GQ (France)

Le rosé réhabilité.

« Piquette », « boisson pour filles »... Ce vin n’a jamais vraiment convaincu les experts autoprocla­més. Pourtant, de nombreux producteur­s offrent aujourd’hui des variétés d’excellente facture. Osez le rosé !

- Par Antonin Iommi- Amunategui Photograph­e : Paul Rousteau

L

E ROSÉ A LONGTEMPS EU mauvaise réputation. On l’a considéré comme un sous- vin, à deux pas de la piquette, tout juste bon pour les b arbecues de seconde zone. Les plus snobs lâchant, péremptoir­es : « Ceci n’est pas du vin. » Le commun des mortels lui a aussi collé l’image de « vin de piscine » , on l’a servi avec des glaçons, on a travaillé sa couleur comme on markète la couleur des saumons de supermarch­é… Ces mêmes supermarch­és où l’on retrouve, chaque été, des cubis de rosé bas de gamme que la critique américaine Alice Feiring détruit dans son dernier livre, Skin

Contact ( éd. Nouriturfu) : « Artificiel, produit en masse, fort en soufre. Rien qu’à l’odeur, je savais déjà que le vin aurait le goût d’un concombre oublié pendant des semaines dans les entrailles d’un réfrigérat­eur. » Longtemps malmené, le rosé a toujours été la quatrième roue du tricycle, loin derrière le rouge, le blanc… et même le vin orange, ce vin blanc tellement macéré qu’il prend des teintes ambrées. Mais une petite révolution s’opère et il n’y aura peut- être bientôt plus que Marine Le Pen pour dire que le rosé est « un vin de nana » , comme on a pu l’entendre dans les allées du Salon de l’agricultur­e cette année.

LE ROSÉ POSSÈDE UN ATOUT COLOSSAL. Anne Zunino, caviste au Lieu du Vin ( Paris 20e) nous le rappelle : « Il a une image de vin plus léger. C’est souvent un vin simple, accessible, idéal pour se désaltérer. » La force du rosé est donc tout simplement d’être la bière du vin ! Contrecoup évident, c’est un vin saisonnier : « Le rosé ne représente

que 1 % de nos ventes hors saison. Mais quand le printemps est là, et tout l’été, les ventes grimpent à 15 %. » Il y a un rosé à part, précise la caviste : « Le champagne rosé est associé au festif, on en vend toutes les semaines. » Bière du vin ou champagne ? Ce grand écart est la preuve que le rosé a quelques bons coups à jouer. Côté chiffres, l’observatoi­re Franceagri­mer constate que la consommati­on de vins rosés dans le monde représente 10 % de la consommati­on globale, « un chiffre en progressio­n alors même que la consommati­on mondiale de vins stagne » . Le plus gros consommate­ur de rosés ? La France, de loin, avec huit millions d’hectolitre­s engloutis par an, soit un tiers de la production mondiale. Le rosé serait- il notre petit vice honteux : on le critique mais on en boit plein en douce ? Il y a de ça. Mais depuis qu’il a acquis un statut chic, on l’assume mieux.

DEUX AMATEURS ÉCLAIRÉS nous le confirment. Yuko et Gaël débouchent ce qui se fait de mieux en matière de rosé. Yuko l’assure : « Le rosé ça s’accorde plutôt bien avec tout, c’est sa force. » Pour Gaël, « les rosés ne sont pas des sous- vins, c’est clair et net » . Et ils n’hésitent pas à se faire plaisir : « Tu as vraiment une qualité différente quand tu passes la barre des dix euros. On n’a pas de mal à mettre 25 euros dans une bouteille. » De fait, des r osés à 10, 15 voire 25 euros – et qui v alent ce prix en bouche – commencent à fleurir à travers le vignoble. Vincent Bonnal, dans le Languedoc, réalise un rosé de macération (voir encadré). Il a appelé son vin Brosé, jeux de mots mêlant « bro » ( frangin, en anglais) et « rosé » . Clin d’oeil au « marketing masculinis­te en vogue aux USA » pour mieux vendre du rosé à la population mâle d’un pays « qui y voit une boisson de fille » ( comme Marine). L’idée de vin « genré » ayant tendance à agacer ce vigneron, il a décidé de la tourner en dérision mais son vin est surtout typique d’une nouvelle génération de rosés, en décalage complet avec la production de masse : plus coloré et « encore meilleur après quelques années de vieillisse­ment » . En effet, les rosés aujourd’hui ne sont pas tous conçus pour être bus dans les six mois, mais, comme les meilleurs vins, ils peuvent se faire attendre. Les tavels d’éric Pfifferlin­g ( Domaine de l’anglore) sont ainsi considérés comme de grands vins – au- delà de leur couleur rose. Et on peut énumérer bien d’autres appellatio­ns prestigieu­ses pour le rosé : Bandol, Cassis, Bellet, Rosé des Riceys… En Provence, on retrouve Philippe Pouchet et Marie Lottin. Au Château Bas, ils créent certains des meilleurs rosés de la région ( et donc du monde). Avec des vins qui peuvent parfois se bonifier sur plus de dix ans. Pour Philippe, il ne s’agit pas de faire du vin plus lentement, mais « avec moins d’interventi­ons » . Dans quel but ? « Ce type de vin représente le chaînon manquant entre les blancs solides et les rouges légers. Ils ont leur place dans l’univers culinaire moderne. » Même l’interprofe­ssion commence à s’intéresser à ces rosés rares : elle leur a demandé d’accueillir pas un, ni deux, mais six journalist­es américains, qui ont eu droit à une verticale, remontant aussi loin que le millésime 1998… Alors, y a- t- il encore lieu de douter du potentiel de ce vin ? Le fait est que les rosés de volume industriel connaissen­t, de leur côté, un bel essor, avec, pour la Provence, un bond de 9 % du chiffre d’affaires sur un an et un triple- saut de 23 % à l’export. Ils représente­nt donc un concurrent pour les rosés d’artisans comme ceux du Château Bas, pensés pour la garde ou la gastronomi­e. Concurrenc­e positive ? On peut l’espérer : cette réussite des vins d’entrée de gamme pouvant attiser la curiosité des buveurs pour les rosés élégants, comme ceux de Marie, Philippe, Vincent et les autres.

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