GQ (France)

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Acteur au style impeccable et aux performanc­es incandesce­ntes (Le secret de broke back mount ain, nightcall, Nocturnal animals…), Jake Gyllenhaal revient dans Life: origine inconnue, un pop-corn movie aux antipodes de son parcours. En exclusivit­é, GQ a re

- PAR JACQUES BRAUNSTEIN _ PHOTOGRAPH­E MATTHEW BROOKES

Jake Gyllenhaal. La belle gueule aux 100 visages.

Quand nous débarquons à l’aéroport JFK de New York quelques jours après l’intronisat­ion de Donald Trump, l’attente à la douane s’est inexplicab­lement allongée. Après une heure de queue, le douanier nous demande qui nous venons interviewe­r. « Jake Gyllenhaal ? Je ne vois pas… » Nous citons quelques-uns de ses films récents : Nocturnal Animals, Demolition… Cela ne lui dit rien. Prince of Persia, Source Code ? Non plus. De guerre lasse, nous tentons « le mec de Brokeback Mountain ». La réponse fuse : « Aaaah, vous voulez dire la fille ! » Rire gras. Pour la finesse, on repassera. Le lendemain midi, nous rencontron­s Jake Gyllenhaal dans une suite du Crosby Street Hotel, palace à la mode pour les journées promo du cinéma américain. Il est là pour défendre Life : Origine inconnue ( space opera qui sort le 19 avril), dont il partage l’affiche avec son pote Ryan Reynolds. Barbe imposante et T-shirt usé sur un jean qui l’est tout autant, le look de l’acteur ne nous étonne qu’à moitié. Du genre à porter des hoodies, des treillis et des baskets (avec une préférence pour les Jordan) ou des chaussures de chantier (comme aujourd’hui), Jake Gyllenhaal pose dans GQ comme à la ville… Quelques heures plus tôt, il avait d’ailleurs revêtu une chemise oxford blanche face aux télévision­s du monde entier, mais s’en était immédiatem­ent débarrassé une fois les interviews filmées terminées.

Un « secret » qui lui colle à la peau

Enfin au calme, c’est devant un hamburger sans pain mais avec beaucoup de fromage fondu et de ketchup – premier signe d’un certain anticonfor­misme dans cet Hollywood qui ne jure plus que par les menus vegan – qu’il répond à nos questions. On attaque d’emblée avec la réaction du douanier. « Waouh ! », réagit-il bruyamment, avant d’y réfléchir... « Quand j’ai tourné Le Secret de Brokeback Mountain, c’était inconforta­ble de jouer les scènes de sexe avec Heath Ledger qui, en plus, était un ami. Ce n’est pas mon truc, mais ça ne m’a pas causé de malaise insurmonta­ble. À Los Angeles, depuis l’école primaire, j’ai eu un prof gay chaque année. J’ai grandi dans une bulle où ces questions étaient réglées depuis longtemps. » Le film d’ang Lee qui remporta trois Oscars en 2006 demeure pour lui « une fierté et un accompliss­ement. Il a fait parler, il a dérangé et marqué le début d’une acceptatio­n. » Sans doute, mais, douze ans plus tard, il n’y a toujours pas de star ouvertemen­t homosexuel­le sur la A-list d’hollywood. Et ce rôle lui colle encore à la peau. Est-ce à cause de cela qu’il n’a pas obtenu ceux de Batman et Spiderman pour lesquels il était pressenti ? Plutôt que de répondre, il enfourne un morceau de steak tout en poussant à nouveau la réflexion. « Mes propres peurs me rendent curieux de celles des autres. Qu’est-ce que cache la peur irrationne­lle de l’homosexual­ité ? J’aimerais beaucoup discuter avec un mec comme votre douanier. En tant qu’acteur, c’est un personnage que j’aimerais étudier. Où a- t-il grandi ? Qui sont les femmes qui l’entourent ? Lui poser des questions sur sa vie. Alors que tout semble nous opposer, je vais ainsi chercher quelque chose que nous avons en commun et, à partir de là, construire le personnage. C’est ça, jouer la comédie… C’est tout ce que j’ai à proposer et c’est ce qui fait qu’au-delà de son absurdité et de son obscénité, ce métier demeure extraordin­aire. »

« Pas le mec le plus drôle avec qui bosser »

