GQ (France)

SAVEURS Romuald Cardon est un agent très spécial : il représente les meilleurs vignerons auprès des chefs et sommeliers qui comptent.

C’est un peu le Dominique Besnehard des vignes. Son métier : représente­r les meilleurs vignerons auprès des chefs et sommeliers qui comptent. Rencontre avec Romuald Cardon, agent d’un nouveau genre.

- Par Fabrice Tassel_ Photograph­ie Thomas Humery

ROMUALD CARDON n’en fait pas des caisses. Ce quadra à la silhouette élancée et au crâne rasé est aussi di scret que souriant. Les caisses, il préfère les empiler dans son appartemen­t parisien du 14e arrondisse­ment . Certaines sont ouvertes, d’autres pas. Quelques cartons le long d’un couloir dans ce qui est aussi son adresse profession­nelle. Il a bien une cave à quelques rues de chez lui. « 1 500 à 2 000 bouteilles, pour ma consommati­on personnell­e. » Ah, quand même… Mais ses bureaux sont ailleurs. Multiples. Au zinc d’un bistrot du 11e, dans les cuisines d’un restaurant étoilé ou dans l’obscurité d’une cave. « En réalité, c’est sur mon scooter ou mon vélo que je passe le plus de temps » , confesset- il. Son job ? « Agent très spécial » , assure Bertrand Jousset, vigneron à Montlouis- sur- Loire. Agent classé triple vin. Mais le métier de Romuald ne consiste pas seulement à vendre le vin de ses clients, une trentaine de viticulteu­rs éparpillés dans toute la France. Il s’agit surtout de les faire connaître ou reconnaîtr­e par des profession­nels, cavistes, chefs, sommeliers ou guides… Le marché a de l’avenir : le boum de la restaurati­on, conjugué à la demande de vins plus élaborés ou bio, change la donne. « Quand j’ai commencé avec lui , on vendait 600 bouteilles à Paris. On en est aujourd’hui à 16 000 » , explique Frédéric Alary, installé à Cairanne, dans le sud de la vallée du Rhône. Il a été son premier client. Désormais, Romuald limite le nombre des exploitant­s qu’il représente pour pouvoir « bien s’occuper d’eux » . Mais il n’est pas à l’abri d’un coup de coeur, comme pour ce vigneron champenois rencontré dans un bar à trois heures du matin, ou ce haut médoc goûté sur un salon. Son ordinateur portable est encore chaud. Il vient de faire

quelques posts sur sa page Facebook et son Instagram. « La com’ prend une place de plus en plus importante dans mon travail » , dit- il. Une newsletter se fait également l’écho de ce qui se passe aux quatre coins des vignes. Un boulot à part entière qui a nécessité de faire appel à un prestatair­e. « Si certains vignerons sont des stars, notamment en Asie, peu voire aucun ne sont connus en France » , sou ligne l’ agent. S’agissant d’ alcool, la promotion, très encadrée par la loi, reste, de fait, assez compliquée. « Il ne faut pas oublier que nous sommes des dealers » , ironise- t- il. Et dans ces conditions, difficile d’imaginer des émissions comme « Top vigneron » ou « Master sommelier » . « Ces hommes sont des artistes » , lâche Romuald. Et quand il s’agit de faire découvrir leur « art » aux profession­nels, on n’est pas loin du casting. Et la concurrenc­e ne manque pas. « À Paris, nous étions trois agents il y a dix ans contre une quinzaine aujourd’hui » , précise-t-il. Heureuseme­nt, le business est assez vaste pour que tous s’y retrouvent. « J’essaye d’inventer mon métier tous les jours » , explique cet ancien caviste, qui a débuté à 20 ans ( il en a 47) chez Legrand, une cave mythique située rue de la Banque. Il y apprend son métier auprès de sa tante, fille du fondateur. En 1998, il ouvre sa propre boutique, Les coteaux du 9e, un espace d’une trentaine de mètres carrés. Et ça marche plutôt bien. Mais ce fondu d’ultra- trail, qui participe en octobre à la Diagonale des fous à La Réunion ( 167 km de course à pied et 9 900 m de dénivelé), a besoin d’espace. Il se lance en 2006. Bertrand Jousset le suit : « Il a misé sur des jeunes avec des histoires particuliè­res » , explique cet ancien mil i - taire converti à la vigne il y a quinze ans. Et comme Romuald ne manque pas de pif…

CHAQUE SEMAINE, il enfourche son deuxroues pour sa tournée de millésime, parfois accompagné des vignerons. « Il m’emmène un peu partout et on rigole bien » , raconte Catherine Breton, qui délaisse ses vignes dans la Loire pour l’occasion. Le plus de l’agent ? Son carnet d’adresses, sans cesse réactualis­é. « Un restaurant ouvre chaque jour à Paris, j’ai encore de la marge » , s’amuse- t- il. En attendant, il compose avec 250 restaurant­s ou bistrots. Des étoilés comme Pierre Gagnaire ou Taillevent aux figures de la bistronomi­e. Une quarantain­e de cavistes complètent sa liste. Il gagne « correcteme­nt sa vie » mais connaît les risques du métier. « Ces dernières années, la météo a prouvé qu’elle pouvait faire des ravages » , déplore- t- il. Des vignes dévastées et des clients qu’il faut accompagne­r… D’ailleurs, avec quelques amis vignerons, il a lancé une associatio­n, Vendanges solidaires, qui récolte des dons pour aider ceux qui sont gravement touchés par les tempêtes. Histoire de ne pas oublier que les vignerons sont avant tout des paysans.

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Romuald, un agent qui a de la bouteille.
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Le domaine d’édouard est situé sur les coteaux surplomban­t la vallée de l’yonne, aux portes d’auxerre.

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