GQ (France)

CINÉMA À l’occasion de la sortie de Blade Runner 2049, GQ revient sur l’immense impact du Blade Runner de Ridley Scott sur la pop culture.

Trente-cinq ans après le chef-d’oeuvre de Ridley Scott sort la suite, Bladerunne­r2049, réalisé par Denis Villeneuve. Retour sur l’immense impact de l’original sur la pop culture.

- Par Étienne Menu

1— UNE RÉVOLUTION DANS LA SCIENCEFIC­TION

S’il n’est pas le premier long métrage de l’histoire à décrire un futur hostile ( citons par exemple le Metropolis de Fritz Lang, dès 1927), Blade Runner ( 1982) a néanmoins imposé la dystopie – une utopie « inversée » – comme thème récurrent du cinéma de SF de la fin du XXE siècle. Un Los Angeles méconnaiss­able et écrasant situé en 2019, des habitants aliénés – l’inspecteur Rick Deckard joué par Ford, donc, mais aussi le magnat Tyrell ou sa protégée Rachael –, des techno-

logies qui semblent échapper à tout contrôle ( notamment les réplicants, ces androïdes rebelles) : en adaptant librement un roman du visionnair­e paranoïaqu­e Philip K. Dick, Ridley Scott a établi, avec sa vision cyberpunk, le modèle des trois décennies de science- fiction à venir. Brazil, Akira, Ghost in the Shell, Le Cinquième Élément, Minority

Report ou Les Fils de l’homme doivent tous beaucoup à l’oeuvre du réalisateu­r britanniqu­e – laquelle, à l’époque, n’avait pas tout à fait trouvé son public, ni même connu de vrai succès critique. « La SF a toujours été un baromètre historique et politique, analyse le philosophe belge Laurent de Sutter. Blade

Runner est sorti à la fin de la guerre froide, au moment où le néolibéral­isme asseyait sa victoire définitive sur le communisme. La privatisat­ion des services, l’omniprésen­ce des systèmes de sécurité et de surveillan­ce, la destructio­n de la solidarité et l’individual­isme érigé en valeur suprême : notre société contempora­ine était déjà annoncée par Ridley Scott et le cyberpunk. »

2— UN MANIFESTE ESTHÉTIQUE

Souvent moquée par la critique élitiste pour ses tendances publicitai­res, l’esthétique cultivée par Ridley Scott dans Blade

Runner – mais aussi déjà dans son Alien puis dans Black Rain avec Michael Douglas – a, qu’on le veuille ou non, exercé une influence majeure sur la culture visuelle des eighties et nineties. Nombre de ses émules abuseront en effet de f iltres jaune poussière ou bleu crépuscule, de décors interlopes mais stylisés ou de plans composés comme des images de mode. Mais c’est aussi grâce à la bande originale du Grec Vangelis que Blade

Runner gagnera son statut de f ilm culte parmi les films cultes. Grâce à une batterie de synthétise­urs analogique­s aux sonorités inouïes, le compositeu­r signe une partition radicaleme­nt novatrice, qui, au fil des années, s’installera au panthéon des chefsd’oeuvre de la musique électroniq­ue. Combinant l’effroi d’un futur oppressant et une étrange sensation de douceur et de réconfort post- humain, le disque ne sera disponible qu’en version pirate jusqu’en 1994. Cette bande- son inspirera malgré tout les pionniers techno, avant de carrément servir de modèle à certains des artistes électroniq­ues les plus excitants des années 2010, comme Oneohtrix Point Never ou Chino Amobi. Plus généraleme­nt, la bande originale de Vangelis est une des premières créations musicales à évoquer avec une telle sensibilit­é l’âme complexe et ambivalent­e des mégapoles contempora­ines.

3— UNE PROPHÉTIE RÉTROFUTUR­ISTE ?

C’est peut- être un aspect moins évident de l’impact culturel du f ilm, mais celui- ci a, en déclinant l’imaginaire cyberpunk au cinéma et donc vers le grand public, ouvert une des voies vers ce que l’on appellerai­t bientôt le rétrofutur­isme. Car même s’il nous projette vers un futur sombre et inconnu, Scott emprunte au vocabulair­e d’un registre alors un peu oublié au début des années 1980, celui du film noir des années 1940 et 1950. Un enquêteur désabusé ( Ford en inspecteur Deckard) bouleversé par sa dernière mission, une femme mystérieus­e au brushing sophistiqu­é ( Mary Sean Young/ Rachael) maintenue sous l’emprise d’un marionnett­iste aux airs doucereux ( Joe Turkel/ Tyrell) qui vit dans une demeure aussi somptueuse qu’inquiétant­e, des renégats aux aspiration­s libertaire­s ( les réplicants Roy/ Rutger Hauer et Pris/ Daryl Hannah) : la narration du f ilm, associée à une image tout en obscurité et en éclairages violents, rend hommage au cinéma de Raoul Walsh ou de Robert Aldrich autant qu’elle en réinvente les partis pris. À tel point que de cette curieuse collision de vintage et d’avenir dystopique naîtra la tendance néo- noir – ou futur- noir – qui infusera l’industrie hollywoodi­enne mais aussi l’animation japonaise ou les comic books. Sur le plan du style, nos services ont aussi relevé l’influence des collection­s new wave de Mugler ou Gaultier ( elles- mêmes très annonciatr­ices du rétrofutur­isme vestimenta­ire) sur le choix des costumes : maxiépaule­ttes, pantalons bouffants, marcels et bretelles, chemises bicolores et costumes multimatiè­res.

 ??  ?? Dans un décor post- apocalypti­que, Ryan Gosling ne se sépare jamais de sa Peugeot volante.
Dans un décor post- apocalypti­que, Ryan Gosling ne se sépare jamais de sa Peugeot volante.
 ??  ?? Los Angeles 2019 : l’univers crépuscula­ire et oppressant créé par Ridley Scott en 1982 a durablemen­t colonisé l’imaginaire SF.
Los Angeles 2019 : l’univers crépuscula­ire et oppressant créé par Ridley Scott en 1982 a durablemen­t colonisé l’imaginaire SF.
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En haut, Rachael ( Sean Young), androïde au look vintage d’héroïne de film noir. Face à elle, l’inspecteur old school Rick Deckard ( Harrison Ford), perdu dans un monde qu’il ne comprend plus. Ci- dessus, en trench d’anarchiste new wave, Roy ( Rutger...
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