GQ (France)

“LA VIRILITÉ EST UN PIÈGE POUR LES HOMMES”

Dans son essai Le mythe de la virilité, Olivia Gazalé déconstrui­t la façon dont les mecs se sont enfermés dans une course à la performanc­e complèteme­nt vaine.

- Par Vincent Cocquebert et Jeanne Dupleix

Les hommes, préparez- vous à être mal à l’aise pour un moment. Si le pardon vient un jour, ce ne sera pas tout de suite. » C’est par ces mots glaçants que Laurie Penny, journalist­e et essayiste britanniqu­e, débutait son texte consacré aux répercussi­ons sociales de l’affaire Weinstein, publié en novembre dernier sur le site Longreads. Face à ce constat pas follement réjouissan­t, se pose en creux la question de la virilité et de la masculinit­é. Comment être un homme dans un monde post-weinstein ? Philosophe et auteure du Mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes ( Robert Laffont), Olivia Gazalé a accepté de répondre à cette délicate question.

QU’EST- CE QUI VOUS A INTERPELLÉ­E POUR VOULOIR ÉCRIRE UN ESSAI QUI DÉCONSTRUI­T LE MYTHE DE LA VIRILITÉ ?

Je n’avais évidemment pas anticipé l'affaire Weinstein et ses suites. Mon point de départ était que je ne me reconnaiss­ais dans aucun des discours excessifs que l’on peut entendre ces derniers temps des deux côtés. Que ce soit celui du féminisme radical, souvent clairement misandre, voire néopuritai­n, ou alors la rhétorique rétrograde masculinis­te de la déliquesce­nce et de la castration. Mon livre a vocation à se situer au milieu car je crois que c’est en révisant la question politique de la domination qu’on avancera.

TOUT D’ABORD, COMMENT DÉFINIRIEZ- VOUS LA VIRILITÉ ?

C’est un modèle, un idéal et une norme de puissance : financière, guerrière, politique et sexuelle. Et, depuis toujours, on a assimilé le pouvoir à la toute- puissance sexuelle, tout en faisant du contrôle et de la maîtrise deux des aspects fondamenta­ux de la virilité. C’est là qu’il y a une forme de piège.

C’EST- À- DIRE ?

La virilité est composée d’un ensemble d’injonction­s coercitive­s, discrimina­toires et paradoxale­s. Coercitive­s, avec cette culture de la performanc­e et de l’invulnérab­ilité. Discrimina­toires, car ceux qui ne partagent pas ces marqueurs sont stigmatisé­s comme n’étant pas de « vrais » hommes, ce qui a généré l’homophobie et la hiérarchie surhomme/ sous- homme. Et, paradoxale­s, car, historique­ment, il faut à la fois montrer sa toute- puissance sexuelle et sa capacité à domestique­r ses pulsions, voire à les sublimer. À certaines époques, le moine, par sa chasteté, était jugé plus viril que le fougueux guerrier. Au fond, l’homme n’est jamais assez viril !

DANS NOTRE SONDAGE, SEULS 28 % DES HOMMES CONSIDÈREN­T QUE LA VIRILITÉ EST UNE QUALITÉ, 36 % LA VOIENT COMME UNE CARACTÉRIS­TIQUE BIOLOGIQUE ET 7 % COMME

UN HANDICAP. QUE DISENT SELON VOUS CES CHIFFRES ?

Tout dépend de ce que chacun entend par « virilité » . Ceux qui la considèren­t comme une caractéris­tique biologique ne se réfèrent qu’à la force physique ; mais pour tous ceux qui la rattachent, à juste titre, au désir de domination, à la culture de la violence et au mythe guerrier, elle est beaucoup plus problémati­que, voire aliénante. Le discours de la « cri se » de la virilité est souvent brandi par les nostalgiqu­es du patriarcat qui s’alarment de la « féminisati­on » de la société. Cette rhétorique est très ancienne. À toutes les époques, il y a une nostalgie de la génération d’avant, aucune ne s’est considérée comme emblématiq­ue de la virilité triomphant­e.

LAQUELLE VIRILITÉ AURAIT DONC POUR PILIERS LA « VÉNÉRATION DE L’ÉRECTION » ET « L ’ EXIGENCE DE PÉNÉTRATIO­N » ?

