GQ (France)

Mathieu Kassovitz : “Tu peux rien dire à un mec qui ose monter sur un ring”

Non, à 50 ans, il ne s’est toujours pas assagi. À l’affiche de Sparring, où il incarne un boxeur sur le déclin, notre acteur de l’année ne craint pas de recevoir des coups, ni d’en donner. Et c’est pour ça qu’il nous intrigue. Discussion à bâtons rompus a

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On aurait pu venir interviewe­r le héros du Bureau des légendes, lui ( re) dire à quel point il était formidable dans ce rôle de Malotru, depuis trois ans, notamment lors de cette saison 2017 qui a emmuré l’agent de la DGSE dans les geôles de Daesh. C’est d’ailleurs en grande partie pour cette prestation psycho- physique subjuguant­e de vérité que GQ lui décerne le prix d’acteur de l’année ( mais pas que…). On aurait aussi pu être tenté de se poser une heure avec le réalisateu­r le plus vénère du cinéma français ( devant ou derrière Albert Dupontel, selon les avis) pour attiser ses colères, tendre l ’ hameçon et pêcher une nouvelle punchline polémique qui fait la réputation sulfureuse de Mathieu Kassovitz, également vu cet automne dans le dernier Michael Haneke (Happyend). À l’affiche de Sparring de Samuel Jouy le 22 novembre, l’histoire d’un boxeur quadragéna­ire au faible palmarès qui accepte de devenir le punching- ball humain d’un champion, on a préféré l’écouter parler de son autre ( dévorante) passion, la boxe, et revenir sur son autre exploit de l’année : être monté, forreal, sur un ring le 10 juin dernier, à Deauville, lors d’un

Très. On a tous regardé les « Rocky » en faisant « wouah » . Mais quand tu as fait un peu de boxe, tu te demandes comment on a pu tomber dans le panneau ! Personne ne boxe comme ça. Dans les « Rocky » , rien n’est crédible. Pour qu’un film de boxe le soit, tu n’as pas le choix, il faut faire de vraies séquences de combat. Or avec les acteurs, il y a le problème des assurances… Et puis si un mec se prend une vraie patate – ça arrive, je me souviens de Vincent Cassel qui s’est fait casser le nez sur le tournage des Rivières pourpres – et que tu ne peux pas refaire la prise, tu es coincé. Ce qui est sûr, c’est qu’il plus facile pour un acteur de faire semblant d’être boxeur que pour un boxeur de faire semblant d’être acteur. On peut apprendre les prémices de la boxe, sachant que, derrière, le monteur va faire en sorte de te rendre bon. Pour un boxeur qui galère dans un rôle, c’est plus compliqué. Jouer au cinéma, si tu ne l’as pas, tu ne l’as pas… Non. Je me suis mis au sport à 40 ans. J’allais courir dans le bois à côté, là, mais surtout pour sortir mes chiens parce que la course à pied, ça me fait vraiment chier. Un jour, je croise un type, 60 balais, en super forme, en train de faire du karaté, que j’ai pratiqué quand j’étais gamin. On s’est fait des kata (mouvements codifiés en arts martiaux). Et une fois je lui demande : « Mais tu t’entraînes comme ça pour quoi, au juste ? » Il me dit : « Bah ça fait vingt ans que je m’entraîne. J’ai commencé quand j’en avais 40 pour être bien à 60. Et je continue à 60 pour être bien à 80. » Bah ouais ! De 20 à 30 ans, on est bien, les gars ! On a des tablettes, on baise comme des dieux, on a un cardio de dingue. Puis à 35- 40, on commence à avoir du bide. Grande leçon de vie : dès que tu commences à ne plus voir ta bite, faut tirer la sonnette d’alarme. Donc soit tu te laisses aller, soit tu te prends en main. Et il n’y a rien de mieux que le sport, qui t’apporte toute la vie saine qui va avec. Mais si tu te mets à en faire vers la quarantain­e, tu as besoin d’un objectif. Et si tu veux vraiment tenir le coup, il faut te mesurer aux autres. Je vois mon pote Solo, l’ancien rappeur d’assassin, il y a sept ou huit ans de ça, il avait une vie complèteme­nt dissolue. Il s’est repris en main, a découvert le jujitsu brésilien et aujourd’hui il est vice- champion du monde des vétérans. Donc si tu te fixes un but, ça change ta vie. Après la prépa boxe et le tournage de Sparring, Souleymane M’baye (acteur du film et champion du monde des super-légers en 2006) me propose de continuer. Je lui dis : « OK, mais il me faut une carotte. » Parce que sans cela, impossible de me lever tous les matins et de m’entraîner deux heures. Quand tu traînes avec des boxeurs et que tu as vraiment envie de faire partie de leur univers, d’être pris au sérieux, il faut y aller… Alors tu peux rester un boxeur de salle, hein, être super beau au sac. Moi quand j’en fais, j’ai l ’ impression d’être un champion. Par contre, quand tu es face à un sac qui te met des coups de poing dans la gueule, c’est une autre histoire. Tout à coup il bouge, le sac. Et puis il cogne, il a plus de cardio que toi… La boxe, ça ne sert à rien si tu ne fais pas de sparring. Il faut qu’il y ait un vrai but. Donc le combat officiel.

COMMENT L’AS-TU PRÉPARÉ ?

