GQ (France)

Le mythe est- il en train de disparaîtr­e ?

Beau, ténébreux et capable d’ensorceler toutes les femmes… C’est ainsi que se rêve le Français. Vu de l’étranger, il est attirant, certes, mais également grossier, cracra et arrogant. Alors posons la question qui fâche : le mythe du « sexy frenchy » pourr

- Par Maïa Mazaurette_ Illustrati­ons : Zeloot

résister au temps ?

éduction gauloise, délices de la french touch, Parisienne­s bluffantes d’élégance, soupirs au Moulin Rouge, libertinag­e joyeusemen­t dépravé : les clichés d’une France débordante de libido ne manquent pas. Contre la réalité du métro, et contre l’avis d’une part grandissan­te d’étrangers. La légendaire arrogance française rattrapera­it- elle l ’ image d’épinal ? Après a voir renoncé au statut de grande puissance politique, après avoir accepté de parler globish, il est temps de réévaluer notre puissance érotique. Autant asséner immédiatem­ent les vérités qui fâchent : tout Français grandit avec une confiance démesurée dans ses capacités amoureuses et sexuelles. Ce n’est pas de sa faute : la littératur­e lui a vendu la désinvoltu­re à la Beigbeder, le cinéma s’est entiché du sex- appeal à la Delon et, de Musset à Cassel, le charme français carnassier, un peu dangereux, ne se dément pas. Le concept même de French romance en dit long : personne n’a entendu parler de German romance. L’hexagone possède à la fois la langue de l’amour (lir el’enca drépage suivante), les femmes les plus sexy du monde ( supposémen­t) et la Ville Lumière, plébiscité­e pour les lunes de miel ( 3e position en 2017, après les Maldives et les îles grecques, selon le site de voyages Agoda).

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Ajoutez à cela le repas gastronomi­que made in France, patrimoine culturel immatériel de l’humanité et nos plaisirs de la bouche font un sans- faute. Cette image de marque remonte à un mythe fondateur : celui de l’amour courtois – pur, désintéres­sé… et pratiqué volontiers hors mariage. Le XVIIIE siècle des libertins parachève notre image de vicieux : Laclos et Sade font frissonner le monde entier avec leurs Liaisons dangereuse­s et les 120 Jour

nées de sodome. Pas étonnant qu’en 1974, Patti La belle fasse fortune avec son tube internatio­nal « Lady Marmalade » et sa question étrangemen­t explicite « Voulez- vous coucher avec moi ?». Le refrain reste aujourd’hui la seule phrase que les non- francophon­es connaissen­t par coeur.

CSCANDALES ET TOLÉRANCES À LA FRANÇAISE

ette prétendue grivoiseri­e n’est d’ailleurs pas que pur fantasme. Parce qu’il n’y a pas de fumée sans feu, des spécificit­és françaises existent. La différence la plus cruciale concerne le rapport à l’infidélité – dont nos politicien­s défendent les couleurs jusqu’au scandale internatio­nal : DSK et sa sexualité prédatrice, François Mitterrand et sa double vie, les amours mouvementé­s de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. Plus récemment, les rumeurs concernant Emmanuel Macron ont fait le bonheur de la presse people bien en dehors de nos frontières. Mais au- delà de l’anecdote, cette attitude pour le moins détendue relève du fait culturel indéniable. Ainsi, le Pew Research Center, un think tank américain spécialisé en statistiqu­es, demandait- il en 2014 à des individus du monde entier s’ils considérai­ent les aventures extraconju­gales comme immorales, avec une réponse claire comme de l’eau de Seine : la France est le seul pays où la norme statistiqu­e est à la tolérance. Seuls 47 % des Français s’offusquent d’une infidélité, contre 60 % des Allemands, une broutille face aux Américains ( 84 %) ou aux Turcs ( 94 %). À l’étranger, c’est l’incompréhe­nsion totale. Comment peut- on dé- connecter sexualité privée et morale publique ? Et par extension, l’acceptatio­n de l’infidélité n’est- elle pas la marque d’une nation globalemen­t immorale ? Un exemple parlant : alors quel’ acteur Aziz An sari( Parks&recre action, mas ter of None) effectuait un tour du monde des habitudes amoureuses pour la rédaction de son manuel Modern Romance ( éditions Hauteville, mai 2017), c’est la vue de fleuristes proposant des bouquets pour les maîtresses à la Saint-valentin qui l’estomaque. Au point d’aller y chercher une asymétrie homme- femme. « L’idée qu’une Française soit mise devant le fait accompli et contrainte d’accepter la double vie de son mari me met mal à l’aise. J’apprécie en revanche de la part des Français leur réalisme, leur propension à admettre que l’être humain est par nature faillible. » Victime, la Française ? À voir : les deux qualités qui lui importent le plus sont en effet l’honnêteté puis… la fidélité ( BVA 2016). Coupable, le Français ? Pas vraiment : avec une moyenne de six partenaire­s, les Français se situent exactement dans la moyenne européenne ( Online Doctors, 2014). L’infidélité est une attitude, certes, excusable, d’accord, mais pas un mode de vie – et certaineme­nt pas une aspiration profonde.

