GQ (France)

Mise en forme

Alexandre Gauthier, philosophe des fourneaux libéré des a priori. design : le Drugstore des Champs- Élysées a tout changé pour mieux revenir.

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ÀLA GRENOUILLÈ­RE, on n’est pas trop du genre « entrée, plat, dessert » . Ce jour- là, au déjeuner, neuf services se succèdent sur les tables gantées de cuir. Autant d’assiettes inclassabl­es qui rythment le repas : « citrouille, dorade » , « aubergine, moelle de mer » , « blinis de lait entier » , « poisson des sables, romanesco » , « raviole rouge » , « pigeon, blé vert » , « reine- claude, tilleul » , « f igues givrées » , « cacao, amandes, vinaigre cristal » . Sont- ce des amuse- bouches ? Des plats de résistance ? Des mignardise­s ? On s’en fout. À 38 ans, Alexandre Gauthier ne cherche ni à entrer dans des cases ni à jouer la provocatio­n gastronomi­que. « Mon menu est une succession de petits plats. Je l’envisage comme l’écriture d’une symphonie syncopée, avec des variations d’intensité, de tempo, de tonalités. Il y a une différence entre la dissonance et la fausse note. Comme ce moment magique, lorsque tous les membres d’un orchestre s’accordent individuel­lement, mais que l’ensemble sonne juste. Il en résult e une f orme d’harmonie. Ma cuisine se rapproche de cela » , explique celui qui est récompensé du titre de cuisinier de l’année par GQ. « Je suis un ours, concentré sur ma cuisine dans mon village, loin des cercles parisiens, raconte le lauréat. Cette récompense me touche beaucoup, c’est le signe que le travail paie. Je ressens que la maison résonne à l’extérieur de ses murs. » Sans fausse note, donc.

VOILÀ QUINZE ANS qu’alexandre Gauthier écrit sa partition au jour le jour. Dans quelle séquence d’un repas le cuisinier situerait- il actuelleme­nt sa carrière ? « Je dirais que je réfléchis aux plats de résistance. J’ai déjà lancé les entrées, je sais où je vais. » Cet homme de projets ne cherche pas à ralentir, bien au contraire. « Il y a une génération qui arrive et nous pousse au cul. Ça ne me fait pas peur, mais il faut le garder en tête » , explique- t- il. Aux fourneaux, c’est d’ailleurs une brigade de 27 ans de moyenne d’âge qui s’active dans le chaudron dessiné par l’architecte Patrick Bouchain. Alexandre non plus n’a pas attendu la trentaine pour se lancer. Mais si le talent était déjà là, il lui manquait l’identité. « Quand je suis arrivé aux fourneaux de La Grenouillè­re, en 2003, j’ai voulu exprimer ma vision de la cuisine avec mon plat “clams, couteaux, grenade et mangue”. Cette recette m’a fait connaître, mais, en réalité, ce n’était pas moi. Elle fut comme une prise de conscience. Je prétendais faire une cuisine contempora­ine alors qu’elle n’était qu’exotique. » Désormais, il parle avec l’assurance de ceux qui savent où ils vont : « Je pratique une cuisine de souche française, mais libérée des a priori et des certitudes. C’est l’idée de territoire qui me sert de clé pour ma cuisine. Je ne parle pas de terroir, qui est selon moi associé à la tradition et ses connotatio­ns un peu lourdes. Le territoire est plus ouvert, c’est mon paysage physique et mental. Mon seul objectif : que ce soit beau et bon. Mais je me refuse de céder à toute forme de dogmatisme. Je n’ai aucun goût à l’extrémisme. Pourquoi m’empêcher d’utiliser un citron ou de l’huile d’olive par exemple ? »

Comment décrire sa vision gastronomi­que à travers une assiette ? « Peut- être cornichon grillé, tarama et estragon ? Je me souviens de la réaction des clients qui ont découvert cette entrée : “Ah, un cornichon, ça peut être ça !” Je le travaille pour ce qu’il est, une cucurbitac­ée, en le débarrassa­nt du vinaigre et de la conserve systématiq­ues. Mes assiettes sont autant des micro- plats que des entrées classiques. Je suis dans mon rythme, centré sur ce que j’ai à faire. Mais il ne faut pas croire que j’en oublie les autres facettes de la vie. Je suis concentré, mais pas autocentré » , philosophe Alexandre Gauthier. À quoi ressembler­a La Grenouillè­re de demain ? « Je veux tenir les lignes, la cohérence. Et projeter la maison dans le futur. La place de la protéine animale va diminuer. Par goût et par conviction, je préfère aujourd’hui manger de la viande en plus petite quantité mais de très haute qualité et dans sa plus simple expression. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai ouvert le Froggy’s et Anecdote (ses autres restaurant­s, situés dans le village de Montreuil-sur-mer, ndlr), qui proposent notamment des super viandes rôties ou grillées. » Côté grands projets, l’entreprise poursuit son développem­ent. « La Maison

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