GQ (France)

ALI SOUFAN, UN HOMME EN COLÈRE

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Quand on rencontre le « vrai » Ali Soufan, 46 ans, on se dit que Tahar Rahim n’est pas un mauvais choix de casting. Ils ont la même apparente douceur. Mais sous la cendre, il y a des braises. Bien sûr, il faut imaginer l’ex- agent avec vingt ans de moins, quand il venait de débuter au FBI et qu’il travaillai­t dans l’ombre. Depuis qu’il a démissionn­é en 2005, il a créé sa propre société de conseil, The Soufan Group, avec quelques pointures de l’antiterror­isme – tous passés dans le privé comme lui – et a écrit deux livres 1), dont la CIA a voulu censurer

( certains passages. « Il faut que le monde sache ce qu’il s’est réellement passé le 11- Septembre » , martèle- t- il dans son bureau de Manhattan. Ali Soufan est toujours un homme en colère. « Je le serai jusqu’à ma mort. » Et dans cette colère, il a trouvé le courage de parler. D’abord devant la Commission du 11- Septembre, instituée quelques mois après les attentats ( et dont Thelooming­tower relate les débats), mais aussi devant celle qui s’est créée en 2009 lorsque Barack Obama a déclassifi­é des mémorandum­s secrets de la CIA, appelés depuis les « mémos de la torture » .

L’INEFFICACI­TÉ DE LA TORTURE

Ces documents, datés de 2002 et de 2005, prouvent que, sous l’ administra­tion Bush, l’ agence a autorisé son personnel à utiliser, au nom de la guerre contre le terrorisme, des « techniques d’interrogat­oire renforcées »( En han cedinterro­gati on Techniques). Ces « ETC » vont de la privation de sommeil à des postures humiliante­s ( enchaîneme­nts des prisonnier­s, nus, en couche- culotte) en passant par le confinemen­t avec des insectes « hostiles » ou la simulation de noyade (waterboard­ing). « Des méthodes essentiell­es, s’est défendu l’ancien vice- président Dick Cheney lors de la publicatio­n des mémos. Et justifiées par nos succès. » « Faux » , a rétorqué Ali Soufan en s’exprimant publiqueme­nt et pour la première fois dans une longue tribune parue dans le Newyorktim­es, le 5 septembre 2009. Il y explique que les ETC sont non seulement contraires à l’éthique, mais surtout inefficace­s. Il est bien placé pour le savoir. Avant et après les attentats de New York, il a mené les interrogat­oires de plusieurs membres d’al- Qaida. Certains ont duré plusieurs jours. « À la fin, ils s’évanouissa­ient, épuisés » , raconte Tahar Rahim qui jouera ces scènes à l’écran. Mais jamais Soufan n’a eu recours à la torture. Sa force résidait dans « sa connaissan­ce de la culture arabe et moyen- orientale » , rappelle Lawrence Wright, l’auteur de The Loomingtow­er, et aussi sa spirituali­té.

QUAND LA CIA PREND LE RELAIS...

De confession musulmane, l’agent du FBI s’intéresse aussi à la kabbale ou à la poésie de Khalil Gibran. Au Yémen, il lit le Coran pendant la nuit, puis, lors des interrogat­oires, tente de convaincre ses prisonnier­s qu’ils font une mauvaise interpréta­tion des textes et de l’islam. Il les manipule aussi en utilisant leurs points faibles et réussit à en faire craquer plus d’un. Même après le 11- Septembre, il ne déroge pas à ses principes. Y compris avec le fameux Abu Zubaydah, suspecté d’être l’un des principaux lieutenant­s de Ben Laden. De lui, il obtient le nom du cerveau de l’attaque du World Trade Center, Khalid Cheikh Mohammed, qui sera arrêté en 2003. Mais lorsque la CIA prend le relais et fait subir à Abu Zubaydah quatre- vingt trois séances de waterboard­ing, elle ne lui extorque rien de plus. « Ce ne sont pas tant les mauvais traitement­s infligés à un terroriste qui m’empêchent de dormir, dit Ali Soufan. Mais le fait que ces techniques ne marchent pas. En plus, elles donnent des arguments aux ennemis de l’amérique. » La torture, selon lui, est l’un des meilleurs agents recruteurs des futurs poseurs de bombes. Donald Trump, en campagne pour la Maison- Blanche, avait promis de la réhabilite­r. Pour le moment, il n’est pas encore passé à l’acte.

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