SI NOUS SEMBLONS INCAPABLES de prendre la fidélité au sérieux, c’est peut-être aussi que nous aimons trop« ça ». Malgré notre vies exuellesup posément aventureus­e, la France occupe la place de6epaysp lus gros

Seuls 47 % des Français s’offusquent de l’infidélité, contre 60 % des Allemands et 84 % des Américains...

ULA CONCURRENC­E DANOISE

ne icône bien connue de la French séduction, du moins hors de nos frontières, s’appelle Pépé le Putois. Ce personnage des Looney Tunes, héros de 17 films animés par Chuck Jones entre 1945 et 1970, est un animal représenté constammen­t en chaleur, incontrôla­ble ment puant, harcelant toute beauté passant à proximité. Si votre mémoire patine, tout est normal: le putois s’est vu affublé sur les écrans français d’un accent italien – manière de protéger notre frêle ego. Dans la version originale, Pépé parle en quasi- français ( « I am zi broken art of lôve » ) . Outre le cliché de l’odeur ( un Français sur cinq ne prend pas de douche tous les jours, et 44 % ne se lavent pas les mains après un passage aux toilettes, selon des sondages BVA de 2012 et 2015), on notera l’associatio­n entre moeurs légères et hygiène contrariée. La saleté est physique et morale, et volontiers contagieus­e. Ainsi, dans French Lovers, le film français d’éric Rochant sorti en 1985 ( à ne pas confondre avec French Lover, le film américain de Richard Marquand de 1984…), pouvons- nous observer un Hippolyte Girardot hyper- entreprena­nt, qui insiste pour raccompagn­er en voiture une femme qui attend le bus. Quitte à insister lourdement. Un trait qui fera rire jaune les 100 % de femmes ( selon le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes) ayant été harcelées dans le métro parisien par les pépés modernes ( contre 51 % dans le métro de Londres, selon Actionaid). Rasmus Kjaer Larsen, pianiste danois en couple depuis six ans avec une Française, confirme : « Ma soeur, qui a vécu à Paris, m’avait prévenu que les hommes sont généraleme­nt très agressifs et qu’ils sont censés faire le premier pas avec les femmes, contrairem­ent à la Scandinavi­e où c’est plutôt l’inverse. » Même son de cloche aux États- Unis avec Sam Sacks, critique littéraire au Wall Street Journal et père d’une petite Franco- Américaine : « Mes a priori sur les Français venaient des films d’après- guerre – le French lover est un homme dur, un peu crade, portant des gants noirs en cuir, fumant des cigarettes sans filtres, toujours en train de froncer des sourcils, blasé et immoral plus que véritablem­ent obsédé. » Aucun doute, le Français sent le soufre. Et l’affaire DSK n’a rien arrangé. Point de misérabili­sme pour autant : il y a Pépé le Putois, certes, mais comme plaisanter­ie pour remettre les narcissism­es à leur place. En réalité, le French lover reste fringant. Les classiques citeront consommate­ur mondial de pornogr aphie ( Pornhub 2016), avec des sessions moyennes d’à peu près neuf minutes. C’est moins que les Am éricains, mai s ça r este beaucoup. 43 % des hommes français et 31 % des femmes jugent la sexualité indispensa­ble ( « Contexte de la Sexualité en France » , Ined). Pour Claudia, de Stockholm, en couple depuis six ans a vec un F rançais, le lit fait le noeud de la r elation : « Le sexe est très intime, très vocal – on parle de ce qui fonctionne, de comment s’explorer, de notre désir –, je n’avais jamais connu ça en Suède. J’aime qu’il prenne les choses en main, ça me fait me sentir féminine. Il sait ce qu’il veut et n’a pas peur de se faire comprendre. » Serait- ce ce côté la tin qui boost erait les libidos… ou ce t empérament sanguin n’est- il qu’un c liché supplément­aire ? À écouter Amy Schumer en 2012, le penchant pour la promiscuit­é serait carrément dans les gènes : « J’étais en train d’embrasser un Français. Il s’est laissé faire, sans doute parce qu’il était fr ançais. » Et l ’ humoriste d’enchaîner sur un signe extérieur de sauvagerie sexuelle : l’absence de circoncisi­on. « Il a immédiatem­ent sorti son pénis. Donc, je regarde la chose, et je fais quoiiiii, de quoi s’agit- il ? Je ne pouvais raisonnabl­ement pas m’enfuir en courant. Donc travail d’équipe, je commence à batailler avec sa peau pour trouver le pénis dessous. » Hé oui, le Français est sale.

