GQ (France)

PHILIPP PLEIN

COMMENT LE ROI DU BLING EXCITE LA MODE

- Par Fabrice Tassel_ Photograph­ies Pari Dukovic

La nuit a enveloppé l’avenue Georges V, un des affluents des Champs- Élysées. Encadrant l’entrée de la deuxième boutique parisienne de Philipp Plein, des écrans projettent des images des défilés du designer allemand. Couleurs flashy, silhouette­s gainées de cuir et de strass scintillan­ts, qui rendent le Fouquet’s voisin, et son auvent rouge et doré, encore plus vieillot. Surprise, la boutique « PP » est presque déserte. Ce même jour, pourtant, on nous racontait ce combat de kickboxing où « tout le public était en Plein, de la folie » . Et ces gamins aperçus dans le nord et l’est de Paris, baromètres vivants des marques, pochettes et sweats « PP » en étendards ? Ces textes de rappeurs, du « Plein » plein la bouche ? Ce post Instagram de Neymar, avec le dernier modèle de sneakers de la marque aux pieds ? Et malgré tout ça, un point de vente désert ? Marco, le gérant, s’approche : « Monsieur, la boutique est privatisée… » Ah ! Scénario inversé : l’image du succès s’incarne dans ce jeune Asiatique, coupe de champagne sur le comptoir, qui fait ses emplettes sur mesure entouré de trois vendeuses. Poser un orteil dans le prêt- à- porter de luxe, c’est vite comprendre qu’un OVNI y a pris pied depuis 2004 et s’y déploie depuis 2008 avec une croissance « assez unique, révélatric­e de notre époque où tout va si vite » , souligne une journalist­e experte du secteur. L’univers est composé d’un trépied ( les marques Plein, Plein sport et Billionnai­re) dirigé d’une main de fer par un homme de 39 ans, l’âge où d’autres deviennent président de la République ou astronaute préféré des Français. Plein, c’est un style… moins policé que ceux de Macron et Pesquet : « I am building a fucking empire ! » martèle- t- il sur son Instagram où sa fanbase peut admirer ses tatouages, son bronzage permanent… et ses dernières créations. Mais il peut jubiler : le groupe pèse 300 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017, amassés dans 120 boutiques ( 50 possédées en propre, les autres en franchise), alors que 60 autres sont espérées dans les cinq prochaines années. Pas un mois ne s’écoule sans l’ouverture d’un espace au design mineral noir et blanc, lumières violentes sur les ornements du sweatshirt Blue money, du blouson Flying money, du jean Dollar boy. Le « Rambo du design » applique chaque jour une des plus anciennes leçons du marketing : faire parler de soi, à tout prix. Rien ne serait pire que l’indifféren­ce. Tenez, chez Plein, on ne parle pas de « défilés » mais de « shows » . Souvent orchestrés au millimètre par Étienne Russo, qui depuis vingt ans a supervisé plus de 700 défilés ( Chanel, Dior Homme, Hermès, Dries Van Noten…), ils attirent désormais des milliers de fans dont une partie, frustrée, quémande pendant des heures un strapontin. On n’aime ou on n’aime pas, mais le spectacle est au rendez- vous : défilés autour d’une piscine remplie de jet skis, mannequins juchés sur des monster trucks, des manèges, ou dans un skatepark, partout un déluge de musique et de lumières : c’est « une messe pour les femmes de footballeu­rs et les maris des femmes de footballeu­rs » , s’amusait l’an dernier «Hab il lé(e)s pour l’été », l’ émission de Mademoisel­le Agnès en découvrant, « médusé » , le show milanais de Plein. La marque a d’ailleurs inscrit une partie de sa légende naissante dans la capitale lombarde : en 2010, le designer se voit bannir de l’agenda officiel de la fashion week par la fédération locale de la mode, très protectric­e des marques italiennes. Qu’à cela ne tienne : il ne pourra pas défiler dans la journée ? Eh bien Plein bouleverse­ra l’agenda et se produira en soirée. Bingo. Les énormes fêtes qui ponctuent le défilé des mannequins séduisent vite les invités, dont des clients fidèles qui engloutiss­ent des hectolitre­s de « champlein » , mélange de champagne et de Red Bull, la boisson fétiche du créateur. Plein déserte vite ses propres soirées, s’il dort très peu c’est parce qu’il fait du running tous les jours et bosse à peu près en permanence. Et puis un patron patachon ne tient pas la route bien longtemps. Dans les soirées Plein, l’excitation des fans monte encore d’un cran lorsqu’ils lorgnent les fauteuils VIP : Madonna, Kylie Jenner, Snoop Dogg et Courtney Love ( qui y ont performé), Kim Kardashian, Naomi Campbell, Beyoncé, Nicki Minaj, Taylor Swift, Iggy Azalea ont assis la réputation de ces shows hors norme. En juin 2017, Philipp Plein a accueilli plusieurs centaines d’invités ( dont Paris Hilton en guest et, pour le frisson, Jeremy Meeks, un ancien taulard de 33 ans star des internets) dans sa villa cannoise, « La jungle du roi » , pour y présenter sa collection d’été. Fontaines garnies de « champlein » , les Bentley, Rolls ( le cabriolet Dawn, il possède aussi la Wraith, la plus rapide de la marque, mais il la gare à New York) et Lamborghin­i du patron alignées dans le garage, tags philosophi­ques sur les murs(«Kiss me likeyoul ove me,fuck melikeyouh­ateme ») : rien de tel pour marquer les esprits, faire causer pendant des semaines dans le Landerneau, laisser dans son sillage un léger parfum de scandale à contrecour­ant d’une industrie devenue bien sage. « Plein, c’est la preuve vivante de la rupture entre le marché et une partie du secteur, endogame et snob » , estime une connaisseu­se. Certains l’adorent, d’autres le détestent. Mais tous le savent : 300 millions d’euros de chiffre d’affaires inspirent une forme de respect, même en les rapportant aux 5,2 milliards d’hermès l’an dernier. La preuve, Plein peut s’entourer des meilleurs, Carine Roitfeld, l’ex- rédactrice en chef de Vogue Paris, au stylisme et Karla Otto, à la tête d’un des bureaux de presse les plus puissants de la mode.

« LE JCVD DE LA MODE »

Comme Lugano semble calme après le tapage de la Côte d’azur. Même le sommeil des habitants est protégé des atterrissa­ges, essentiell­ement ceux de jets privés, interdits pendant la nuit. Le principal QG de Philipp Plein est posé au bord du lac, immeuble moderne en verre qui abrite une partie des 600 salariés ( dont 80 % ont moins de 35 ans) des trois marques Plein. Lugano accueille aussi une de ses maisons, qu’il partage avec celles de Cannes,

“Instagram permet aux gens de comprendre que j’existe vraiment. Cette authentici­té est importante car je suis la marque. Attention, je ne suis pas un produit comme peut l’être un acteur, seulement le créateur d’un produit.”

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