ET STEVE JOBS CRÉA LE SMARTPHONE
Enquête Lancé il y a dix ans par le cerveau d’apple, le smartphone a transfiguré notre quotidien et bouleversé l’économie de la téléphonie. Depuis, la guerre fait rage entre les principaux concurrents Apple, Samsung, Huawei... Histoire d’une révolution te
PALO ALTO, CALIFORNIE, 29 juin 2007. Steve Jobs, casquette de baseball vissée sur la tête, T- shirt noir à manches longues, jean stone et chemise de bûcheron nouée autour de la taille, déboule à la surprise générale dans l’apple Store. L’ambiance, déjà électrique, tourne à l’hystérie. « La foule l’accueillit tel Moïse venant acheter la Bible » , raconte Walter Isaacson dans son ouvrage consacré au patron d’apple ( Steve Jobs, éditions JC Lattès, 2011). Transcendées, des centaines de personnes font la queue depuis plusieurs heures devant le magasin pour… un téléphone, « le téléphone de Jésus » comme l’appelaient les blogueurs de l’époque. Six mois plus tôt, Apple avait annoncé fièrement l’arrivée de son premier téléphone portable sur le marché au cours du Macworld Expo, grand- messe annuelle de la f irme de Cupertino. Jobs promettait une révolution, une de plus : « De temps à autre, un produit révolutionnaire naît et change la face du monde : le premier Macintosh a révolutionné l ’ informatique (1984,ndlr), le premier ipod a révolutionné la musique (2001,ndlr). Aujourd’hui, nous vous présentons trois produits révolutionnaires : un ipod, avec un grand écran, un téléphone portable et un appareil de communication Internet. » Avant de scotcher l’assistance : « Vous comprenez ? Ce ne sont pas trois appareils mais un seul et unique appareil. » Ainsi naquit l’iphone au terme d’une keynote historique. Dix ans plus tard, l ’ iphone est devenu le smartphone le plus connu du monde. Ses différentes éditions – un nouveau modèle présenté chaque année depuis 2007 – se sont écoulées à plus d’un milliard d’unités, seuil atteint en juillet 2016. Tim Cook, successeur de Steve Jobs à la tête d’apple en 2011, se félicitait alors : « Nous n’avons jamais cherché à vendre un maximum d’iphone, mais nous avons toujours essayé de faire les meilleurs produits, ceux qui font la différence. Merci aux équipes d’apple d’aider le monde à changer chaque jour. » Les ingénieurs, développeurs et techniciens d’apple ont été les premiers à proposer aux utilisateurs un appareil avec écran tactile qui permette de téléphoner, envoyer des messages, lire des mails, écouter de la musique, naviguer sur Internet, prendre des photos, jouer aux jeux vidéo, se repérer dans une ville…
UN VÉRITABLE ORDINATEUR personnel à porter sur soi. « L’iphone c’est comme avoir votre vie dans votre poche » , expliquait Jobs en janvier 2007. Visionnaire donc, alors qu’en 2016, 1,48 milliard de smartphones toutes marques confondues ont été v endus dans le monde selon IDC. Une progression de 2,3 % certes plus faible que les années précédentes mais déjà promise à une hausse en 2017 et 2018
Symbole du XXE siècle et du Web 2.0, le phénomène smartphone aurait pu, en fait, arriver un peu plus tôt. Un certain modèle Simon tente sa chance dès 1994 ( Simon pour « Simon says » l’équivalent de « Jacques a dit » en France). Création D’IBM, cet appareil doit être considéré comme le pionnier des smartphones de l’histoire, car il fut le premier à offrir un écran tactile et monochrome. Ce dernier mesurait 4,5 pouces avec une résolution 293x160 pixels alors qu’aujourd’hui le Full HD compte 1920x1080 pixels. Doté d’un processeur 16 MHZ, le Simon, qui pouvait recevoir des fax et des mails, embarquait des applications comme un agenda, un calendrier, la liste des contacts, un logiciel de prise de notes ( avec le stylet fourni), des jeux, la cartographie… Comme le Communicator de Nokia sorti en 1996, le