GQ (France)

120 MINUTES AVEC...

Le temps d’un match amical entre la France et l’angleterre, GQ a suivi Grégoire Margotton, voix (rauque) du foot sur TF1 qui fut longtemps, sur Canal +, celle des dimanches soirs de Ligue 1. Rencontre avec le meilleur commentate­ur de sa génération.

- Par Jérémy Patrelle_ Photograph­ies Bastien Lattanzio

Grégoire Margotton, le meilleur commentate­ur foot de France.

21H. EN CE MARDI 13 JUIN, Anglais et Français entonnent le « God Save the Queen » dans l ’ enceinte du Stade de France, rendant ainsi hommage aux victimes des attentats perpétrés à Londres et Manchester quelques jours plus tôt. Debout, en bas de la tribune de presse, Grégoire Margotton observe, ému, la fraternité de deux équipes qui, habituelle­ment, adorent se détester. Dans quelques secondes, le journalist­e de TF1 va connaître une autre émotion, plus personnell­e : commenter le premier France- Angleterre de sa vie, à 47 ans. Un comble pour « l’anglais de service » , surnom donné par ses collègues de Canal+ où il a travaillé vingt- quatre ans avant de rejoindre TF1 en mai 2016. Excité comme un gamin, le Lyonnais s’affranchit sans souci de la tache marronnass­e sur la manche de sa chemise blanche, qu’il cachera sous sa veste de costume noir. « France- Angleterre, c’est incroyable ! » s’extasie- t- il avant la rencontre, attablé à la cantine située dans les sous- sols du Stade de France. Dégustant son poisson- haricots verts- pommes de terre ( avant une tarte aux pommes et une panna cotta fruits rouges), il explique : « J’ai une sympathie particuliè­re pour l’ Allemagne puisque mon père est prof d’allemand, mais l’angleterre surclasse tout. Ce pays a changé ma vie. À 20 ans, j’ai fait un an d’études générales à Liverpool (traduction, politique, relations internatio­nales, droit... ndlr), puis j’ai intégré le CFJ (Centre de Formation des Journalist­es) car je parlais très bien la langue. À Canal, j’ai longtemps commenté le championna­t anglais. J’aime le ciel gris, les briques rouges, le caractère non conformist­e des Anglais, leurs peintres,

leurs groupes de musique. J’ai pris une telle claque en découvrant les Stones Roses ! »

DÉBUT DU MATCH. Dans ses commentair­es, nulle hésitation liée au contexte émotionnel. Le foot reprend ses droits et Margotton, casque sur la tête, enchaîne. Avec ce rythme, qu’il saccade à loisir sans altérer la f luidité, et cette précision journalist­ique chirurgica­le qui en font le boss du commentair­e foot. Pris en défaut sur le nom d’un défenseur anglais – « Stones » à la place de « Jones » – il se corrige l’air de rien puis sert sur un plateau Bixente Lizarazu, son consultant, pour ne pas trop occuper l’espace de sa voix familière. « Non » , répond- il simplement lorsque nous lui demandons s’il chauffe sa voix avant l’antenne. « Même quand je fumais, j’ai toujours eu la chance qu’elle soit intacte. »

21H50. Mi- temps. Il prend des notes sur son cahier A4 à spirales qu’il relisait conscienci­eusement au bord du terrain deux heures trente avant le match. Sur les pages à petits carreaux, des infos écrites en pattes de mouches sur tous les joueurs anglais, résultats de « deux jours de recherche sur d’obscurs sites anglais » . Il les relira à peine durant le match. Avec Liza, il mime les passements de jambes de la nouvelle star de l’équipe de France, Kylian Mbappé, puis débriefe la mi- temps avec la journalist­e Sylvaine Mignogna, pierre angulaire du foot sur TF1 depuis 1982.

22H05. Reprise du jeu. Après un petit ravalement de façade – il se maquille lui- même les jours de match – il reprend le rythme. Facile, en mode pilotage automatiqu­e d’un A380. En un an, les téléspecta­teurs ont enf in compris pourquoi Grégoire Margotton était considéré comme le meilleur commentate­ur de France*. Il craignait pourtant que son e xposition sur TF1 ne lui soit préjudicia­ble. « Je fais un meilleur score qu’il y a deux ans ( 47 % contre 43) alors que j’étais persuadé que mon image allait exploser, que j’allais en prendre plein la gueule. Pour les fans de foot, tu deviens persona nongrata quand tu rejoins TF1. L’image de la chaîne n’est peut- être pas si mauvaise… »

22H55. La France remporte le match 3- 2. « C’était vraiment bien. Que d’émotions ! » lâche- t- il après deux heures de direct. Sa besace noire Louis Vuitton en bandoulièr­e, il f ile dans les sous- sols du stade retrouver son taxi- moto, direction Boulogne- Billancour­t. Avant de nous serrer franchemen­t la main, la politique, domaine qu’il se voyait couvrir en tant que journalist­e avant de choisir le sport, se glisse dans la conversati­on lorsque nous évoquons la présence du président Macron dans les tribunes. « Dommage que je ne sois pas à mes débuts car lorsqu’il y a des périodes de redéfiniti­on complète, de recomposit­ion comme aujourd’hui, c’est génial. À Liverpool, le jour de mes 20 ans, le mur de Berlin tombait. C’était passionnan­t. Une sorte de fin du monde dans une Angleterre plongée dans ses problèmes avec Thatcher. » Une fois chez lui, il trouvera le sommeil vers deux heures du matin, comme après chaque match. Le temps que l’adrénaline retombe et d’écrire, peut- être, quelques lignes sur le prochain match à commenter dans son cahier à spirales qu’il gardera précieusem­ent. Comme tous les précédents.

 ??  ?? « Ah la la que d’émotions ! »
« Ah la la que d’émotions ! »
 ??  ?? L’HOMMAGE Au moment de l’hymne anglais, entonné en mémoire des victimes des attentats de Londres et Manchester.
L’HOMMAGE Au moment de l’hymne anglais, entonné en mémoire des victimes des attentats de Londres et Manchester.
 ??  ?? L’ANTENNE Ci- dessus, avec Bixente Lizarazu. Et s’il présentait un jour « Téléfoot » , qui fête ses 40 ans ? « Ce n’est pas mon but » , confie Grégoire.
L’ANTENNE Ci- dessus, avec Bixente Lizarazu. Et s’il présentait un jour « Téléfoot » , qui fête ses 40 ans ? « Ce n’est pas mon but » , confie Grégoire.
 ??  ?? AU SIÈGE DE TF1 « Je m’attendais à une machine inhumaine, dit le journalist­e à propos de TF1. Mais la chaîne a gardé des valeurs, comme la politesse, le respect... »
AU SIÈGE DE TF1 « Je m’attendais à une machine inhumaine, dit le journalist­e à propos de TF1. Mais la chaîne a gardé des valeurs, comme la politesse, le respect... »
 ??  ?? LE KIT Grégoire Margotton ne se sépare jamais de : son carnet de notes, son Stabilo rose, L’équipe du jour, un paquet de chewing- gums et un crayon à papier.
LE KIT Grégoire Margotton ne se sépare jamais de : son carnet de notes, son Stabilo rose, L’équipe du jour, un paquet de chewing- gums et un crayon à papier.

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