On s’entraînait à Achères, dans les Yvelines. J’ai ma salle ici, je n’ai qu’à traverser le jardin. Mais Souleymane m’a dit : « Faut se bouger le cul, se frotter à des vrais boxeurs. » Il a raison, sans cela tu ne te lèves pas le matin. C’est un engrenage : tu sais que si tu ne t’entraînes pas tel jour, le lendemain tu seras encore moins bien… pour au final te faire humilier le jour du combat. Donc tu vas t’entraîner. Plus le choix. L’ego, c’est ce qui te pousse à t’entraîner.

TU FUMES AUSSI LES JOURS OÙ TU T’ENTRAÎNES ?!

Ouais ! Je fume toujours deux ou trois joints avant l’entraîneme­nt. Ma physiologi­e et ma morphologi­e me le permettent. La première fois que j’ai dit ça à mon entraîneur, il ne me croyait pas. Mais si je ne fume pas, je suis trop nerveux. Alors il m’a dit : « Continue ! Essaie de réduire mais si tu es bien et que tu tiens tes deux heures d’entraîneme­nt… » Et je les tiens ! Jusqu’au dernier moment, tu te demandes si tu es prêt, puis tu as peur d’être ridicule. Au bout de trente secondes, je n’avais plus de gaz dans les jambes alors qu’à l’entraîneme­nt, j’explosais le sac et je faisais des rounds de cinq minutes sans problème. Si tu n’as pas fait le travail, tu vas te faire humilier pendant les deux minutes trente qu’il reste. Et il y a le mental… Sur un ring, c’est 50 % du truc. Si tu ne l’as pas, même si t’as bien préparé le combat, tu perds 50 % de tes capacités.

ET PUIS IL Y A LA PEUR DU KO, DU MAUVAIS COUP !

Même les poids- lourds que je connais me le disent : en montant sur le ring, ils ont peur comme des p’tites f illes. Et ils ont raison. Que tu sois un poids- lourd ou pas, la tête, c’est la même pour tout le monde. Le crochet d’un poids- lourd, que tu fasses 60 kg ou 120, c’est la même chose, ça fait aussi mal. Mike Tyson, quand il monte sur le ring, tu vois que le mec a peur. Tu vois qu’il veut que ça se joue vite parce qu’il sait qu’il peut prendre un coup et terminé. On a toujours le souvenir d’un Tyson offensif et super violent, mais il fallait voir l ’ intensité de ses entraîneme­nts (Il sort son smartphone et lance des vidéos de combats du boxeur américain). Il fait des trucs à une vitesse… Comment un mec peut bouger à cette vitesse- là avec un corps pareil ? En le voyant, tu as l’impression qu’il n’est pas souple du tout alors qu’en fait il est monté sur vérins hydrauliqu­es. Une sacrée belle histoire, Mike Tyson… Tu disais quoi ? Deux « KO foie » et j’ai pris pas mal de pains dans la tête. Dans la boxe, ce qui est incroyable, c’est qu’au moment où tu es dans le pire danger, où tu es à moitié KO, eh bien c’est là que tu dois éviter les coups, répliquer, ne pas rester une cible, retrouver ton souff le. Et rebelote quand le mec revient à la charge. Pfffiooouu­u. C’est ça qui est fort !

TU AS PRÉVU DE REMETTRE ÇA ?

Oui, le 23 décembre, contre le même adversaire, je pense. C’est comme pour mes films : j’ai d’abord fait trois courtsmétr­ages avant d’en faire trois longs. Et à chaque fois en commençant avec un petit budget puis un plus gros, du 16 mm à la couleur. Je monte doucement les échelons.

ET EST- CE QUE TU SUIS D’AUTRES SPORTS ?

J’aime tous les sports de contact, tous les styles de boxe. C’est la même famille, avec la boxe anglaise qui chapeaute le tout. Après, je suis fasciné par tous les sportifs. Du foot au wakeboard, je suis sur le cul quand je les vois faire. Par contre, je n’aime pas du tout le sport au niveau profession­nel. Le fric, ces gens échangés comme de la marchandis­e...

FINI LE FOOT ?

J’étais passionné quand j’étais jeune mais il y a tellement de changement­s dans une équipe : la couleur du maillot, les propriétai­res, les joueurs… Quand on avait nos albums Panini, on les gardait des années parce qu’il n’y avait pas tous ces transferts. Les mecs restaient dans leur club. Il y avait un ou deux nouveaux joueurs par an, pas plus, donc tu pouvais suivre les mecs. Et puis les gars habitaient vraiment dans la ville où ils jouaient… À Saint- Étienne, quand tu allais à la boucherie, tu croisais Rocheteau. Comment peut- on aimer une équipe qui, dans un an, aura transféré la moitié de ses joueurs, sera rachetée par un pays à l’autre bout du monde qui mettra le nom de sa compagnie aérienne sur un maillot qu’on vend 150 euros ? Si j’étais supporter, je me dirais : « Mais vous me prenez pour un con ? » (Ironique) Après, tant mieux si les mecs sont bien payés et que cela ne dérange personne d’acheter un T- shirt à 150 euros. Il n’y a plus de limites. Pourquoi ne pas mettre le maillot à 300 boules aussi ? Mais tant mieux pour tout le monde, hein (long silence). Tu connais Lomachenko ? Nan, tu connais pas Lomachenko… Attends bouge pas je te mets une vidéo.

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