Simon, trop massif ( il mesurait 23 cm de haut et pesait 500 g), trop en avance ( pas de 3G, ni de 4G mais du GPRS et des réseaux de télécommunication qui ne s’étendaient pas sur toute la planète), trop chiche en batterie ( une heure d’autonomie) et trop cher ( 899 dollars en 1984), suscite l’indifférence quasi générale. IBM n’en vend que 50 000. Ou quand le must technologique se transforme en flop marketing… À la f in des années 1990, les petits cellulaires comme les Nokia 3310, Motorola STARTAC et Sony Ericsson T28 remportent tous les suffrages. Le jeu Snake, le clapet et les petites antennes qui dépassent sont à la mode. Les photos ultra- pixellisées aussi. C’est le temps de l’insouciance téléphonique, les appareils coûtent encore cher mais ne contiennent pas tous nos secrets comme aujourd’hui. Ça, c’était avant l’iphone. Ce smartphone miniaturise la technologie connue et fait du téléphone un objet dont plus personne ne peut se passer. Plus indispensable qu’une voiture, plus vitale qu’une carte de crédit, plus fort même que les drogues douces et l ’ alcool. La preuve, une étude américaine parue dans le New York Times en 2016 indique que les adolescents consommeraient moins d’alcool et de tabac, en partie grâce aux smartphones, puisque « l ’ utilisation de ces derniers a explosé au mo- ment où l’usage des drogues a diminué » . Certains experts y voient là une sensation de bien- être ou de dépendance grâce aux smartphones, notamment concernant les jeux vidéo. Le gaming comme thérapie de sevrage ? Il fallait y penser. Plusieurs études démontrent également que les utilisateurs passent aujourd’hui plus de temps à consulter leur smartphone qu’à regarder la télé ou qu’à s’alimenter… La « faute » aux réseaux sociaux notamment, dont Facebook qui prend son essor international précisément en 2007. En créant l’iphone, Steve Jobs voulait d’abord éviter que son produit phare d’alors, l’ipod, ne soit cannibalisé par le téléphone mobile comme l’appareil photo était en passe de l’être. L’arrivée du smartphone a en réalité tout changé, remettant les compteurs de la high- tech à zéro. Motorola, inventeur du premier téléphone mobile commercialisé en 1984 pour l’équivalent de 7 000 euros – le DYNATAC 8000X de Michael
En créant l’iphone, Steve Jobs voulait surtout éviter que l’ipod ne soit cannibalisé par le téléphone mobile.
Douglas dans Wall Street en 1987 – entame son déclin, alors que Nokia ou Sony Ericsson, qui dominaient le marché, ne suivent pas le mouvement du grand écran tactile, ni du clavier virtuel ni de la multiplicité des tâches. Blackberry obtient un répit à près de 20 % de parts de marché en 2009 grâce à son clavier physique et à la consultation des mails plébiscités par les pros, avant de disparaître des écrans radars. Pendant ce temps, le géant Samsung tisse tranquillement sa toile. Intercalé alors dans le trio star des mobiles ( 3e en 2006, 2e en 2007), le conglomérat sud- coréen a investi plusieurs milliards dans les téléphones. Entre 2008 et 2009, les modèles Player ( Style, Addict, Pixon, Ultra et Star), à écran tactile et sans clavier physique, dits « multimédia » constituent les prémices du smartphone. Conscient que cet objet qui tient dans la main offre un véritable statut social et permet d’équiper en Internet des millions d’utilisateurs jusque- là exclus des réseaux de communication classiques, Samsung sort ses premiers téléphones intelligents en juin 2010, le Galaxy S avec un système Android développé par Google et le Wave doté du système d’exploitation maison Bada ( remplacé en 2014 par Tizen). De son vivant, Steve jobs fulminait contre ce qu’il considérait comme un plagiat de Google, avant qu’apple ne porte ses attaques juridiques directement contre le fabricant coréen. Depuis, le feuilleton