GQ (France)

FRÉDÉRIC BEIGBEDER

OUR DEVENIR IMMORTEL, un écrivain peut toujours tenter sa chance à l’académie française. Mais même sous l a Coupole, on meurt ( RIP Jean d’o). Or Beigbeder, du moins le narrateur d’une vie sans fin qui lui ressemble beaucoup, ne veut pas crever ! Romancie

- Par Élisabeth Philippe Photograph­ie Vincent Ferrané

Le trublion de Saint- Germain- des- Près consacre son dernier roman, Une vie sans fin, à la quête de la jeunesse éternelle. Et ce n’est pas gagné. Entretien.

Pméthodes censées freiner le vieillisse­ment et interrogé – pour de vrai – des chercheurs en pointe sur la génétique et les cellulesso­uches qui pourraient un jour réaliser le rêve des milliardai­res transhuman­istes. Une utopie dont Frédéric Beigbeder montre la face sombre, sans jamais se départir de son swag et de son humour.

VOTRE ROMAN TOURNE AUTOUR DU FANTASME D’IMMORTALIT­É, DU RÊVE DE VIVRE ÉTERNELLEM­ENT JEUNE AVEC DES ABDOS SCULPTÉS. UN EFFET DE LA CRISE DE LA CINQUANTAI­NE ?

Je suis en mid-lifecrisis depuis des années ! 99 francs racontait déjà l’histoire d’un type qui veut changer de vie. À l’origine d’une vie

sans fin, il y a ma f ille qui m’a demandé un jour si tout le monde mourait. Je lui ai répondu : « Bien sûr, chérie, mais maintenant, c’est fini, toi tu ne mourras pas. On va s’en occuper. » C’est le point de départ de cette enquête étrange au pays des médecins, généticien­s et biologiste­s qui entendent vaincre la mort. J’ai voulu les prendre au mot et les questionne­r.

VOUS AVEZ RENCONTRÉ DE NOMBREUX CHERCHEURS, DES PONTES D’HARVARD… VOUS AVEZ VRAIMENT BOSSÉ !

Oui, c’est gentil. C’est le cas depuis plusieurs livres et j’en ai un peu marre ! Là, c’est trois ans de boulot tout de même.

POURQUOI AVOIR CHOISI LA FORME ROMANESQUE PLUTÔT QUE L’ESSAI ?

Je trouvais que ça convenait à ce projet. J’aime parler de « science- non fiction » au sujet de ce livre. Toutes les interviews avec les chercheurs sont véridiques. Il y a aussi une part d’autobiogra­phie, comme dans Lunar Park de Bret Easton Ellis, un roman que j’ai adoré. Je voulais donner des repères réalistes au lecteur avant de l’entraîner dans un voyage plus délirant.

VOUS AVEZ DONNÉ DE VOTRE PERSONNE ET TESTÉ DIFFÉRENTE­S TECHNIQUES RAJEUNISSA­NTES : UNE CURE EN AUTRICHE, DES PIQÛRES LASER… QU’EST- CE QUI VOUS A LE PLUS IMPRESSION­NÉ ?

Le sang de jeune. Cette expérience, appelée parabiose hétérochro­nique ou

« heterochro­nic parabiosis » – ça vous épate, hein ? –, a donné des résultats très probants sur les souris. On prend une vieille souris et on mélange son sang à celui d’une plus jeune. Après quelques heures de ce traitement, la souris plus âgée est complèteme­nt régénérée. Elle se remet à nager comme si elle avait six mois alors qu’elle était sub- claquante ! À Monterey en Californie, l ’ Institut Ambrosia propose des transfusio­ns de sang jeune pour 8 000 dollars. Je m’y étais inscrit, mais je me suis dégonflé. Des méde- cins français m’ont dit que je risquais de choper beaucoup de trucs...

AU TERME DE VOTRE ENQUÊTE, QUE VOUS INSPIRE LE TRANSHUMAN­ISME ?

Si on me dit que l’on va supprimer la mort, je n’y serais pas forcément hostile. C’est une idée séduisante... Mais quand on rentre dans les détails, c’est inquiétant. Cette utopie de l’homme augmenté, du surhomme, est complèteme­nt nazie. Comme si le terme transhuman­iste venait cacher le mot

« übermensch » de Nietzsche et d’hitler.

ON CONNAÎT VOTRE AVERSION POUR LES RÉSEAUX SOCIAUX, LE LIVRE NUMÉRIQUE. VOS RECHERCHES POUR CE LIVRE N’ONT PAS DÛ ARRANGER VOTRE TECHNOPHOB­IE.

Je suis allergique aux réseaux sociaux et au livre électroniq­ue parce que je crois qu’il s’agit d’une première étape, que j’appelle le « selfisme » : tout à coup, tout le monde a eu un téléphone sur soi, s’est pris en photo et a envoyé ses clichés à la terre entière, mais on n’a pas pris le temps d’y réfléchir. Il me semble que l’étape suivante, c’est la transforma­tion de l’homme en machine, le télécharge­ment de son cerveau sur un disque dur, la connexion de son cerveau au wifi. J’aime bien l’idée de l’immortalit­é, mais si le prix à payer, c’est devenir Siri, je ne suis pas certain que ça me passionne. J’aime la bonne bouffe, faire la fête… Je n’ai pas l’impression que Siri s’éclate tant que ça !

EST- CE QUE CE N’EST PAS PLUS DUR DE VIEILLIR QUAND ON A INCARNÉ UNE CERTAINE BRANCHITUD­E ?

Oui, c’est diff icile de passer de branché à ringard. Il faut l’accepter. J’écris dans mon livre que tout mort est avant tout un has been. Courir après la mode, c’est fatigant. J’ai quitté Paris parce que je ne pouvais plus suivre. Bon, je descends à l’hôtel Hoxton quand je reviens, arrêtez de m’insulter !

QUAND ON VOUS VOIT FAIRE LA FÊTE AU PRIX DE FLORE, ON SE DIT QUE VOUS NE FAITES PAS VOTRE ÂGE. C’EST QUOI VOTRE SECRET DE JOUVENCE ?

Je ne me sens pas jeune du tout. Quand je sors et que je bois de la tequila, je le paie pendant cinq jours, j’ai la barbe qui blanchit… Mais en tant que lecteur de GQ, je veux rester présentabl­e !

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« S’il vous plaît ? Je reprendrai­s bien un peu de sang de jeune, merci ! »
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