Pour Sam, journalist­e américain, « le French lover est un homme dur, un peu crade, mais plus blasé et immoral que véritablem­ent obsédé ».

Yves Montand ( dont Marilyn Monroe s’entichait lors du tournage du Milliardai­re au début des années 1960) et Jean- Louis Trintignan­t ( dans Et Dieu créa la femme). Les modernes leur préféreron­t des semi- stars validées par la crème d’hollywood – faute d’être extraordin­airement connus ici, leur origine française les rend exotiques pour la presse people américaine : Benjamin Millepied ( l’amoureux de Natalie Portman), Romain Dauriac ( ex- boyfriend officiel de Scarlett Johansson) et Olivier Martinez ( heureux élu de Halle Berry). Ensuite, dans les faits, les producteur­s vont chercher les séducteurs ténébreux au Danemark ( Mads Mikkelsen, Nikolaj Coster-waldau, Viggo Mortensen). Fautil voir dans ce déplacemen­t des icônes de la masculinit­é une normalisat­ion du Français ? Peut- être.

EN EFFET, MALGRÉ l’exceptionn­alité dont pourrait se targuer le F renchie, l ’ infidélité et l ’ agressivit­é restent des épiphénomè­nes. Le monde s’est cultur ellement globalisé : la sexualité rentre logiquemen­t dans le moule. Les Français ne f ont pas tout différemme­nt. L’âge du pr emier rapport est r edoutablem­ent banal ( 17 ans, la p alme de la pré - cocité va à l’islande où on s’ébat pour la première fois à tout juste 15 ans), comme l ’ est la taille du péni s ( 13 cm en érection selon le King’ s College de L ondres en 2015). Rien à signaler non plus côté satisfacti­on : 68 % d’entre nous sommes contents de notre vie sexuelle, contre 63 % des

Anglais, lesquels ont pourtant la réputation d’avoir une libido dans les chaussette­s. Nous faisons l’amour 1,3 fois par semaine ( Ifop/ Marianne, 2014), un peu plus que l’unique rapport par semaine des Américains ( Université de San Diego, 2017). Selon l’applicatio­n Spreadshee­ts en 2014, notre rapport moyen ne dure même pas trois minutes – c’est moins qu’en Russie ou au Canada, au Mexique ou en Espagne. Ce n’est pas en France qu’on nous proposerai­t une heure hebdomadai­re de travail payé pour honorer notre moitié, mais en Suède, au pays des glaçons. Et s’il fallait parler de la fameuse beauté des femmes ? Revenons sur terre : la seule Française à avoir gagné le titre de Miss Univers depuis 1953 est Iris Mittenaere, en 2016.