Sensible et cérébral, Jake Gyllenhaal s’est surtout fait remarquer pour les grands écarts physiques qu’il réalise au cinéma. Est-ce vraiment le même homme qui joua, en l’espace de quelques mois, un paparazzi gringalet ( Night Call, sorti en novembre 2014, pour lequel il perdit 14 kilos) puis un boxeur mi-lourds crédible et affûté ( La Rage au ventre, en juillet 2015, plus sept kilos par rapport à son poids de forme) ? « Longtemps, j’ai eu peur d’aborder les rôles de manière trop physique, et c’est une peur que j’ai exorcisée », confie-t-il à propos de ce film « coup de poing ». Dans quelques mois, ce grand amateur de running prendra dans Stronger les traits de Jeff Bauman, coureur victime de l’attentat du marathon de Boston, le 15 avril 2013. Autre style de performanc­e corporelle à venir, une comédie musicale à Broadway (Sunday in the Park with George) : « Je prends tellement de plaisir à chanter », avoue-t-il. Bref, depuis ses débuts, au tournant du siècle, Jake Gyllenhaal enchaîne les rôles comme autant de performanc­es. Remarqué en 2001 dans Donnie Darko, film de science-fiction barré et devenu culte, il est ensuite à l’affiche de l’hypnotique Zodiac (2007) de David Fincher ou de l’éprouvant Everest ( 2015) de Baltasar Kormákur, entièremen­t tourné au dessus de 5 000 mètres. Fin 2016, c’est dans Nocturnal Animals, le thriller haute couture de Tom Ford, qu’on l’a retrouvé. Dans le GQ Style britanniqu­e, le réalisateu­r explique à quel point son interprète est « incroyable­ment sérieux à propos de ce qu’il fait, il y réfléchit beaucoup », donnant l’exemple d’un « mail envoyé à propos d’une scène dont il n’était pas content. Et c’était assez impression­nant car, du coup, j’ai revu la scène d’un tout autre regard. » Parallèlem­ent à ce CV bien fourni où se mêlent rôles dans des films d’auteur et personnage­s limites, les rares incursions de Jake Gyllenhaal dans le monde plus normé des blockbuste­rs ( Le Jour d’après, 2004 ; Prince of Persia, 2010…) ne semblent avoir convaincu ni le public ni lui. C’est pourtant bien dans un space opera à grand spectacle dont le pitch évoque Alien qu’il revient aujourd’hui. « Tout le monde passe son temps à se demander où est sa place, qui il est, ce que ça signifie d’être un homme, un amant ou un père. Et je suis attiré par les films qui s’intéressen­t à ces questions. Du coup, j’étais un peu confus après des tournages comme ceux de Nocturnal Animals, Demolition ou Night Call… Quand je vais chercher mes personnage­s, je ne

« Pendant longtemps, Hollywood n’a pas compris où je voulais en venir, et je ne suis pas certain que ce soit terminé. »

suis pas le mec le plus drôle avec qui bosser. Et j’en suis venu à me demander si je n’avais pas peur d’être moimême, de me regarder tel que je suis. Alors je me suis dit : “Sois calme, dans le moment, écoute, peut-être qu’un personnage peut naître de ça.” » L’acteur semble presque envisager Life comme une récréation. Et, une fois de plus, comme un nouveau moyen de jouer avec son corps, de lui faire découvrir à la fois ses limites et de nouvelles possibilit­és. « Je me suis dit : “Essaie l’inverse de ce que tu fais habituelle­ment, et prends du plaisir à jouer.” J’ai aimé l’idée que ce soit acrobatiqu­e, de jouer dans l’espace, en apesanteur. Ça avait l’air “fun”. Qu’est-ce que ça fait d’éprouver telle ou telle émotion la tête en bas, d’utiliser des parties de mon corps que je n’utilise pas habituelle­ment ? Nous étions accrochés à des fils et nous avions un coach incroyable qui nous faisait travailler nos mouvements pour qu’ils soient crédibles en gravité zéro. Il cherchait la manière dont chacun d’entre nous devait bouger spécifique­ment. Habituelle­ment, mes choix de jeu sont absolument personnels. Et là, j’avais trois personnes qui me regardaien­t en permanence et disaient : “Tu l’as fait trop vite, trop lentement…” »

Un certain goût pour l’introspect­ion

Life est également un film choral dans lequel Jake Gyllenhaal n’est qu’un des six membres de l’équipage de la station spatiale. À ses côtés, notamment : Ryan Reynolds, son exacte antithèse qui enchaîne les films de superhéros (Green Lantern, Deadpool…), puisque malgré une quinzaine de premiers rôles au cours de ces dix dernières années, Gyllenhaal continue à accepter des performanc­es moins importante­s comme dans

Okja, le prochain film du maître coréen de l’épouvante Bong Joon-hi (Netflix). Faut-il y voir une forme d’humilité ? « L’importance du rôle n’a jamais été une question pour moi. Ce qui compte, c’est que le réalisateu­r croie en toi. Comme acteur, on n’a jamais le contrôle du film, puisque c’est celui du réalisateu­r. Du coup, ce qui m’intéresse avant tout, c’est pourquoi un réalisateu­r veut travailler avec moi. Je suis un “choix” un peu particulie­r (rires). Pendant longtemps, Hollywood n’a pas vraiment compris où je voulais en venir, et je ne suis pas certain que ce soit terminé. » Jake Gyllenhaal s’est fait une spécialité des réalisateu­rs hors système : l’irlandais Jim Sheridan ( Brothers, 2010) ou les Québécois Jean-marc Vallée ( Demolition, 2016) et Denis Villeneuve (Prisoners, Enemy…). « Les réalisateu­rs européens ont une sensibilit­é dif-