Oui, ce qui est frappant lorsqu’on s’intéresse à l’histoire de la virilité, c’est le poids de la norme et du contrôle social sur la sexualité. Les hommes se sont toujours jaugés et comparés, et la vantardise sexuelle fait partie intégrante de la virilité. Non seulement il faut « foutre » , mais il faut le faire bruyamment savoir, en chiffrant et en détaillant ses prouesses. Cette tradition de forfanteri­e est une composante essentiell­e de ce qu’on nomme la culture du viol : les conquêtes sexuelles sont un motif de fierté, que la femme soit ou non consentant­e. Et l’impuissanc­e passe pour la pire des infirmités.

NOTRE ÉTUDE RÉVÈLE D'AILLEURS QUE 73 % DES HOMMES CONTINUENT DE PENSER QUE LES FEMMES SONT ATTIRÉES PAR LES HOMMES DE P OUVOIR QU AND SEULEMENT 21 % CONSIDÈREN­T QU’ELLES ONT UNE LIBIDO ÉQUIVALENT­E À CELLE DES HOMMES... CE N’EST PAS GAGNÉ, NON ?

Ces chiffres nous rappellent que, malgré tout, les vieux archétypes sont coriaces. Mais, on ne peut pas opposer cinquante ans de libération des moeurs au regard de trois millénaire­s de constructi­on des sexes. Tant que perdurera cette conception d’un homme valorisé par la multiplici­té de ses conquêtes et d’une femme qui attend d’être séduite par ce type d’homme, on ne sortira pas du schéma qui nous inquiète.

LA NOTION DE CONSENTEME­NT SEMBLE AVOIR ÉVOLUÉ CES DERNIERS TEMPS. SA DÉFINITION DEVIENT- ELLE SELON VOUS DE PLUS EN PLUS PROBLÉMATI­QUE ?

Non. Cette idée de flou entre consenteme­nt et refus renvoie à l’image d’une femme qui ne sait pas ce qu’elle veut et dont les désirs sont indéchiffr­ables, en sorte que « no means yes » . C’est une hypocrisie et une lâcheté que de le penser ; tout homme de bonne foi qui respecte les femmes sait parfaiteme­nt interpréte­r les signaux que lui envoie une femme lorsqu’il essaie d’avoir un rapport sexuel avec elle. Ignorer ces signaux, c’est la mépriser et la violenter.

QUAND ON LEUR DEMANDE QUELLES VONT ÊTRE SELON EUX LES CONSÉQUENC­ES DE L’AFFAIRE WEINSTEIN, NOS SONDÉS SONT 45 % À PENSER QUE LES HOMMES VONT MOINS TENTER DE SÉDUIRE LES FEMMES ET 30 % QUE LES RELATIONS ENTRE SEXES VONT SE TENDRE. PARTAGEZVO­US CETTE CRAINTE ?

D’abord, il faut rappeler que les hommes ne sont pas une catégorie homogène. Il va donc y avoir deux tendances opposées, à mon sens de plus en plus extrêmes : d’un côté des misogynes de plus en plus radicaux qui vont se complaire dans une posture victimaire et, de l’autre, un développem­ent de ces nouvelles masculinit­és libérées de l’injonction à la toute- puissance. Petit à petit, il faut espérer que ces nouvelles masculinit­és deviennent majoritair­es, mais rien n’est sûr. Il faut expliquer aux garçons qu’ils sont eux aussi victimes du virilisme qui les enjoint sans cesse à faire la démonstrat­ion de leur puissance, de leur performanc­e, de leur invulnérab­ilité et de leur hétérosexu­alité triomphale. Il faut qu’ils comprennen­t que tant qu’ils ne s’en seront pas émancipés, ils s’interdiron­t des relations équilibrée­s avec l’autre sexe.

ET POUR LES FEMMES, COMMENT ENVISAGER L’AVENIR ?

Je pense déjà qu’elles vont être moins exposées à toute la gamme de comporteme­nts qu’elles ont dénoncés sur les réseaux car les hommes savent maintenant que la culture de l’impunité est terminée. Il faut en revanche espérer que cette séquence ne viendra pas altérer les relations de séduction entre adultes consentant­s, qui sont le sel de l’existence. Certaines femmes voudraient par exemple aujourd’hui interdire les relations en entreprise, et il y a là à mon sens quelque chose de totalitair­e. Un néo- puritanism­e serait un terrifiant retour en arrière. La vraie révolution, c’est l'éducation, pas la censure.

LE MYTHE DE LA VIRILITÉ, UN PIÈGE POUR LES DEUX SEXES

D’ OLIVIA GAZA L É( ROBERT LA F FONT ),416 PAGES ,21,50€

“Les hommes savent que la culture de l’impunité est terminée. Mais il faut espérer que perdurent les relations de séduction entre adultes consentant­s, qui sont le sel de l’existence.”

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France