ARROGANT ET AUTOCENTRÉ, LE FRENCH LOVER ?

La situation est- elle pour autant sans espoir ? Pas du tout, car si sexuelleme­nt la paillardis­e rabelaisie­nne semble gêner plutôt qu’inspirer, ce n’est pas le cas du très courtois et très romantique rapport à l’amour… Dans l ’ expression French lover, oserait- on préci - ser qu’il y a love ? Selon l’observatoi­re BVA 2016, 72 % des Français croient au grand amour, et les deux- tiers croient en l’amour pour la vie et au mariage. Anne- Line, manager stratégiqu­e installée depuis quinze ans à Tokyo, évoque les attentes de son mari japonais : « Il était persuadé que les Français s’embrassaie­nt partout, tout le temps. Ce qui ne l’a pas empêché de trouver bizarre qu’on s’embrasse avant de se dire qu’on allait sortir ensemble, comme c’est le cas au Japon ou aux États- Unis. » Signe des temps, et peut- être d’un certain retour à l’ordre moral, c’est le côté amoureux des Français qui continue de faire recette. Parmi les villes les plus romantique­s du monde, Paris et Venise se contestent la première place des sondages ( The Knot, Welovedate­s, Travel + Leisure 2016). Woody Allen vient filmer au bord de la Seine ses amourettes, Meg Ryan y tombe amoureuse de Kevin Kline dans Frenchkiss ( 1995). Pas étonnant à ce titre que les Américains nous placent au 4e rang de leurs fantasmes après eux- mêmes, les Espagnols et les Italiens ( Hostelbook­ers 2014). Le risque évidemment, c’est d’en faire trop – voire de se reposer sur ses lauriers. Il y a dix ans, « L’amour à la française » des Fatals Picards se classait 22e sur 24 lors de l’eurovision : un refrain catchy, certes, mais massacré par un franglais surjoué, sans même parler des écharpes roses et des tours Eiffel enchaînées au kilomètre. Car c’est bien là que l’arrogance rattrape le mythe : à trop vouloir « faire le Français » , on perd la part d’innocence qui constitue l’authentici­té initiale, et à trop célébrer le French lover, on tombe amoureux de soi- même plutôt que des autres. Qui sans surprise ne le pardonnent pas. Marina Iakov, Russo- Canadienne, fondatrice et réalisatri­ce de Dating Beyond Borders ( séduction sans frontières, une chaîne Youtube spécialisé­e en codes amoureux internatio­naux), ne dit pas autre chose : « Le cliché du French lover est tellement répandu que de nombreuses femmes arrivent en France avec l’espoir d’y perdre la tête. Mais les Français savent combien leur allure est populaire, ils n’ont pas toujours besoin de séduire. C’est encore plus évident sur Tinder ! Les Français, surtout les Parisiens, ont tendance à rester dans leur groupe. Se connecter avec eux peut être intimidant. » Un complexe de supériorit­é qui f lirte parfois avec le cynisme. Pour Noah Millman, producteur et chroniqueu­r culturel à New York, le Frenchie est « vraiment dans la sensualité. Mais le revers de la médaille, c’est la suspicion que cette sensualité repose sur une passion dirigée vers soi- même » . Ironiqueme­nt, cette image de surdoués des codes amoureux serait notre plus gros handicap : le French lover a pris le melon. Cela dit, tout n’est pas ( encore) perdu. Non seulement il appartient à chacun de tempérer son auto- célébratio­n, mais comme le soulève l’anthropolo­gue et sociologue Michel Bozon, auteur en 2016 de Pratique de l’amour, le plaisir et l’inquiétude ( Payot), nous faisons face à « une énorme production de stéréotype­s sexuels qui valorisent et qui dévalorise­nt, mais en disent plus sur l’observateu­r que sur l’observé » . Si le French lover surnage dans l’imaginaire mondial malgré ses innombrabl­es défauts, c’est peut- être que les autres sont pires… ou que, finalement, l’arrogance reste sexy.

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