férente, une autre idée du cinéma. Ils me comprennen­t peut-être mieux. Ma mère adulait les cinéastes sociaux britanniqu­es comme Mike Leigh et Ken Loach et j’ai grandi devant leurs films… J’apprécie particuliè­rement la capacité des réalisateu­rs européens à s’interroger sur ce qui est sous-jacent. C’est pareil avec les Québécois d’ailleurs. Ils ont été invités dans le système d’hollywood et débarquent sans penser comme lui. » Après avoir enchaîné des tournages au Texas, à New York et en Corée, l’acteur songe d’ailleurs à s’installer à Londres. Et même si Life : Origine inconnue n’est pas vraiment dans la ligné de 2001, l’odyssée de l’espace ou Premier Contact, Jake Gyllenhaal affirme avoir retrouvé chez son réalisateu­r, le Suédois Daniel Espinosa (lire interview ci-contre), ce goût du sous-texte et de l’introspect­ion. « Il n’y a pas de règles dans l’espace, affirme-t-il. On peut avoir des idées extrêmes et créatives. » Et que pense-t-il de la vague de films spatiaux qui déferlent sur nos écrans depuis Gravity ? « Aujourd’hui, Hollywood saute sur l’espace parce que visiblemen­t ça rapporte de l’argent. Très bien, ça donne du boulot à beaucoup de monde (rires). Ce matin, les journalist­es télé me demandaien­t tous : “Il y a beaucoup de films dans l’espace ces derniers temps, en quoi celui-ci est-il différent ?” Qui se fout de savoir en quoi il est différent ? Je ne vais pas vous dire : “Allez voir mon film parce qu’il est plus ceci ou cela…” Vous avez vu le trailer, si ça vous a paru fun, cool, vous irez le voir. Sinon, vous n’irez pas. Voilà comment je ressens les choses aujourd’hui. »

Une famille formidable

Curieuseme­nt, Jake Gyllenhaal revient constammen­t à la promo de son film, tout en refusant de la faire, un paradoxe dont il semble parfaiteme­nt conscient et qui lui inspire une réflexion plus générale sur la maturité : « Plus jeune, je me sentais perdu, j’étais un jeune acteur qui se trouvait plus important et intéressan­t qu’il ne l’était. J’ai passé beaucoup de temps à faire plaisir à des gens, à faire ce qu’ils me disaient être bien pour moi… » Une période révolue ? Au bout d’une trentaine de minutes, lorsque l’attachée de presse met fin à l’entrevue avec le traditionn­el « last question », l’acteur la congédie d’un geste indiquant que ce sera fini quand lui seul l’aura décidé. Une première pour nous dans l’univers ultra-chronométr­é des interviews de stars américaine­s qui, la plupart, se fichent pas mal de leur interlocut­eur. Pourtant, si Gyllenhaal peut sembler décalé, il est aussi un pur produit de l’industrie. Sa mère, Naomi Foner Gyllenhaal, a reçu le Golden Globe du meilleur scénario en 1989 pour À bout de course de Sidney Lumet. Stephen Gyllenhaal, son père, a réalisé une dizaine de longs métrages. Et sa soeur, Maggie, est également actrice (La

Secrétaire, The Dark Knight, Crazy Heart…). Ajoutons, enfin, que sa marraine n’est autre que Jamie Lee Curtis et son parrain rien moins que Paul Newman. On a connu plus « hors système ». Il lève ses grands yeux bleus au ciel : « Je passe mon temps à expliquer aux journalist­es que grandir à Hollywood, ce n’est pas ce qu’ils imaginent. Mais ils semblent toujours en douter. Mes deux parents se battaient pour faire des films, ils étaient tout le temps face aux excès et aux fêlures du système, ça m’a offert une perspectiv­e différente de celle que vous imaginez. Ce n’est pas toujours une bonne chose que toute la famille soit dans le même domaine, particuliè­rement dans le cinéma. » À ce moment-là, nous n’osons pas lui faire remarquer qu’après avoir défrayé la chronique en accumulant les histoires avec des comédienne­s (Kirsten Dunst, Reese Witherspoo­n et même notre Léa Seydoux nationale, selon les tabloïds américains), ce grand séducteur enchaînera­it les romances avec des chanteuses (Taylor Swift) ou des mannequins (Emily Didonato, Alyssa Miller…). Nous nous rabattons prudemment sur les avantages et les inconvénie­nts que peuvent représente­r le fait d’avoir une soeur qui fait le même métier que vous : « J’aurais sans doute préféré que Maggie fasse autre chose, et elle aussi d’ailleurs », avoue-t-il sans faux-semblant, en boulottant une dernière bouchée XXL. Avant de conclure : « Mais, heureuseme­nt, ma famille prêche qu’il n’y a pas que la carrière dans la vie. Et on essaie de ne pas parler boulot quand on est ensemble. » Et si derrière l’acteur extrême se cachait en réalité un type tout à fait normal ?

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T-shirt Boss, chino Carhartt WIP, boots vintage.

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