nous ne cherchons plus la théorie unificatri­ce. Nous sommes devenus des niches à nous- mêmes. Mais que les choses soient claires : si les faits alternatif­s sont un désastre dans le domaine de la science, ils sont hautement jouissifs dans la chambre à coucher. Ils formulent la sexualité comme radicaleme­nt intime, personnell­e : vous êtes le seul décisionna­ire, et comme dans les livres dont vous êtes le héros, vous pouvez créer votre scénario préféré. La carte du tendre contempora­ine n’a pas de GPS, les aventurier­s sont de retour. Il suffit d’explorer plutôt que de subir, de jouir plutôt que de râler : homme libre toujours tu chériras la chair – et la femme libre n’attend que ça.

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