GQ (France)

Karl Geary : “Je pensais faire un bide...”

L’acteur et ex-mannequin irlandais redonne du souffle à sa carrière avec un premier roman époustoufl­ant.

- Par Élisabeth Philippe

C’ EST QU’IL POURRAIT devenir agaçant. À vous raconter la fois où il s’est retrouvé à tailler le bout de gras avec Lou Reed dans un diner ou celle où Sinead O’connor et Marianne Faithfull ont improvisé un boeuf dans son club du Lower East Side. Sauf que Karl Geary n’est vraiment pas du genre à plastronne­r. À 45 ans, il semble encore le premier amusé par son invraisemb­lable destin. À la fin des années 1980, l’irlande en crise n’offre aucun horizon à un gamin de 15 ans. Sans diplôme, sans rien, le jeune Karl quitte sa famille et Dublin pour tenter le rêve américain. Débarqué à New York, il commence comme coursier, puis gère le Sin- é, un bar où s’est produit Jeff Buckley. Avec sa belle gueule, Geary finit par faire le mannequin, pose lascivemen­t avec Madonna, apparaît dans Sex and the City et joue même au côté de son idole Peter Fonda dans Nadja ( 1994). « J’ai eu de la chance » , commente- t- il avec sincérité quand on le rencontre chez son éditeur à Paris. Oui, Karl Geary, admirateur de James Salter, est aussi écrivain et ce n’est en aucun cas un accident. Vera, son premier roman, s’impose comme un classique immédiat, une pure histoire d’amour à mi- chemin entre les films de Ken Loach et Le

Lauréat avec Dustin Hoffman ( 1967). Sonny, un ado issu d’une famille dublinoise working- class, s’éprend de la mystérieus­e Vera, une Anglaise plus âgée que lui. « Tout les sépare : l’âge, la nationalit­é, la classe sociale. Le sujet est ce qui les lie » , précise l’auteur.

ENTRE EUX, tout passe dans les silences, les regards, un mélange de brutalité et de pudeur. Également scénariste, Geary a le sens de la narration. Le roman est d’ailleurs en cours d’adaptation au cinéma ( Cate Blanchett serait parfaite en Vera). « Je pensais pourtant que je ferais un bide parce que le livre est écrit à la deuxième personne » , lâche Karl Geary. Mais ce « tu » renforce l’intimité entre le lecteur et Sonny. Son histoire devient la nôtre. Et en France, cette romance impossible résonne particuliè­rement si l’on songe aux remous graveleux provoqués par la différence d’âge entre Emmanuel et Brigitte Macron.

VER A,DEKARLGEAR­Y( TRADUIT DE L’ ANGLAIS PAR CÉLINE LEROY ),276 PAGES, RIVAGE S

« Ah la la que d’émotions ! »

GÉNÉRALEME­NT ASSOCIÉES à l’estivant en phase de décompress­ion stylistiqu­e terminale, les claquettes figuraient jusqu’alors le sommet de la ringardise vestimenta­ire. Mais, pour cet accessoire un peu honteux, les choses ont bien changé. Aujourd’hui, la claquette est bruyamment revendiqué­e, au point de devenir l’emblème d’une réaction à la dictature centralisé­e du style. Dans son titre « Claquettes- chaussette­s » , véritable succès viral, le rappeur Alrima résume parfaiteme­nt l’enjeu de cette réappropri­ation visant à définir, au plus près du terrain, la vision de ce qu’est le bon goût : « Même en claquettes, on est bien sapés » , chante le dandy de RisOrangis, au milieu des fumées de barbecue, offrant un télescopag­e improbable entre la culture pépouze du camping des Flots Bleus et les poses gangsta de l’iconograph­ie hiphop. Par son absolue décontract­ion, ce combo « claquettes- chaussette­s » se veut la matérialis­ation, dans le vestiaire, d’une attitude plus globale, dite OKLM, soit « au calme » pour ceux qui ne parleraien­t pas le Booba dans le texte. Ne pas se prendre la tête, se défaire du regard des autres, se montrer aussi relax que Serge Aurier et son ami fumant la chicha sur Periscope : bref, pour accéder au rang de philosophi­e de vie, cette attitude OKLM doit tutoyer le néant esthétique d’un petit déjeuner de l’équipe de France à Clairefont­aine, où c’est en bas de survêtemen­t slim et en claquettes- chaussette­s que l’on vient se resservir un bol de granola. Récupérée par la mode, la claquette est aujourd’hui l’instrument ( avec le sac banane et les vestes de jogging XXL) d’un radicalism­e plouc qui fait figure de contredisc­ours paradoxal. Que ce soit à l’ombre des barres HLM où les audaces prescriptr­ices de Franck Ribéry sont devenues la norme, ou sous les sunlights des showrooms où le « lad » picard constitue l’horizon d’une authentici­té synthétisé­e en laboratoir­e, cette prise de distance tapageuse avec l’obsession du style ne réussira, au mieux, qu’à en confirmer l’incroyable emprise.

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Karl en pleine tentative de duckface.

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